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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juin 2011
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juin 2011

Médiacop de Francis Porcel et Jean-David Morvan
 
Avec le déferlement des émissions de télé-réalité sur nos écrans depuis quelques années, il était inéluctable que cela inspire une BD: c'est chose faite avec "Médiacop" de Francis Porcel et Jean-David Morvan, dont l'intégrale vient de sortir en un bel album chez Dargaud. J'ai ainsi découvert une BD de SF de très grande qualité, au dessin soigné et au scénario intelligent: l'intrigue se déroule dans une Espagne d'un futur proche, où les humains ont été remplacés par des robots dans toutes les tâches ce qui leur permet de passer leur temps devant leurs écrans de télé ou avec leurs casques de réalité virtuelle, et d'être ainsi abreuvés d'émissions de télé-réalité dont l'une l'emporte sur ses concurrentes, "Médiacop".
 
Dans la première partie, "Barcelona", nous découvrons Norman K. Barron, le flic acteur vedette, qui arrête en direct et avec violence de nombreux malfrats à la place de la police, pour le plus grand plaisir de son patron qui voit l'audimat grimper en flèche. Une jeune assistante innocente, Oshii Féal, le rejoint et ils mènent ensemble l'enquête et la traque d'un tueur en série mystérieux. C'est ainsi que nous découvrirons petit à petit une histoire passionnante, mêlant intelligence artificielle et psychologie humaine, conquête spatiale avec Mars et robots divers, le tout dans une Barcelone futuriste faisant parfois penser à une Métropolis devenue folle.
 
La deuxième partie, "Granada", nous transporte en Andalousie à l'occcasion de courtes vacances bien gagnées par Oshii, dans une ville dont le maire est un musulman. Cela permet d'explorer les rapports tendus entre les communautés, exacerbées par des groupuscules extrêmistes car la "Reconquista" catholique enlève la fille du maire, ce qui arrange les affaires d'un mufti intégriste. Notre héroïne se retrouvera en train de résoudre le problème, manipulée sans le savoir par son patron, cynique et sans scrupules, qui utilise de nouvelles technologies pour accroître son empire et son emprise médiatiques. Ces deux histoires montrent un univers de faux-semblants et de faux sentiments où tout est conçu pour l'audience, où tout est régi par l'audimat, en somme le reflet de notre société. C'est à la fois glaçant et fascinant, le voyeurisme fonctionne à plein et je me suis retrouvé à ne plus pouvoir lâcher l'album, pris par l'histoire et le dessin. Une belle réussite, sans doute prophétique...
 
Ainsi naissent les fantômes de Lisa Tuttle
 
Tous les amateurs de littérature fantastique connaissent Mélanie Fazi en tant qu'auteur au talent remarquable ; les amateurs de fantasy apprécient ses qualités  de traductrice, dernièrement avec Brandon Sanderson et sa trilogie de "Fils-des-Brumes". Grâce aux Editions Dystopia (www.dystopia.fr), nous découvrons maintenant une autre facette de Mélanie, celle d'anthologiste, et c'est un succès de plus. Avec "Ainsi naissent les fantômes", nous nous plongeons dans l'univers psychologiquement tourmenté, souvent glauque, et parfois pervers, de Lisa Tuttle : Mélanie Fazi a sélectionné et traduit avec élégance un certain nombre de nouvelles, toutes plus belles les unes que les autres. Je le dis d'autant plus volontiers que je ne suis pas un grand amateur de fantastique ou d'horreur, mais là, j'ai été conquis !
 
"Rêves captifs", qui ouvre le recueil, porte bien son titre car cette nouvelle capture le lecteur tout autant que le personnage principal. "Le Remède" est à la limite de la SF et une réflexion sur ce qui constitue un humain complet : qu'est-ce que le handicap, n'est-ce point qu'une question de culture ?  J'ai aussi beaucoup apprécié "Ma pathologie", mélange subtil d'alchimie et de psychologie. La dernière nouvelle, "La Fiancée du dragon", est agréable à lire mais très classique et Lisa Tuttle nous apprend que cela a été l'un des tout premiers textes qu'elle a écrit, ceci expliquant sans doute cela. Se terminant par une longue et fort intéressante interview de Lisa Tuttle par Mélanie Fazi, agrémenté d'une fort belle couverture de Stéphane Perger, voilà un recueil à lire la nuit pour avoir des frissons assurés, frissons de plaisir de lecture bien entendu...
 
Sanshôdô la voie des trois vérités de Jean Millemann
 
Avec "Sanshôdô la voie des trois vérités" (Editions Ad Astra), Jean Millemann, en partant de l'un des thèmes les plus classiques et les plus rebattus de la SF- à savoir l'arrivée des extraterrestres sur la Terre et l'établissement de relations suivies - réussit l'exploit, en 3 nouvelles se situant dans le même univers, de nous présenter une vision originale de ce contact et des problèmes qui en découle. La première nouvelle "Lanatkka-nagui" est une réflexion douce-amère et poignante sur la force de l'amour qui transcende les apparences physiques. Avec "Leboeuf se paye une toile", la nouvelle suivante, le ton change : beaucoup plus humoristique, tendance pince-sans-rire, nous découvrons les difficultés d'une enquête policière sur un crime lorsque la victime est humaine et le criminel non. Qu'est-ce qu'un crime dans ce cas-là ? Et avec "Trois petits pas sur le chemin de la sérénité", l'auteur nous livre sa pensée sur justice et morale.
 
Ces trois nouvelles forment donc un tout où Jean Millemann nous livre sa vision de la société et des rapports entre ses composantes, transposés dans un monde où, comme dans notre société fançaise, les "Zitis", ces étrangers, sont là et ne repartiront pas. En 4ème de couverture, Ayerdahl évoque les mânes de Farmer, Heinlein et Asimov ; la lecture de ce petit recueil m'a plutôt fait penser à Simak et Vance. Cette abondance de grands noms montre surtout que la plume de Jean Millemann est une belle plume qui n'appartient qu'à lui : ce livre en est la démonstration.
 
Le miroir de Drusilla de Jacques Sadoul
 
Cela faisait longtemps que je n'avais plus eu l'occasion de lire Jacques Sadoul en tant que romancier. Les Editions Rivière Blanche viennent de publier un roman fantastique inédit de lui, "Le miroir de Drusilla". Dans un style léger et plein d'humour, Sadoul s'attaque aux vampires et il réussit à leur donner une apparence nouvelle: en effet, ses vampires sont peu nombreux et le résultat de pratiques magiques rares et difficiles. Ils sont des  humains ayant une force physique de loin supérieure à la normale mais doté d'une intelligence moyenne; certes ils ont besoin de sang comme complément alimentaire mais ils n'ont pas besoin qu'il soit humain. Il prend pour héroïne Drusilla, la soeur et la femme de l'empereur Caïus dit Caligula, et, astucieusement, nous fait vivre en parallèle sa vie de femme la plus puissante du monde, maîtresse de l'empire romain, et sa vie plus ou moins précaire dans le Los Angeles contemporain, nous montrant de façon amusante la difficulté que peut avoir l'esprit à s'adapter à l'évolution technologique, problème que nous connaissons tous. Le roman suit Drusilla dans sa vie de mère adoptive moderne - la solitude devient manifestement pesante au bout de deux mille ans -, dans sa difficulté à faire confiance et dans sa lutte égoïste contre d'autres vampires afin de se protéger et de protéger sa fille. Les autres personnages sont sympathiques: avocat requin au grand coeur, adolescente délurée en mal d'amour parental, policier intelligent, femme richissime pleine de tendresse etc; quant aux "méchants" ils le sont et bien bêtes ou bornés en plus... bref des personnages de roman qui rendent celui-ci à la fois léger et agréable à lire. L'histoire se déroule avec les rebondissements qu'il faut quand il faut, ce qui nous offre un roman fantastique à la limite du thriller, pour lequel l'auteur utilise à bon escient sa culture classique latine et américaine. C'est aussi et surtout un roman qui est une grande histoire d'amour, amour qui sera considéré comme amoral et/ou choquant par bon nombre de lecteurs dans notre contexte judéo-chrétien occidental et moralisateur. Mais peu importe car Jacques Sadoul nous livre là un roman fort plaisant et c'est tout ce qui compte.
 
Deus in machina de John Scalzi
 
Grâce aux Editions de l'Atalante, j'avais pu découvrir le talent de John Scalzi avec sa belle trilogie du "Vieil homme et la guerre". Celles-ci récidivent en nous livrant, à un mois d'intervalle, tout d'abord "Imprésario du troisième type", sympathique pochade qui est le premier roman de l'auteur et qui se laisse lire sans mal, puis "Deus in machina". Et là, avec ce très court roman, 140 pages, John Scalzi donne toute la mesure de son talent d'écrivain et ce dès la phrase d'ouverture: "L'heure était venue de fouetter le dieu." Nous entrons ainsi immédiatement dans un univers où, suite à une guerre impitoyable entre des myriades de dieux peuplant la galaxie, le Seigneur a gagné avec l'aide de son clergé et de ses croyants, dont la foi a fait toute la différence, lui donnant sa force supplémentaire. Et, depuis, l'Evêché militant fait régner l'ordre, réprimant les hérésies des tenants des autres dieux, et ce grâce à une flotte de vaisseaux spatiaux propulsés par les dieux avilis et réduits en esclavage ! John Scalzi nous fait suivre le parcours du capitaine du "Vertueux", Ean Tephe, homme de foi et fin stratège qui mène son vaisseau de système en système pour la plus grande gloire de son Seigneur. Ce sera lui qui sera choisi pour mettre en échec la révolte de certains dieux, tout en matant le sien. Ce sera aussi lui qui découvrira la vérité sur l'ordre établi, sur sa foi et son dieu. Roman de science fantasy très noir, très original, réflexion sur la foi, l'obéissance, la religion en général, John Scalzi se livre là à un fort bel exercice, nous amenant à une conclusion fort inattendue. Je pense qu'il n'a pas dû se faire que des amis aux USA, pays où la liberté de pensée et d'expression des uns se heurte souvent à celle des autres, les bigots fondamentalistes de toutes obédiences. En tout cas, une belle histoire et une lecture passionnante !
 
 
Daemone de Thomas Day
A la fin de son dernier roman, "Daemone" (Le Bélial), Thomas Day se livre dans une interview fort intéressante menée par Olivier Girard, auquel il déclare avoir voulu faire un roman style western de série B, plein de bruit et de fureur mais aussi de sentiments exacerbés, qui se dévore. Je le dis tout de suite: pari tenu et réussi ! L'auteur est un grand professionnel qui a su réunir tous les ingrédients: SF démesurée à la pulp  - un monde en tore de trois millions de kilomètres de diamètre, construit et habité par des extraterrestres, les Alèphes, les Guerriers du temps, interagissant avec des humains ayant colonisé une partie de la galaxie -, héros quasi imbattable - le plus grand des gladiateurs, David Rosenberg, plus connu sous le nom de Daemone Eraser -, personnages secondaires bien campés, un amour perdu cause d'un pacte à l'attrait irrésistible entre Faust / Daemone et Méphistophélès / Lhargo l'Alèphe en charge de l'Aire Humaine, de beaux décors tendance minimaliste japonaise, beaucoup de scènes d'action - la chasse au Kaïlinh est mémorable -, une pincée de sexe et un zeste de gore. Mélangez le tout, liez avec le talent d'écrivain de Thomas Day et vous obtenez un roman palpitant, ce que les Américains appellent un "page turner"... Je n'ai souhaité qu'une chose en refermant à regret ce livre, c'est que Thomas Day réalise rapidement son souhait d'harmoniser et de compléter le cycle dont feraient partie ce roman et certaines de ses nouvelles précédentes, au total, prévoit-il, 26 textes formant le "Cycle des Sept Berceaux" car j'ai hâte d'en savoir plus sur les Sculpteurs-Voyageurs et leurs Petite et Grande Machines.
 
Jean-Luc Rivera
 
 

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