Uchronews, toute l'actualité de l'uchronie - juin 2011

 

Commençons par les bandes dessinées :

 

Le 18 mai sortait le 6ème One-Shot de la série "Jour J", nommé "L’imagination au pouvoir ?" Toujours scénarisé par Jean-Pierre Pécau avec le soutien de Fred Duval et Fred Blanchard, dessiné par Mr Fab en très grande forme, il s’agit d’une uchronie à part entière alliant un scénario et un dessin menés de main de maitre. Il en reste encore deux à paraitre cette année, le prochain portant sur le couronnement d’un Napoléon V en 1925 (Il devrait sortir vers septembre-octobre). S’agit-il de Victor Napoléon ?  Le 20 mai, nous avions droit au premier tome (sur quatre) de Reconquêtes qui est selon moi, La BD à ne pas manquer en ce moment ! Puis un mois plus tard paraissait Univerne de Morvan au scénario et Nesmo au dessin. Venant de le terminer, je reviendrai dessus plus tard, mais le divertissement est au rendez-vous !

 

En Comic, deux perles nous arrivent en direct des Etats Unis. Les éditions Milady ont publié le 20 mai la suite des aventures du détective Archie Le Brock, Blaireau de son état et épaulé par Roderick Ratzi, Rat inébranlable (comme son monocle) armée de sa fidèle canne-fusil. Enquêtes Hard-Boiled, menées à coup de poing et de flingues, nous avons là un "Grandville mon amour" très efficace.

 

Le 08 juillet prochain, le 4ème tome, "La couronne et l’épée", de la série "Rex Mundi" sortira dans notre belle contrée. J’avais été fou de joie à l’annonce de la reprise de cette série chez Milady Graphics, un seul tome ayant été traduit chez Semic en 2006. Jouant, un peu, sur certaines théories qui ont été reprises par bon nombre de thrillers ésotériques (Da Vinci Code en est un représentant, et pas le pire du lot), cette série mixe aventure, conspiration, cheminement vers une Grande Guerre Idéologique, et descriptions savoureuses d’une France où la Révolution n’a été qu’un épisode malheureux (le contexte de la série est développé de manière brillante sous forme de la première page d’un journal, Le journal de la Liberté placé à la fin de chaque aventure et développant l’univers), encore deux tomes et cette série au charme envoutant et ayant connu en VO bon nombre de bouleversements : Le tome 3 en est la preuve vu que le dessinateur original est parti suite à un différend avec l’auteur, avant qu'une aventure ne soit dessinée par quelqu’un d’autre qui lui même a passé la main à celui qui bouclera la série de manière magistrale.

 

En manga, une seule parution, le tome 14 de "Jin", série sur laquelle je reviens longuement peu après. Si vous êtres réfractaires au manga, je vous conseille néanmoins de jeter un cop d’œil à deux séries : "Jin" et "Zipang" (sur laquelle je reviendrai prochainement), toutes deux ont un graphisme très réaliste et une histoire passionnante.

 

Du côté des livres, saluons la parution le 1er juin dernier de "Palimpseste" de Charles Stross, véritable bijou s’amusant à mélanger des thèmes de la science-fiction de l’âge d’or avec un traitement très réaliste, très froid de la part de l’auteur (il nous l’avait déjà montré avec sa série du "Bureau des Atrocités", dont le premier tome cachait un monde parallèle issue d’un changement de l’histoire survenu en 1945 et provoqué par des nazis jouant avec certaines entités...) Une œuvre très intéressante, démontrant une fois de plus le talent et la maitrise de Stross, celui-ci glissant malicieusement une uchronie engendrée à partir de multiples voyages dans le temps, et nous montrant comment créer l’histoire avec talent. Etant tout à fait d’accord avec la critique parue précédemment sur ActuSF, je considère qu’il s’agit effectivement d’une œuvre à posséder et à lire absolument !

 

Le 30 juin verra la parution du premier tome des "Enquêtes extraordinaires de Newbury & Hobbes" chez Eclipse, aimant beaucoup les pastiches holmésiens, j’espère me régaler avec cette enquête et le cadre steampunk.  Enfin le 12 juillet, nous aurons droit à un nouveau tome de la série le siècle mécanique : "Clémentine" de Chérie Priest. Le premier opus, "Boneshaker", m’avait beaucoup plu mais était desservi par une traduction que je qualifierai de maladroite. Gageons que cela aura été réparé, et que ce 2ème tome sera aussi amusant que le premier. 

 

Ce tour d’horizon effectué je vais maintenant revenir sur certaines œuvres qui sortent du lot ces derniers temps.

 

 

Point de Divergence : Mai 1968

AVIS : Mai 68. La chienlit est partout. Craignant de se retrouver dans une situation pire qu’en Mai 40, MonGénéral décide de faire convoyer le plus discrètement possible pendant les « évènements » 200 millions de francs vers le château de Vincennes pour parer à une aggravation de la situation... Mais celle-ci dérape plus vite que prévu : De Gaulle meurt dans un crash d’hélicoptère en allant voir le général Massu et les 200 millions disparaissent dans un casse mené de main de maître. Des manifestations populaires on passe rapidement à une révolution parisienne puis à une guerre civile : Massu envoie les chars et l’armée nettoyer Paris. Dans la tourmente, l'un des braqueurs est laissé pour mort avant de réapparaitre cinq ans plus tard et de réclamer sa part du gâteau à ces anciens collègues. Oui mais voilà, ceux-ci gravitent désormais au plus haut de l’Etat et ne sont pas particulièrement ravis de le revoir… Savoureuse « re »lecture de la scène politique française post-68, ce Jour J est, à mes yeux, le meilleur du lot : Graphismes sublimes et sublimés par Mr Fab, polar bourré de références à peine voilées sur les mœurs de nos princes, et réflexion lucide et désabusée sur le pouvoir et ce qu’on est prêt à faire pour l’obtenir ou le garder. Une œuvre forte, cynique, aboutie et menée à 100 à l’heure.

 

 

Tout commence avec la prise d’une ville scythe par les hittites, qui semblent très intéressés par l’or de ce peuple. Immédiatement trois tribus scythes reforment une antique alliance « la horde des vivants ». Elles sont suivies par une scribe envoyée par Babylone pour suivre cette guerre qui s'annonce et également étudier les techniques et arts que maitrisent encore les Scythes et que les Babyloniens ont perdu. La jeune femme est fascinée par les conseillers d’un des rois. Il s’agit des derniers atlantes vivants, ceux-ci ayant survécu à l’engloutissement de leur île, vingt ans auparavant. Pourtant si l’expédition commence sous de bons auspices, celle-ci va vite se troubler suite à des oracles obscurs menaçant l’unité de la Horde. Avec un graphisme magnifique, une mise en couleur splendide et une histoire savamment orchestrée, les deux auteurs nous livrent une Bande-Dessinée de haute volée ! Mélangeant l’histoire aux mythes, dépeignant une réalité géopolitique complexe et sanglante, et en dépeignant des personnages très réalistes. La page de fin laisse augurer d’un conflit titanesque que je lirai avec bonheur et jubilation, succombant avec délice à cette BD que je n’attendais pas.

 

 

 

La rubrique c’était demain me permettra de revenir sur certaines séries au long cours, comme c’est le cas ici, où sur certaines oeuvres.

Suite à la parution du tome 14 de Jin, retour sur ce manga atypique écrit et dessiné par Motoko Murakami, chez Tonkam. Le postulat de départ mêle fantastique, voyage dans le temps et uchronie : un neurochirurgien, Jin Minakata, fait un voyage dans le temps après avoir opéré un étrange patient (celui-ci n’a rien de moins qu’un fœtus humain dans le cerveau). Suite à un concours de circonstances, notre bon docteur reviens au Japon de l’ère Edo, avant la guerre du Boshin. Sous nos yeux ébahis, c’est toute la vie quotidienne qui prend forme, le fonctionnement des institutions et les intrigues de cours. Jin va essayer d’aider du mieux qu’il peut les faibles comme les puissants en introduisant petit à petit des éléments de médecine moderne (fabrication de la pénicilline, opération chirurgicale, etc.). Forte de 20 tomes au Japon, cette une série sort des sentiers battus, avec un graphisme traditionnel (entendez par là très "bd franco-belge"), et une description saisissante de l’ère Edo. L’auteur a-t-il voulu montrer autre chose que l’image d’Épinal que l’on peut avoir du passé ? C’est probable car Murakami nous dévoile patiemment toutes les strates d’une société complexe, hésitant entre tradition et modernité, engluée dans un isolationnisme castrateur et la peur de l’étranger, avec des conditions de vie très dures (entre les maladies, beaucoup plus meurtrières que les guerres, et les désastres « naturels » : incendies et autres), on se rend compte que ce passé n’était pas aussi simple, ni agréable, que l’on pouvait l’imaginer. Passons maintenant à la caractéristique principale de ce manga : L’univers médical. Car si Jin est neurochirurgien, il a quand même une formation de médecin et va donc opérer. C'est le coeur de la série avec deux opérations par volume afin de montrer des interventions pensées et réalisées avec les moyens du bord du XIXème siècle, ce qui mènera notre chirurgien de choc à la conclusion suivante : les opérations à la sauvette dans des conditions pitoyables sont la ruine du commerce (et à fortiori de l’âme) ! Blague à part, après avoir tâté de toutes sortes de maladies, bénignes pour nous, redoutables pour l’époque (songez à la variole), Jin va essayer d’introduire un peu de modernité en commençant à faire converger la médecine hollandaise (Historiquement ce sont les commerçants avec qui les Japonais ont traité lors de l’ouverture vers l’extérieur) et la médecine chinoise (principale médecine de l’époque), tout en démocratisant l’utilisation de la pénicilline. Sans oublier d'opérer et d'opérer encore… Et c’est bien ce qui fait le charme de cette série ! Entre opérations pires que dans un épisode d’Urgences, romance digne d’un roman Harlequin (Le bon docteur n’est pas doué du tout) et jeux de pouvoir à la veille d’une guerre civile qui définira le Japon jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a de quoi faire ! L’aspect fantastique du début disparait quelque temps (on ne sait toujours pas qui était le drôle de type responsable du voyage dans le temps ni ce qu’il faisait dans le futur, mais gageons que l’auteur trouvera une explication, la fin approchant), on se rend compte par petites touches que Jin n’est pas le seul à avoir accompli un voyage, et que tout ceci a l’air de faire parti d’un plan visant à améliorer les conditions de vie du japonais moyen. Qu’en est-il de l’uchronie ? Disons que pour l’instant celle-ci n’est pas claire et qu'il y a à mon avis deux pistes à venir : une uchronie historique : Jin change le déroulement historique du Japon en empêchant la guerre civile d’arriver et en permettant une transition plus calme, ou une uchronie purement médicale avec une transformation de la société japonaise sur le long terme grâce à l’introduction de techniques et de remèdes novateurs  Au stade où nous en sommes je privilégie la deuxième piste (la guerre s'avérant inévitable)... En tout cas, vous avez avec ce manga la preuve que l’on peut avoir une œuvre sortant des sentiers battus, et ce même au Japon ! Un manga touchant, didactique et profondément humain, qui au vu de sa durée, et de sa qualité, mérite que l'on s'y attarde.

 

Bertrand Campeis