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La chronique littéraire selon Michel ABESCAT
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La chronique littéraire selon Michel ABESCAT

Sarah : Quelle est votre fonction à Télérama ?
Michel ABESCATA : Télérama, je suis Rédacteur-en-chef.  Quand je suis entré à Télérama, j’étais responsable du service Livres. Depuis quelques années, je suis rédacteur-en-chef et je fais partie de la Direction du Journal, mais je reste quand même critique livre. Je publie régulièrement des critiques de livres dans les pages de Télérama.

 
Sarah : Quand vous écrivez une critique, ça ne vous dérange pas de dire qu’un livre n’est pas bien ?
Michel ABESCATA : Non. Notre travail se fait en direction des lecteurs et pas des auteurs.  Notre travail, c’est de sélectionner toutes les semaines des livres qui nous paraissent intéressants et de proposer aux lecteurs de découvrir ces livres, dans tous les domaines, soit en littérature, soit dans les essais, soit en poésie, en littérature jeunesse. De ce fait, on écrit la plupart du temps des critiques positives, parce que nous recevons des centaines de livres toutes les semaines sur les milliers qui sont publiés tous les ans et nous proposons des livres qui nous intéressent, plutôt que de démolir des livres.  Nous critiquons un nombre très petit de livres par rapport à la production totale. Il nous arrive, quand nous estimons que le succès d’un livre est totalement immérité, de critiquer ce livre. Il peut arriver qu’un auteur qu’on suit et qu’on aime bien écrive un livre moins bien. Même si c’est un auteur qu’on a défendu jusque-là, on le dit. C’est une question d’honnêteté par rapport aux lecteurs.

Après, l’objet n’est pas de descendre un livre en soi, ça n’aurait pas beaucoup d’intérêt. Pour un auteur qu’on suit, l’objet est plus de déterminer pourquoi un livre est raté. Un ratage est aussi intéressant qu’un livre réussi, car il nous conduit à définir ce qu’était l’ambition du livre, ce que l’auteur a essayé de faire et pourquoi c’est raté. Dans la carrière des auteurs, y compris des plus grands, il y a des hauts et des bas. Ça n’est pas grave. Un ratage, c’est ce qui peut permettre à un auteur après de rebondir et d’écrire un chef-d’œuvre derrière.
Nous, on a aucun problème à critiquer des livres. En revanche, il y a des limites qu’on se donne. On ne s’attaque jamais aux personnes, ça c’est très important. Malheureusement aujourd’hui, on voit de nombreuses critiques qui s’attaquent à la personne même de l’auteur. Pour nous, il n’en est pas question.  Dans Télérama, nous faisons les critiques des textes. D’autre part, on évite d’être désobligeant. On peut très bien expliquer pourquoi un livre est raté sans être méchant, sans être humiliant. De toute façon, la position du critique doit toujours être modeste. Le critique, il n’écrit pas. Il n’est pas forcément capable de faire ce que l’auteur a fait. Par nature, il doit être modeste.  Son travail, c’est d’analyser le livre et d’expliquer au lecteur ce qu’il a lu.  Ce qui est intéressant dans ce travail, c’est qu’il n’y a pas de vérité objective. Il y a plusieurs vérités. Il y a un livre et des centaines ou des milliers de lecteurs qui peuvent, chacun, avoir une lecture différente. Parce que le livre va le toucher par rapport à son histoire personnelle, par rapport à sa sensibilité, par rapport à ce qu’il a déjà lu.
Ce qui est intéressant aussi, pour la critique, c’est de donner un point de vue personnel.  La personne qui lit Télérama va se dire que c’est intéressant et va lire le livre. Si elle n’en pense pas la même chose, ce n’est pas grave. Elle va confronter son regard au regard du critique. C’est ça qui est enrichissant.  C’est ce qu’on fait avec des amis quand on a recommandé de lire un livre. On commence à en discuter. On n’a pas forcément la même lecture. Au fur et à mesure, on a comme ça des lectures  qui s’agrègent et c’est de plus en plus riche.

Sarah : Comment organisez-vous le contenu de vos critiques ?
Michel ABESCATA : Il n’y a pas forcément un plan type. Ça dépend un peu du livre. Il y a deux choses qu’il faut éviter.
D’une part, se contenter de raconter le livre et d’en dire trop, parce que c’est dommage pour le lecteur si on lui a déjà dévoilé l’essentiel du livre, parce que ce n’est pas de la critique, c’est juste un résumé du livre. Il faut juste essayer de faire sentir quel est le propos et, surtout, quel est l’enjeu du livre. L’essentiel du texte doit être dans la critique, c'est-à-dire dans l’analyse littéraire, l’analyse du propos, etc.

D’autre part, la deuxième chose à éviter, c’est de se contenter de dire « j’aime » ou « j’aime pas ». Ça ne suffit pas. « J’ai adoré », « C’est formidable », on peut le dire, c’est une marque d’enthousiasme, mais c’est très insuffisant. Il faut expliquer pourquoi. Qu’est-ce qui dans le propos, dans l’histoire, dans le sujet, dans la construction, d’ans l’écriture, dans les personnages, dans les rebondissements. Il y a plein de choses qui en font l’intérêt et la singularité…

Sarah : Et par exemple, comment vous expliquez le succès d’un livre comme « Twilight », alors que tant d’histoires d’amour et d’histoires de vampires ont été écrites ?
Michel ABESCATA : C’est très difficile d’expliquer des succès pareils. « Twilight », c’est comme « Harry Potter », ou des succès aussi énormes « qu’Eragon », c’est très difficile à expliquer. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au début, « Twilight » n’a pas eu autant de succès que ça. C’est paru dans des conditions de poche, d’ailleurs, ils ne l’ont pas tout de suite fait paraître en grand format. Au départ de la série, son succès a été normal. Et puis, le troisième volume a connu un gros succès aux Etats-Unis. On a alors parlé de ce succès en France. Et là, il y a quelque chose qui a commencé à se créer.

Il y a plein d’ingrédients qui peuvent expliquer ce phénomène. Il y a une histoire d’amour. Ça se passe chez les vampires. Ça se faisait moins à l’époque. Maintenant, il y a eu plein de copies. C’est venu au bon moment. Après il y a eu les films. Ça a encore boosté les ventes de livres. Et nous arrivons dans un phénomène au niveau mondial.

Moi, très franchement, je l’ai lu quand je l’ai reçu. J’ai trouvé que c’était pas mal, sans plus. Et je n’en ai pas parlé dans Télérama. On en a parlé plus tard quand on a vu le succès. Je n’avais pas trouvé que le livre était nul. D’autres ont dit ensuite que c’était nul. Ça n’est pas mon avis. Je pense juste que ça n’est pas écrit.  C’est écrit au fil de la plume. Sur le plan littéraire, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. Dans le roman jeunesse, il y a plein de romans qui sont bien plus intéressants que celui-là.  C’est une écriture plate, banale, mais il y a une énergie, il y a de l’imagination. Au fond, je crois qu’il y a quelque chose de sincère, derrière.  C’est peut-être pas si fabriqué que ça, en fait. Quand on le lit, on n’a pas l’impression d’être face à un produit. C’est un peu compliqué, « Twilight ».  J’ai trouvé le livre beaucoup plus intéressant que le film. Les films sont affligeants. Les romans, on les lit quand même, même si on s’use un petit peu.

Maxime : Comment faîtes-vous pour connaître tous les livres qui sortent ?
Michel ABESCATA : On les lit. On est plusieurs au service Livres. Il y a cinq personnes en permanents, puis nous sommes un certain nombre à collaborer comme Fabienne Pascaud, la Directrice de la Rédaction, ou bien, Erwan Desplanques, au service Télévision, Jacques Morice qui travaille au service Cinéma. Il y a donc pas mal de lecteurs à l’intérieur du journal en plus des critiques permanents. On est quand même une dizaine à écrire régulièrement sur les livres. Dans les deux trois mois qui précèdent, on recense tous les livres qui vont paraître, qu’on a reçus sous forme d’épreuves non corrigées et on se les répartit. Les nouveaux livres d’un auteur déjà connu sont attribués à celui qui avait critiqué les précédents. Pour les premiers romans, comme ceux du mois d’août, on se les répartit un peu aléatoirement. Ensuite, on les lit. On ne les lit pas tous en entier. On en commence certains et si on ne les trouve pas bons, on arrête.

Le plus difficile finalement, c’est ceux qui sont entre les deux. Si à la page 50 un livre mauvais ne s’améliore pas, on laisse tomber. Si, dès les premières pages, un livre sort de l’ordinaire et est éblouissant, on le retient tout de suite.  Le plus difficile, c’est la masse des livres qui sont bons, mais ni mauvais, ni très bons, car on n’a pas la place de parler de tout. On discute entre nous. Souvent, quand on n’a pas assez de place, il y a des bagarres entre nous pour parler de tel ou tel livre. Mais, finalement, il n’y a pas de secret. On lit les livres et puis on décide.

Maxime : Vous mettez combien de temps à rédiger un article ?
Michel ABESCATA : Ça, c’est du pur hasard. Ça. C’est très variable. Moi, quand je lis un livre, je prends énormément de notes. J’ai toujours des cahiers. Je n’écris jamais sur les livres, car je suis un maniaque, je déteste écrire sur un livre ou les abîmer. J’écris à côté. J’écris au fur et à mesure que je lis tout ce qui me passe par la tête. Des éléments que je remarque ou même des fois, des embryons de critique. S’il y a quelque chose qui me vient, même à la page 50 du livre, je l’écris tout de suite. Après, je reprends tout ça. Des fois, c’est très facile, parce qu’au fur et à mesure de la lecture du livre, c’est venu naturellement. Dans ce cas, je mets une heure pour écrire. Des fois, c’est difficile. Je m’y reprends à plusieurs fois. Je laisse tomber. Je recommence le lendemain et ça peut prendre beaucoup plus de temps. Ça dépend aussi bien sûr de la longueur de l’article. Si c’est un petit papier d’une page, de 1 500 signes, c’est assez vite écrit. Par contre, si c’est une critique sur deux pages de 4 500 signes, c’est plus compliqué. Là, il faut rentrer dans les détails, il faut le construire.
Il y a des livres où la critique est évidente et des livres qui résistent. On sent quelque chose, mais on n’arrive pas à l’écrire. Ou on écrit quelque chose et on se dit que ce n’est pas exactement ça.  Ce n’est pas exactement ça que j’ai ressenti. Je suis un peu à côté. C’est ce qui fait le plaisir aussi de ce métier.

Maxime : Comment vous êtes entré dans ce métier ?
Michel ABESCATA : En fait, j’ai commencé un peu par hasard parce que je travaillais pour la télévision. Je travaillais sur des magazines pour France 2 et France 3 pour Envoyé spécial. J’ai travaillé par mal sur le documentaire d’archéologie pour Arte. Puis j’ai travaillé pour une émission littéraire, il s’agissait de portraits littéraires pour Bernard Rapp. Ça s’appelait « Un siècle d’écrivains » pour France 3. Vous ne connaissez pas parce que c’est un peu vieux maintenant. Ça doit avoir quinze ans. A ce moment-là, on m’a proposé d’écrire pour une revue qui s’appelle « Polar » qui était publié par les Editions Rivages, spécialisée dans le roman policier. Comme à l’auteur, j’aimais beaucoup les auteurs comme Ellroy, etc. Après, ça s’est enchaîné. J’ai fait des critiques dans « Le Nouvel Economiste » pendant deux ans. Ensuite, j’ai été au journal Le Monde, au Monde des Livres. J’y suis resté pendant sept ans. Et maintenant, ça fait dix ans que je suis à Télérama.

Maxime : Comment vous choisissez les livres dont vous allez parler ?
Il y a des réunions du Service Livres hebdomadaires, tous les mardis matin. On prépare le sommaire des numéros qui vont venir. On décide ce qu’on met en ouverture, ce qu’on met en deuxième papier, ce qu’on va mettre en brèves. Des fois, il y a des discussions assez chaudes parce qu’on n’est pas toujours d’accord. Parfois, un critique veut défendre une livre et avoir une ouverture, mais il n’y en a qu’une par semaine. Ça se passe comme ça. C’est un travail d’équipe en fait.

Sarah : Comment devient-on critique ?
Michel ABESCATA : Il n’y a pas vraiment d’école pour les critiques. Il y a des écoles de journalisme où il y a des enseignements spécialisés sur la critique. Après, c’est beaucoup l’expérience. Il y a des gens qui ont fait des études de lettres, des enseignants, par exemple, qui se mettent à faire des critiques et qui deviennent critiques. Il y a pas mal de filières, en fait, pour devenir critique. Il n’y a pas d’Ecole de la critique.
On commence rarement à Télérama, au Monde ou au Figaro. On commence par des titres avec des tirages moindres, où il est plus facile de rentrer en débutant. On fait d’abord ses premières armes et puis on se fait remarquer.
On lit les autres critiques. Si quelqu’un vient proposer sa candidature, on lui demande toujours à voir ce qu’il a écrit jusque-là. Avant de recruter à plein temps, on va commander des critiques à la pige, au coup par coup. Il y a un journaliste critique à Télérama qui a été embauché car il a envoyé au responsable du service Télérama, pendant deux ans quasiment toutes les semaines une critique de film. Il ne s’est pas découragé et à un moment, à force de lire ses textes, qui étaient très bons, on a commencé à en publier. Maintenant, c’est le chef-adjoint au service Cinéma.

Valérie : Il y a de plus en plus de blogs littéraires ou de blogs personnels avec des critiques sur Internet. Comment vous réagissez ? Est-ce que c’est une concurrence  pour vous ?
Michel ABESCATA : Non, ce n’est pas une concurrence, mais c’est quelque chose d’important parce que ça a une influence. Ça fait peur à certains. Il y a plein de débats. Il y a d’ailleurs eu un séminaire, qui s’appelle « La critique impossible » dirigé par Christophe Kantcheff de Politis sur ces questions depuis des années. Certains critiques trouvent que les blogs tirent un peu vers le bas, vers une critique qui est plus dans le « Je » : « j’aime », « j’aime  pas ». Il ne faut pas confondre une expérience de lecture et le souci d’une attitude critique d’avoir une certaine objectivité. Personnellement, je trouve que ça oblige à écrire autrement. Même pour les critiques installés, je crois que c’est une très bonne chose.
Je pense qu’en plus la critique n’est plus perçue de la même manière qu’avant et qu’il faut forcément la faire évoluer. Comme toutes les institutions, elle est aujourd’hui remise en cause. C’est normal. A une époque, les grands critiques au Monde, étaient sur leur piédestal. Ils donnaient leur point de vue et c’était la parole sacrée. Ça, c’est complètement fini aujourd’hui. La critique est ouverte et désacralisée. Moi, je crois que c’est une bonne chose. De toute façon, dans le monde aujourd’hui, ça ne passerait plus. On ne pourrait écrire des critiques comme ça se faisait avant.

Valérie : Quel serait le message principal à adresser aux critiques en herbe du Club Lecture ?
Michel ABESCATA : La règle principale, c’est vraiment d’être soi-même, d’essayer réellement de voir ce que soi-même on a ressenti, ce que soi-même on a analysé, ce que soi-même on a pensé. Il ne faut pas essayer d’écrire ce qu’il faut écrire. Une bonne critique, c’est un regard singulier. De toutes façons, ce n’est pas des mathématiques, ce n’est pas de la physique, c’est de la littérature. Comme le cinéma et la musique, c’est extrêmement subjectif. Il n’y a pas un avis.

Evidemment, il est nécessaire d’avoir lu le livre, d’avoir une idée de l’auteur et s’il a écrit des livres avant, de les avoir lus, pour être capable de mettre le dernier en perspective par rapport aux autres. C’est un travail objectif à faire, mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y ait un regard et que le lecteur de la critique soit confronté à ce regard.  Moi, je préfère lire les critiques cinéma après avoir vu un film. Ça m’amuse et ça m’intéresse de confronter mon regard à celui des autres. L’intérêt de la littérature et de la culture, c’est de susciter du dialogue, du partage, des échanges, c’est ça qui est intéressant.

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