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Discipline
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Discipline

Paco Ahlgren est né en 1968 aux Etats-Unis. Après avoir fait partie de plusieurs formations musicales, en tant que compositeur, chanteur, guitariste et même violoncelliste, il obtient un diplôme dans la finance et travaille pendant vingt ans en tant qu'économiste, programmeur ou encore analyste. Discipline, son premier roman, a obtenu le Eric Hoffer Award, prix récompensant les livres publiés par des maisons indépendantes.
 
Descente aux enfers
 
Douglas Cole est un adolescent presque comme les autres : ses parents sont divorcés, son petit frère est asthmatique, il se fait embêter à l'école par deux brutes qui l'ont affublé du drôle de surnom Medecine Man et son temps libre se partage entre les échecs, le violoncelle, la drogue et un petit job où il aide Jack, le meilleur ami de son père, à réparer des ordinateurs. Sauf qu'il est capable de certaines choses, des choses auxquelles il refuse de croire. Un soir, sa vie bascule : son père et son frère trouvent la mort dans un accident de voiture.
Quelques mois plus tard, Douglas déménage à Austin, Texas, pour étudier l'informatique. Mais les études sont le cadet de ses soucis : depuis la tragédie, des fantômes hantent ses journées et des visions effrayantes ne le lâchent plus. Essayant de les repousser en utilisant des quantités toujours plus grandes de drogues et d'alcool, Douglas s'enfonce dans une spirale infernale. Après avoir touché le fond, il finira par trouver la rédemption. Mais à quel prix ?
 
Echec et mat
 
Pour un premier roman, Paco Ahlgren n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : physique quantique, univers multiples, économie et même échecs se mélangent allègrement. Si le mélange de ces thèmes forment un ensemble cohérent et captivant, il n'en reste pas moins indigeste parfois.
 
Le roman, qui se présente sous la forme d'un témoignage, peut être découpée en deux parties, à l'opposé l'une de l'autre. La première s'intéresse au Douglas d'avant puis d'après l'accident jusqu'à ce qu'il se retrouve au fond du trou. Fortement tournée vers l'émotion, on suit au plus près les épreuves que subit le personnage jour après jour, année après année. Rien ne nous est vraiment épargné et il en résulte un récit particulièrement éprouvant psychologiquement. Enfermé dans une spirale d'auto-destruction, Douglas Cole lutte contre ses propres démons sans vraiment pouvoir s'en éloigner. Il ne trouve qu'un répit, bien fugace, que dans les échecs et sa relation avec sa petite amie, dont il finira par s'éloigner de la plus abjecte des manières.
Mais cette partie, aussi éprouvante soit-elle, n'en est pas moins déconcertante : si quelques indices sur la suite du récit commencent à être disséminés, on s'interroge sur le bien fondé de la longueur de cette descente aux enfers. Etait-il nécessaire de s'attarder autant sur les épreuves qui s'érigent sur son chemin ? Un certain malaise s'en dégage, un voyeurise dérangeant qui ne peut se justifier que par une plus grande empathie pour le personnage... Car ce qu'il vient de vivre n'est rien comparé à ce qui l'attend.
 
La seconde partie commence après le salut de Douglas. Il comprend alors que lui seul peut mener à bien une mission cruciale, dont l'enjeu n'est autre que la sauvegarde du monde qu'il connaît. Afin de défaire cet ennemi invisible qui le traque depuis son enfance, il a à sa disposition une arme redoutable : l'économie. Si le récit avait été jusque là particulièrement difficile d'un point de vue mental, il prend une toute nouvelle dimension. Nous amenant dans un domaine qu'il connaît particulièrement, la finance, Paco Ahlgren joue avec une facilité déconcertante avec des concepts mêlant économie et métaphysique.
Après une première partie tournée vers l'affect, on se retrouve désormais dans une suite d'événements racontée de manière rationnelle. Douglas a quasiment banni tout sentiment et ne vit plus que pour et à travers les divers sujets qu'il étudie - économie mais également physique quantique, bouddhisme, etc. Les rares moments d'émotions se font à travers les nombreux accès de colère à l'encontre de Jefferson Stone, le mystérieux joueur d'échecs qui l'a aidé à s'en sortir, et Jack, le vieil ami de son père, qui a décidé de le prendre sous son aile. Ces accès de colère - vite lassants de la part d'un adulte confronté à ce genre de situation depuis des années - sont le reflet de la possible frustration du lecteur face à ce mutisme partagé. Car les révélations viendront en leur temps et il faudra être patient avant de savoir la nature de cet ennemi et si, oui ou non, Douglas parviendra à en triompher. Malgré ces longueurs et des réflexions parfois tortueuses - à la limite de l'abscons pour le novice - la fin, même si largement prévisible, se révélera à la hauteur de l'aventure. 
 
Discipline n'est pas un mauvais livre, au contraire : il fait simplement partie de ces romans dont on ne sait pas très bien si on a adoré ou détesté, tellement le chemin fut parfois laborieux... mais nécessaire vu la récompense à la clé. Intelligent et exigeant, il reste un expérience de lecture réellement originale dont les éléments science-fictifs sont, au final, assez discrets. Plus que la résolution en elle-même, et la révélation finale, c'est avant tout le cheminement de Douglas Cole qui est important. La place de l'humain, ses doutes, ses faiblesses, ses victoires, son opiniâtreté... tout ce qui fait de nous des humains, dans nos pires comme dans nos meilleurs moments. Une ode au courage et à la persévérance, qui prouve que l'on peut se relever même après les pires épreuves... et qui montre que le futur n'est pas une machine inexorable mais qu'elle peut être pliée à notre volonté, pour peu qu'on s'en donne les moyens.
 
Avec Discipline, Paco Ahlgren prouve qu'il est une voix singulière dans cette littérature transgenre et un auteur à suivre. On espère que ce premier roman, injustement passé inaperçu à sa sortie, ne sera pas son seul coup d'éclat. 

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