
Avec le déferlement des émissions de télé-réalité sur nos écrans depuis quelques années, il était inéluctable que cela inspire une BD: c'est chose faite avec "Médiacop" de Francis Porcel et Jean-David Morvan, dont l'intégrale vient de sortir en un bel album chez Dargaud. J'ai ainsi découvert une BD de SF de très grande qualité, au dessin soigné et au scénario intelligent: l'intrigue se déroule dans une Espagne d'un futur proche, où les humains ont été remplacés par des robots dans toutes les tâches ce qui leur permet de passer leur temps devant leurs écrans de télé ou avec leurs casques de réalité virtuelle, et d'être ainsi abreuvés d'émissions de télé-réalité dont l'une l'emporte sur ses concurrentes, "Médiacop".
Dans la première partie, "Barcelona", nous découvrons Norman K. Barron, le flic acteur vedette, qui arrête en direct et avec violence de nombreux malfrats à la place de la police, pour le plus grand plaisir de son patron qui voit l'audimat grimper en flèche. Une jeune assistante innocente, Oshii Féal, le rejoint et ils mènent ensemble l'enquête et la traque d'un tueur en série mystérieux. C'est ainsi que nous découvrirons petit à petit une histoire passionnante, mêlant intelligence artificielle et psychologie humaine, conquête spatiale avec Mars et robots divers, le tout dans une Barcelone futuriste faisant parfois penser à une Métropolis devenue folle.
La deuxième partie, "Granada", nous transporte en Andalousie à l'occcasion de courtes vacances bien gagnées par Oshii, dans une ville dont le maire est un musulman. Cela permet d'explorer les rapports tendus entre les communautés, exacerbées par des groupuscules extrêmistes car la "Reconquista" catholique enlève la fille du maire, ce qui arrange les affaires d'un mufti intégriste. Notre héroïne se retrouvera en train de résoudre le problème, manipulée sans le savoir par son patron, cynique et sans scrupules, qui utilise de nouvelles technologies pour accroître son empire et son emprise médiatiques. Ces deux histoires montrent un univers de faux-semblants et de faux sentiments où tout est conçu pour l'audience, où tout est régi par l'audimat, en somme le reflet de notre société. C'est à la fois glaçant et fascinant, le voyeurisme fonctionne à plein et je me suis retrouvé à ne plus pouvoir lâcher l'album, pris par l'histoire et le dessin. Une belle réussite, sans doute prophétique...

Tous les amateurs de littérature fantastique connaissent Mélanie Fazi en tant qu'auteur au talent remarquable ; les amateurs de fantasy apprécient ses qualités de traductrice, dernièrement avec Brandon Sanderson et sa trilogie de "Fils-des-Brumes". Grâce aux Editions Dystopia (www.dystopia.fr), nous découvrons maintenant une autre facette de Mélanie, celle d'anthologiste, et c'est un succès de plus. Avec "Ainsi naissent les fantômes", nous nous plongeons dans l'univers psychologiquement tourmenté, souvent glauque, et parfois pervers, de Lisa Tuttle : Mélanie Fazi a sélectionné et traduit avec élégance un certain nombre de nouvelles, toutes plus belles les unes que les autres. Je le dis d'autant plus volontiers que je ne suis pas un grand amateur de fantastique ou d'horreur, mais là, j'ai été conquis !
"Rêves captifs", qui ouvre le recueil, porte bien son titre car cette nouvelle capture le lecteur tout autant que le personnage principal. "Le Remède" est à la limite de la SF et une réflexion sur ce qui constitue un humain complet : qu'est-ce que le handicap, n'est-ce point qu'une question de culture ? J'ai aussi beaucoup apprécié "Ma pathologie", mélange subtil d'alchimie et de psychologie. La dernière nouvelle, "La Fiancée du dragon", est agréable à lire mais très classique et Lisa Tuttle nous apprend que cela a été l'un des tout premiers textes qu'elle a écrit, ceci expliquant sans doute cela. Se terminant par une longue et fort intéressante interview de Lisa Tuttle par Mélanie Fazi, agrémenté d'une fort belle couverture de Stéphane Perger, voilà un recueil à lire la nuit pour avoir des frissons assurés, frissons de plaisir de lecture bien entendu...
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Avec "Sanshôdô la voie des trois vérités" (Editions Ad Astra), Jean Millemann, en partant de l'un des thèmes les plus classiques et les plus rebattus de la SF- à savoir l'arrivée des extraterrestres sur la Terre et l'établissement de relations suivies - réussit l'exploit, en 3 nouvelles se situant dans le même univers, de nous présenter une vision originale de ce contact et des problèmes qui en découle. La première nouvelle "Lanatkka-nagui" est une réflexion douce-amère et poignante sur la force de l'amour qui transcende les apparences physiques. Avec "Leboeuf se paye une toile", la nouvelle suivante, le ton change : beaucoup plus humoristique, tendance pince-sans-rire, nous découvrons les difficultés d'une enquête policière sur un crime lorsque la victime est humaine et le criminel non. Qu'est-ce qu'un crime dans ce cas-là ? Et avec "Trois petits pas sur le chemin de la sérénité", l'auteur nous livre sa pensée sur justice et morale.
Ces trois nouvelles forment donc un tout où Jean Millemann nous livre sa vision de la société et des rapports entre ses composantes, transposés dans un monde où, comme dans notre société fançaise, les "Zitis", ces étrangers, sont là et ne repartiront pas. En 4ème de couverture, Ayerdahl évoque les mânes de Farmer, Heinlein et Asimov ; la lecture de ce petit recueil m'a plutôt fait penser à Simak et Vance. Cette abondance de grands noms montre surtout que la plume de Jean Millemann est une belle plume qui n'appartient qu'à lui : ce livre en est la démonstration.

Cela faisait longtemps que je n'avais plus eu l'occasion de lire Jacques Sadoul en tant que romancier. Les Editions Rivière Blanche viennent de publier un roman fantastique inédit de lui, "Le miroir de Drusilla". Dans un style léger et plein d'humour, Sadoul s'attaque aux vampires et il réussit à leur donner une apparence nouvelle: en effet, ses vampires sont peu nombreux et le résultat de pratiques magiques rares et difficiles. Ils sont des humains ayant une force physique de loin supérieure à la normale mais doté d'une intelligence moyenne; certes ils ont besoin de sang comme complément alimentaire mais ils n'ont pas besoin qu'il soit humain. Il prend pour héroïne Drusilla, la soeur et la femme de l'empereur Caïus dit Caligula, et, astucieusement, nous fait vivre en parallèle sa vie de femme la plus puissante du monde, maîtresse de l'empire romain, et sa vie plus ou moins précaire dans le Los Angeles contemporain, nous montrant de façon amusante la difficulté que peut avoir l'esprit à s'adapter à l'évolution technologique, problème que nous connaissons tous. Le roman suit Drusilla dans sa vie de mère adoptive moderne - la solitude devient manifestement pesante au bout de deux mille ans -, dans sa difficulté à faire confiance et dans sa lutte égoïste contre d'autres vampires afin de se protéger et de protéger sa fille. Les autres personnages sont sympathiques: avocat requin au grand coeur, adolescente délurée en mal d'amour parental, policier intelligent, femme richissime pleine de tendresse etc; quant aux "méchants" ils le sont et bien bêtes ou bornés en plus... bref des personnages de roman qui rendent celui-ci à la fois léger et agréable à lire. L'histoire se déroule avec les rebondissements qu'il faut quand il faut, ce qui nous offre un roman fantastique à la limite du thriller, pour lequel l'auteur utilise à bon escient sa culture classique latine et américaine. C'est aussi et surtout un roman qui est une grande histoire d'amour, amour qui sera considéré comme amoral et/ou choquant par bon nombre de lecteurs dans notre contexte judéo-chrétien occidental et moralisateur. Mais peu importe car Jacques Sadoul nous livre là un roman fort plaisant et c'est tout ce qui compte.
Deus in machina de John Scalzi

Daemone de Thomas Day

Jean-Luc Rivera