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Interview de Jonas Lenn
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Interview de Jonas Lenn

Actusf : Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture ?
Jonas Lenn : Ma réponse à cette question n’est pas définitive…
J’ai longtemps eu peur de prendre la parole. Timidité maladive… Peur paralysante du ridicule, peur de trahir mes idées, de perdre le fil de ma pensée, ne pas trouver les mots… Je manque d’éloquence, encore aujourd’hui, même si la peur s’estompe un peu. Je suis infiniment plus à mon aise caché derrière une feuille de papier ou un écran d’ordinateur. Parce que le tempo de l’écriture est autre. Il s’agit d’ailleurs moins d’un temps, comme on dit, que d’un lieu, hors du temps, où je m’affranchis de la pression effrayante de l’immédiateté. Un lieu sécurisant d’où je peux prendre enfin la parole, à mon rythme, sans inquiétude.

Actusf : Quelles sont vos influences ?
Jonas Lenn : La TV des années 70 a été ma nourrice. Je m’imprégnais de SF devant le petit écran noir et blanc : les séries américaines et les films des années 50-60, les dessins animés japonais... À la même époque, je lisais Jules Verne, des montagnes d’illustrés, et puis je découvrais la SF traduite chez J’ai Lu et au Masque. Clifford D. Simak, Jack Vance, Philip K. Dick, Robert Silverberg... L’âge d’or.

Actusf : Quelles sont, parmi vos nouvelles et romans, les œuvres pour lesquelles vous avez un attachement particulier ?
Jonas Lenn : Le Gaucho de Mars, mon premier chèque… Ensuite j’ai une affection vraiment particulière pour les quatre nouvelles qui constituent les  Manhattan Stories car ce sont mes textes les plus personnels, où je me suis sans doute exprimé le plus librement, le plus originalement peut-être. Où je me suis livré. Viennent ensuite mes textes de la jungle, Le Mausolée de chair et Les Elytres du temps. Mes nouvelles les plus abouties, je crois, porteuses d’un projet : faire coexister l’irrationnel et le merveilleux scientifique. Enfin,  Kinshasa, qui fut une expérience intense… et marqua le retour de l’irrationnel dans mon existence. Le making-off de ce roman contient assez de matière pour un texte à la façon de Paul Auster, sur les rapports entre le réel et la fiction.

Actusf : Vous avez écrit beaucoup de nouvelles ; préférez-vous la forme courte au roman ?
Jonas Lenn : Oui, j’avoue. D’ailleurs mes romans sont courts, eux aussi, moins de 300 000 signes. J’ai un temps ambitionné d’écrire des textes plus longs mais tout bien pesé, ça ne me correspond pas. Je crois que je suis trop lent et/ou trop méticuleux.

Actusf : Qu’est-ce qui vous attire le plus dans l’écriture jeunesse ? Qu’est-ce qu’elle vous permet, que ne permet pas la littérature pour adultes.
Jonas Lenn : Aux dernières Imaginales, j’ai participé à une table ronde intitulée « Ecrire pour les jeunes… et être aussi lu par les adultes ? » Voici ma conclusion personnelle : un livre jeunesse, ça ne doit pas être un livre destiné à la jeunesse, mais un livre lisible aussi par un jeune public. Un livre tout public si on veut. En ce sens, la « littérature jeunesse » ne permet pas plus ni moins que la littérature adulte. Elle peut seulement demander, parfois, une « adaptation ». Par exemple, le jeune lecteur a peut-être plus besoin de s’identifier au héros pour adhérer à l’histoire. La clarté du récit demande sans doute de moins recourir à l’ellipse. Au final, écrire un livre tout public peut s’avérer plus exigeant.

Actusf : Plus précisément sur Kinshasa, pourquoi avoir choisi un chien comme personnage principal ?
Jonas Lenn : À cause de Demains les chien,  indéniablement, mais aussi, principalement, de Tombouctou, le roman de Paul Auster, dont le narrateur est un chien, Mr Bones. J’ai voulu aller plus loin avec Kinshasa, donner littéralement la parole à mon chien, comme le fait Clifford D. Simak. Remarquez que Kinshasa n’a pas l’élocution facile, comme moi il cherche ses mots, la meilleure façon de formuler exactement sa pensée, ses sentiments, de ne pas parler de travers. Même s’il est humanisé, il demeure un chien et la naïveté du regard qu’il porte sur le monde des humains introduit une distance intéressante.

Actusf : Les autres héros du roman sont les enfants, dont l’organisation et le destin rappellent Peter Pan : avez-vous un attachement particulier pour l’œuvre de J. M. Barrie ?
Jonas Lenn : Difficile de nier l’influence de Peter Pan, qui a inspiré le personnage de Piotr, le jeune chef des gamins du Château. Ni celle du groupe de rescapés de Sa majesté des mouches. Mais ces oeuvres sont pour moi des découvertes relativement tardives. Il y a des influences plus anciennes. Parmi lesquelles, Deux ans de vacances, la Robinsonnade de Jules Verne. Le destin des jeunes naufragés du Sloughi (le livre et le feuilleton télévisé) m’a imprégné. C’est d’ailleurs, je pense, une influence majeure du livre de William Golding, qui reprend les mêmes prémisses. D’une manière générale, j’ai une nostalgie pour toutes les histoires de bandes de gamins en rupture de ban et notamment pour une série télévisée diffusée en France en 1981, Zora la rousse. Nostalgie de mon enfance ? Mes étés de gamin… Notre petit monde sans adulte…

Actusf : La technologie et la génétique sont des thèmes importants de ce roman : que pensez-vous des progrès dans ces domaines ?
Jonas Lenn : Je suis partagé entre émerveillement et effroi. L’émerveillement devant l’ouverture des possibles. J’ai l’impression de vivre dans les rêves de la SF de mon adolescence. Des rêves qui se réalisent, quoi de plus beau ? Une rêverie qui ne cesse de se renouveler, malgré les spéculations sur la fin prochaine de la physique... Mais je suis aussi saisi d’effroi car le cauchemar n’est jamais à exclure et certaines dystopies se réalisent elles aussi. L’histoire éternelle : démons et merveilles. Mais aujourd’hui, les démons de l’homme sont aussi puissants qu’une météorite tueuse. Tant de pouvoir dans les mains d’un animal qui se croit Dieu. Et si peu de conscience. Comme le dit l’oncle de Peter Parker, alias Spiderman, (avatar moderne de Peter Pan), « un grand pouvoir impose une grande responsabilité. » Hélas, la révolution spirituelle se fait attendre…

Actusf : Quels sont vos projets ?
Jonas Lenn : Les projets ne manquent pas mais combien aboutiront ? Dans combien de temps ? Il me tarde d’explorer de nouvelles pistes dans la littérature jeunesse, comme le space op’. Peut-être aussi un thriller historique dans les mois qui viennent. C’est en discussion. D’autres part, deux projets d’albums pour enfants sont en gestation. J’aimerais en outre avoir l’occasion de terminer Palace Athéna, le roman feuilleton lancé dans feue la revue Faëries.

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