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Radieux

Greg Egan ( Auteur), Francis Valery (Traducteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Sylvie Denis (Traducteur), Quarante-Deux (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/08/2011  -  livre
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Radieux

Greg Egan est un écrivain de science-fiction australien, diplômé en mathématiques et programmeur informatique. Ses textes, toujours complexes et soulevant des concepts très travaillés, se concentrent autour de thématiques qui questionnent l’essence même des individus, de la pensée et de la réalité de notre monde, dans une approche plus philosophique que scientifique, même s’ils prennent souvent appui sur des théories complexes comme la mécanique quantique, les simulations informatiques ou notre fonctionnement biologique – notamment celui de notre cerveau.

Après Axiomatique, Radieux, qui comprend dix nouvelles, est le deuxième volume de l’intégrale de nouvelles de Greg Egan, qui se poursuit avec Océanique – dont la nouvelle éponyme a reçu en 1999 le Prix Hugo de la meilleure novella.
 
Explorations

El Nido de Ladrones, c’est le nom donné à une partie de la forêt amazonienne, génétiquement modifiée, dont les cartels de la drogue ont pris possession, pendant que l’un d’entre eux élabore une nouvelle substance aux effets révolutionnaires ; Et si les Enfants d’Eve, qui vénèrent la fondatrice originelle, mère de tous les Hommes, parvenaient à trouver le moyen, en analysant notre ADN, de remonter notre lignée complète ? ; Que se passerait-il si un super-ordinateur donnait le pouvoir aux scientifiques d’approcher la discontinuité mathématique ? ; Que dissimule le pandémonium de nos pensées, comment atteindre notre moi profond ? ; L’orientation sexuelle pourrait-elle être contrôlée avant même la naissance ? ; Le processus de numérisation du cerveau entraîne des rêves de transition dont on ne garde pas souvenir : mais est-ce bien certain ? ; Dans notre monde moderne, une nouvelle génération d’individus, lassés du cartésianisme, cherchent à atteindre le Nirvana ; Un jeune garçon perd toute faculté au bonheur suite au traitement d’une tumeur au cerveau : comment lui permettre d’y accéder à nouveau ? ; Quel peut bien être le pouvoir de cette icône religieuse qu’un riche collectionneur italien cherche à tout prix à récupérer ? ; Si des scientifiques envoient leurs clones plonger à l’intérieur d’un trou noir, pourraient-ils y trouver l’éternité ?


Trois grands types de textes, de qualité variée

Ce recueil de nouvelles de Greg Egan, dans la continuité du précédent, prolonge sa réflexion sur l’identité et la réalité, par le biais de textes assez différents, certains se faisant oublier assez facilement alors que d’autres, très frappants, restent en tête pour se frayer un chemin à long terme dans notre propre réseau neuronal. Parmi ces nouvelles, on peut distinguer trois types de thématiques.

Tout d’abord, les nouvelles qui traitent de la modification neurologique, s’insinuent dans nos pensées, la construction de notre personnalité et de ce que l’on appelle notre âme, sont les plus remarquables. Paille au vent, qui par son environnement intelligent − une forêt qui se modifie génétiquement en temps réel pour combattre toutes les intrusions −, fait penser à BIOS de Robert Charles Wilson, a pour véritable sujet la reconfiguration de la personnalité, par le biais d’une drogue permettant de reprogrammer notre cerveau. Monsieur Volition, dans la droite lignée du recueil Axiomatique, est une des meilleures nouvelles. Un malfrat vole un « cache », un outil électronique permettant d’étudier la construction de sa propre pensée, et va mettre au jour les connexions cachées de son réseau neuronal (on pense au concept de « vision aveugle » utilisée par Peter Watts), et tenter d’atteindre son moi profond, inconscient. Cette nouvelle de haut niveau décrit les instants fugaces, les pensées fulgurantes, les connexions de nos neurones et leur évolution constance : mais où se cache le véritable « moi », l’ « Ubermensch » de Friedrich Nietzsche ? Greg Egan explore dans ce texte la volonté de puissance de l’Homme, le nihilisme et l’absurdité de l’existence, faisant également référence à Albert Camus et Jean-Paul Sartre : « Nietzche avait compris. Sartre et Camus aussi ». Dans Rêves de transition le narrateur, à 107 ans, décide de passer à l’étape suivante et de transférer sa conscience dans un robot pour poursuivre son existence. Mais passage obligé au moment du processus de numérisation, il va vivre des rêves de transition, dont il aura tout oublié au réveil. Que ce soit du point de vue de sa construction, avec une chute très bien tournée et un changement de paradigme dans le style de « ce n’est pas ce que vous croyez », et de par son contenu plus profond, cette nouvelle est un excellent texte. Des raisons d'être heureux navigue également dans les méandres de notre cerveau, et décortique la « machinerie du bonheur », d’une façon plus biologique cette fois, puisque la simple perte de leu-enképhaline, neurotransmetteur permettant de créer la sensation de bonheur, empêche le narrateur de vivre normalement, jusqu’à ce qu’un traitement révolutionnaire lui permette d’avoir accès aux schémas de bonheurs copiés sur d’autres individus : mais alors, comment choisir parmi tous les possibles ? Les nouvelles de ce recueil qui s’intéressent à notre cerveau l’appréhendent donc de façon biochimique. Cette référence à la biologie et ses évolutions se retrouve dans la seconde catégorie de textes.

En effet, une autre série de nouvelles s’empare d’un sujet controversé : la morale, les croyances, et les religions. Mais alors que dans les textes du recueil d’Axiomatique, cette thématique était parfaitement équilibrée et mêlée à l’exploration de l’identité et du réel, elles sont ici plus terre-à-terre en quelque sorte, pleines de bons sentiments mais ne parvenant pas à nous inspirer, laissant même parfois un goût de déception. Dans L’Eve mitochondriale, Greg Egan démontre l’absurdité de ceux qui utilisent le prisme ethnique pour différencier les individus et créer des conflits et rappelle que nous sommes tous frères et égaux, mais ce texte ne présente pas vraiment d’autre intérêt. Cocon, texte mieux construit sous forme d’enquête, met en garde contre les manipulations génétiques aux conséquences parfois inattendues et contre le contrôle à tout prix avant la naissance des enfants, risquant de stigmatiser certains individus. Là encore ce texte ne présente pas d’intérêt particulier, si ce n’est de défendre le droit à la différence (ici l’homosexualité). Avec Notre-Dame de Tchernobyl Greg Egan traite du symbolisme et des croyances religieuses, et plus largement de la compassion et de la motivation de nos actes, sans nous embarquer dans son récit. Seule Vif argent, parmi ces nouvelles axées sur la thématique des croyances, parvient à faire son effet. La génération des jeunes gens, contrairement à leurs parents, ne croient plus dans la pensée cartésienne et la science, et cherchent à se réfugier dans une quête spirituelle, dans le besoin de croire en l’existence des dieux plutôt que de supporter l’indifférence de l’univers. Une nouvelle maladie a vu le jour, impossible à guérir, et dont on n’arrive pas à déterminer la source de propagation. La narratrice a pour mission de pister la maladie, mais va trouver une vérité choquante. Greg Egan rejoint ici aussi l’existentialisme de Sartre - « II n’y a aucune leçon à tirer de la vie gâchée de votre fils. Aucune signification à trouver. Ce n’est qu’une danse aléatoire de molécules. ».

Enfin, ce recueil comprend deux textes plus difficiles d’accès, mais qui méritent de s’y arrêter, les plus hard-science, qui sont axés atour de l’exploit et des découvertes scientifiques bouleversant notre mode de pensée. La Plongée de Planck, la plus ardue de ces deux nouvelles, présente une interprétation de la mécanique quantique. L’auteur nous perd parfois un peu dans le déroulé de sa théorie, très complexe, mais il présente cette Odyssée des temps modernes sous un jour compréhensible, notamment par l’opposition de l’appréhension réelle de l’univers et de sa simplification symbolique. Cependant on s’interroge parfois sur le bien-fondé de sa pensée, car d’après ce texte, l’aspect littéraire et mythologique des faits, incarné par Prospero, le père narratologiste de Cordélia, imbu de lui-même et ridicule, serait moins valable que celui de la science pure. Or, pourquoi opposer si franchement les deux ? Si Greg Egan a une dent contre Baudelaire : « Si j’avais voulu ruminer sur la mort, je serais restée chez moi à lire de la mauvaise poésie organique. (…) Baudelaire peut aller se faire foutre », ce parti-pris étonne d’un auteur qui met justement en mots de façon symbolique ses axiomes scientifiques. Radieux quant à elle, la nouvelle qui a donné son nom au recueil, met en scène deux jeunes chercheurs qui ont découvert la discontinuité mathématique, une frontière où se confrontent deux univers aux règles mathématiques contradictoires – un peu comme dans Les Dieux eux-mêmes d’Isaac Asimov – et qui tentent de la protéger de la cupidité humaine : une belle mise en forme de la philosophie mathématique et de notre propension à être aveuglés par notre étroitesse d’esprit.

La maîtrise des textes courts

Greg Egan signe une seconde série de nouvelles globalement riches et fouillées, même si certains textes semblent plus anecdotiques que dans le précédent volume, et donnent donc lieu à un recueil moins homogène, avec pour meilleures nouvelles Monsieur Volition, Rêves de transition, Des raisons d’être heureux et Radieux. Utilisant presque toujours la première personne du singulier pour favoriser l’immersion, l’auteur nous entraîne de façon intense dans l’inconscient de ses personnages, comme un miroir de nos angoisses et aspirations. Greg Egan excelle véritablement dans le genre des textes courts, qui se prêtent tout à fait à la vive tension qu’il instaure pour mieux nous immerger dans sa propre pensée.

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