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Interview Justine Niogret
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Interview Justine Niogret

Actusf : Comment est né ce roman ? Qu'est-ce qui t'a donné envie de l'écrire ? 
Justine Niogret : L’argent. Je voulais beaucoup d’argent, et la reconnaissance de tous. Alors je me suis dit, « Justine, qu’est-ce que tu pourrais écrire ? » et là, la réponse, fulgurante ; un roman d’amour post-apo. Un monde mort, un dieu méprisant, une église moribonde, des survivants terrifiés et un temps aboli ; je pense que c’est vendeur. À mort. Presque autant que les Télétubbies en slip.  
J’ai commencé à penser à ce roman y a un bon bout de temps, je dirais six ou sept ans. Un évènement désagréable, la perte (ou la gelure) de certains idéaux, de certains principes. On dit souvent qu’écrire est une psychanalyse, je ne trouve pas, quant à moi. Mais ce livre là m’a fait mal, m’a forcée à regarder et étudier des choses qui m’avaient blessée, des pertes irrémédiables, des adieux, des choses pas forcement faciles. Il m’a fait avancer, aussi. Avancer comme dans « poussé par un tank sur une pente savonneuse ». Mais je ne réponds pas des masses à ta question, alors ce roman est né de mes adieux à plein de choses. Voilà. Je les regarde maintenant de loin, avec un bras de mer entre nous. J’ai le cœur un peu plus léger. Mais les Havres Gris sont encore loin. Ou pas. 
 
 
Actusf : Parle-nous du personnage de Gueule de Truie. Comment le vois-tu ?
Justine Niogret : Je me souviens d’un brunch (car je brunche, parfois, mais rarement) où nous étions plusieurs auteurs à parler de nos persos, et nous avions tous dit à peu près en même temps, d’un air honteux, qu’on ne les voyait pas. Dans mon cas, j’aperçois une silhouette, en général, comme en contre-jour. Pas grand-chose de plus. Gueule, comme il est tout armuré, c’est un petit peu différent. Mais je pense qu’à force d’écrire, aussi, on voit en mots ; son masque, je sais l’écrire, mais pas le voir. 
Mais je le trouve beau, parce que c’est une grande part de moi qui a beaucoup aimé à sa façon, et j’ai énormément de tendresse pour lui. Alors il est beau. De toute façon. Pour moi, je veux dire. 
 
 
Actusf : Même question pour ton héroïne ?
Justine Niogret : Ah ! elle, elle vient d’une part de moi que je n’aime pas. Alors je me fous de sa gueule, un peu. Elle est maigrelette et blonde, les cheveux sales, elle a peur. Je ne la vois pas non plus. Je ne brode pas dessus. Gueule, je brode, mais ça va avec ses vêtements genre militaire, il lui faut bien des médailles. Il faut bien le décorer, Truie. Elle, non. Elle existe par elle-même ; elle n’a pas besoin de tuteur, mais c’est aussi parce qu’elle est toute molle. 
 
 
Actusf : La solitude des personnages, l'univers très dépouillé, l'absence d'espoir... en lisant ce roman on pense à certains livres de Thierry Di Rollo ou à La Route de Cormac McCarthy. Quelles sont pour toi les influences de ton roman ? Quelles images avais-tu en tête en l'écrivant ?
Justine Niogret : Je n’ai lu ni La Route ni Di Rollo. La route, ça fait plusieurs fois qu’on m’en parle en parallèle de Gueule de Truie
C’est très particulier de remonter la piste des influences, de ce qui a nourri un livre, une idée, un personnage. Ça fait très petit poucet, on se redécouvre, et je pense que les écrivains, allez, parlons uniquement de moi pour ne risquer de vexer personne, mais je me vois assez comme une machine à faire les steaks hachés ; on tasse de la bidoche et il en sort un livre. 
Mes influences… un de mes premiers amours, que j’avais oublié, retrouvé au hasard d’une bédé ; Bulrog, de la Quête de l’Oiseau du Temps. Je voulais être lui quand j’étais petite. Les masques, les visages cachés, les masques à gaz. La peur des autres, la haine de soi. La guerre sans armes, celle qu’on a en soi et qui mord. Tout ce qui parle de ça. Une désespérance qui n’arrive pas à tuer ce qui reste de chaud tout au fond de soi. La terreur de se relever chaque matin, la terreur d’arriver à un matin où on ne le fait plus. Le courage en même temps que la trouille. Ça fait plein d’influences, parce que plein de choses parlent de tout ça. Jason Voorhees, son silence et sa haine, et sa blessure profonde. Avoir faim, et que jamais rien n’aie le goût qu’il aurait fallu pour rassasier. La peur sublime et les charges de cavalerie au petit matin. Tout ce qui parle de ça, des sentiments trop grands pour le monde tel qu’il est.
 
 
Actusf : Comme pour certaines de tes nouvelles, je pense aux « Rivages extrêmes de la mer intérieure », le cadre est très dépouillé. Tu abordes assez peu les raisons de l'apocalypse et ce qui a mené l'humanité vers l'anéantissement. C'est une volonté pour te concentrer sur tes personnages et leur histoire ?
Justine Niogret : Quoi que je fasse, le cadre de « mes » histoires reste dépouillé. C’est un rapport que j’ai avec le monde, j’imagine que ça se voit et ça se sent dans ces livres. 
Les raisons de l’apocalypse, je voulais surtout parler d’un monde où l’information n’existe plus, où quoi qu’on fasse on ne peut pas savoir. Aujourd’hui on a des données extrêmement précises sur presque tout, on a perdu la liberté (ou la bêtise) d’imaginer, de ne pas savoir tout à fait, d’être confronté aux limites floues des choses. Je trouve que souvent la vie a des frontières bien plus élastiques qu’on ne le pense, et que beaucoup de vérités peuvent cohabiter sans qu’une soit plus juste ou plus réelle que les autres. Alors dans Gueule, chacun raconte son apocalypse, et si je n’ai pas posé ça sur le papier dans ce sens, en tout cas ça correspond à l’image que j’ai de la vie et des choses. 
 
 
Actusf : J'ai évoqué l'absence d'espoir. L'atmosphère est assez étouffante. Est-ce que ce roman a été difficile à écrire ?
Justine Niogret : Trèèèèèès. Mon dos a cassé pendant, je suis certaine que c’est la faute de Gueule de Truie. Il vouait sortir à sa façon, et il m’a simplement défoncé une vertèbre et les nerfs, parce que c’est sa façon de dire coucou. Je regrette rien, mon dos était une belle aventure en soi, mais ça occupe pas mal, quand même. J’avais déjà eu des passages désagréables avec mes livres précédents (certains diraient même qu’ils sont en eux-mêmes des passages désagréables, j’suis sûre) mais rien d’approchant de la dureté de ce livre quand je l’ai écrit. C’est vraiment une rencontre entre un livre et un auteur, à chaque fois c’est différent. Ça faisait mal mais de toute façon faut bien s’y mettre. Sinon, quand est-ce qu’on bosse ? 
 
 
Actusf : Un mot sur la religion qui commande à ses sbires de détruire tous les infidèles. Tu avais envie de dénoncer en quelque sorte la religion et ses dérives ?
Justine Niogret : Absolument pas. Dans Gueule de Truie les pères de l’Église ont mis en place un système qui tue tous les survivants. L’appartenance des gens à l’Église ou pas, une foi ou pas, n’a pas d’incidence. J’ai tendance à croire que la religion peut être bénéfique, et une ouverture sur le monde, plus calme et sereine que d’autres. Alors de nos jours ça semble un peu crétin de soutenir cette position, mais je la soutiens quand même. Évidemment, il y a beaucoup de mal, de choses dures, voire horribles, qui se cachent sous des noms de religion. Mais il y a aussi du bon, monsieur Frodon, et des fois silencieuses et tendres qui se tournent vers les autres pour les aider. Je n’ai rien contre la religion, encore une fois extrêmes et jugements sans nuances mis à part. 
 
 
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Justine Niogret : Alors, j’ai fini mon livre sur Mordred, dont le titre, extrêmement original, est Mordred. Je travaille sur un livre steampunk aux éditions du Pré aux Clercs. Ensuite je ferai un livre de fantasy stupide et drôle chez Critic, et après… les gladiateurs, et je ne sais pas encore, quelque chose d’historique et vaillant, comme les Cosaques, ou Verdun. 
Merci de ton interview !!! 

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