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Interview 2016 : Fred Guichen pour Pigeon, Canard et Patinette
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Interview 2016 : Fred Guichen pour Pigeon, Canard et Patinette

 ActuSF : Votre novella Pigeon, Canard et Patinette, est parue en décembre 2015  aux éditions du Passager clandestin dans sa collection dyschronique. Pouvez-vous d'abord vous présenter s'il vous plait ?  Comment êtes-vous arrivé à l'écriture ?
 
Fred Guichen : J'ai longtemps écrit dans mon coin, assez irrégulièrement, par périodes. Au fil du temps, mes textes sont devenus de plus en plus longs et structurés, et l’écriture m’est finalement devenue nécessaire, comme manger ou faire de l’exercice. J'ai progressé lentement, mais à force d'additionner les mots, les premières nouvelles lisibles ont fini par émerger. Pour moi, lecture et écriture sont les deux aspects d'une même activité, deux manières de l'aborder, pas aussi dissemblables qu'elles en ont l'air. Et j’aime assez les livres pour avoir sérieusement étudié la reliure d’art et la dorure sur cuir. L'envie de participer à l'aventure de la science-fiction a fait le reste, j'ai répondu à des appels à textes, eu le plaisir de partager mes histoires avec quelques lecteurs et fait connaissance avec une communauté de gens toujours intéressants... 
 
 
ActuSF : Pigeon, Canard et Patinette est le résultat d'un concours d’écriture lancé par le passager clandestin sur les thèmes : de la terreur nucléaire, du complexe militaro-industriel, du mensonge d’État et du contrôle politique. Comment avez-vous fait pour "digérer" tout ça et proposer finalement cette novella ? 
 
Fred Guichen : Comme je suis plutôt nonchalant, les appels à textes sont des auxiliaires précieux. C'est souvent le cadre qui soutient ma flemme... Quand j'ai lu la nouvelle de Jean-Pierre Andrevon, pour voir si le sujet m'intéressait vraiment, j'y ai senti la présence d'éléments qui ont provoqué ce premier déclic dont j'avais besoin, cette ambiance lourde et saturée de peur, et une question que j’ai trouvée importante : comment garder l'espoir dans des conditions de survie aussi terribles ? De plus, il y a la Faute aux conséquences tragiques commise par un État qui, après avoir créé les conditions de l'accident, tente de se défausser de ses responsabilités en laissant les victimes dans l'ignorance. J'ai ensuite parcouru quelques bilans sur l’état de la région de Tchernobyl presque trente ans après, et bien sûr à propos de Fukushima. C'est en lisant un reportage sur un paysan qui a décidé de rester dans la zone d'exclusion autour de Fukushima pour s'occuper des animaux que j'ai trouvé l'angle selon lequel j'allais aborder l'histoire : des êtres vulnérables qui parviennent à vivre de façon exemplaire en dépit des difficultés. Une adaptation du Living clean in difficult circomstances, le fameux dicton mod.
 
ActuSF : Il y avait du beau monde dans le jury  : Jean-Pierre Andrevon,  Nicolas Bayart, Dominique Bellec, Frédérique Giacomoni, Philippe Lécuyer, Étienne Angot, Mathias Échenay, Hubert Prolongeau… Qu'est ce que vous a fait de vous découvrir vainqueur — et d'avoir une postface signée Jean-Pierre Andrevon ? 
 
Fred Guichen : Je suis fasciné par la SF depuis que je sais lire, alors avoir une place dans le même catalogue que Robert Sheckley et Poul Anderson, c'est un peu comme poser le pied sur Vulcain ou Trafamaldore ! La réaction de ceux qui ont choisi ma nouvelle, et qui sont tous des gens avec lesquels je partage certaines valeurs morales, est tout aussi importante. L'existence d'éditeurs engagés et indépendants est indispensable, aujourd’hui plus que jamais. Ca démontre qu’acheter un livre peut encore signifier autre chose que consommer de la culture, certaines lectures peuvent stimuler un engagement social. Quand à la postface de Jean-Pierre Andrevon, c'est vraiment un cadeau magnifique de la part d'un auteur qui occupe une place importante dans la SF francophone.  
 
ActuSF : Pouvez vous nous parler du Secteur, ce bout de terre isolé – et effacé des cartes de France – qui sert de cadre à votre  récit ?

Fred Guichen : J'ai un lien assez fort avec la Bretagne. Le Secteur, c'est un peu un mélange de la centrale qui a failli être construite à Plogoff, et de celle qui a été fermée à Brennilis, pas très loin du village dont ma famille est originaire, dans les monts d'Arrée. Pour l'aspect lié à Plogoff, il y a une lutte populaire et les années soixante-dix, pour celle de Brennilis, les souvenirs d'un oncle qui y a travaillé. Cette région imaginaire, effacée des cartes, c'est aussi un peu le symbole d'une culture, d'une langue qui disparaissent à force d'être niées. Un peu comme les problèmes liés au nucléaire, que l'on efface en les dissimulant au regard public. Et j’ai mélangé tous ces thèmes pour en tirer un décor…
 
 
ActuSF : Vos héros sont tout aussi singuliers. Pouvez-vous nous les présenter ? 
 
Fred Guichen : J'ai entendu parler du Contremaître, Pigeon, Canard et Patinette depuis ma plus tendre enfance ! C'étaient des collègues de mon père, qui faisait les trois-huit dans une usine, dans les années soixante-dix. Lorsque j'ai eu besoin de personnages, ces noms se sont pratiquement imposés à moi ! Le véritable Patinette avait un pied bot, Canard avait une démarche très particulière aussi, le Contremaître surveillait tout le monde... La première fois que j'ai relu ma novella, j'ai eu l'impression de voir les Freaks du superbe film de Tod Bowning, il ne m'est resté qu'à forcer un peu le trait et leur donner cette tendresse que je souhaitais mettre en relief. Comme à chaque fois que j'écris, même si je n'en suis pas toujours conscient sur le moment, je suis accompagné par un certain nombre de fantômes. Mais à cinquante ans, ça n'a rien d'étonnant, je suppose...
 
Actusf : Pigeon, Canard et Patinette est une critique sociale mais elle ne manque pas d'humour, loin de là.  Mélanger le Noir et le rire, cela vous semblait nécessaire pour aborder un sujet aussi important que le risque nucléaire ?  
 
Fred Guichen : Le rire est indispensable, c'est ce qui nous sauve et nous donne de l'énergie. Il n'y a que la joie, aussi éphémère soit-elle, qui puisse le faire. Le passage de la joie à la tristesse, c'est une dégradation de l'énergie (ça doit être de Spinoza, ou Simone Weil). Quand on est englué dans le Noir, il n'y a qu'un éclat de rire pour éclairer un peu le chemin qui nous permettra d'en sortir. Quand elles se prennent trop au sérieux, les sociétés renoncent à se soucier du bien-être de leurs membres. On peut le constater tous les jours, partout, dans le monde du travail comme en politique. Le risque nucléaire est sérieux, c'est pour cette raison qu'il est sain d'en rire. Sinon, on se contenterait d'avoir la trouille et personne ne pourrait agir...
 
ActuSF : Pigeon, Canard et Patinette va-t-il être le début d'une longue carrière d'écrivain ? Avez-vous d'autres projets d'écriture en cours ? 
 
Fred Guichen : J'ai déjà une longue carrière d'écrivant solitaire, avec des textes pas toujours au point. J'espère que Pigeon, Canard et Patinette marque une étape qualitative ! J'ai encore du travail à fournir pour m'améliorer, mais je ne suis pas pressé. Et puis j'ai toujours une histoire en cours. Je suis les conseils de Robert Heinlein : toujours avoir au moins un récit à l'étude chez un éditeur et un autre en cours d'écriture. J'ai donc une nouvelle qui devrait sortir dans une antho à une date encore indéterminée, une autre à l'étude, une en cours d'écriture... De temps à autre, je me lance dans un roman mais pour l'instant, rien de vraiment satisfaisant... A la prochaine tentative, certainement ! Et bien sûr, toujours les chroniques pour ActuSF...
 
ActuSF : Où les lecteurs pourront-ils vous rencontrer dans les mois à venir ? 
 
Fred Guichen : Le 30 janvier à la librairie Charybde, rien d'autre pour l'instant. Mais je suis assez facile à trouver sur ActuSF : il suffit d'écrire à l'Archiviste !
 
ActuSF : Le mot de la fin. Nous n'avons pas abordé vos influences littéraires. Quelles sont-elles ? Avez-vous un coup de cœur lecture à nous recommander pour ce début d'année ?  
 
Fred Guichen : En quarante ans de lectures, j'en ai eu des enthousiasmes ! Mes auteurs préférés sont nombreux, et pas seulement en SF : Dick, Sheckley, Simak, Vonnegut, Robert C. Wilson... Parmi les français remarquables, j'aime beaucoup les nouvelles de Sylvie Lainé, Léo Henry, Alain Damasio...  Sinon, je fréquente pas mal les œuvres d’Arto Paasilina, Andreï Kourkov, Wodehouse, j’aime aussi la poésie, dans un désordre éclectique (Guillevic, Supervielle, Dan Fante...) Parmi les lectures qui m'ont marquées ces derniers mois, j'ai pris énormément de plaisir à lire Le sentiment du fer de J.P. Jaworsky, et je suis encore sous le choc du livre fascinant de Christopher Priest, La fontaine pétrifiante, qui parle d'écriture, justement. 
 
 

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