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Interview 2018 : Isabelle Bauthian pour Grish-Mere
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Interview 2018 : Isabelle Bauthian pour Grish-Mere

ActuSF : Dans ce nouveau roman, nous allons découvrir Grish-Mère. Qu'est-ce que tu peux nous dire sur cette baronnie ?

Isabelle Bauthian : Grish-Mère est la seule baronnie de Civilisation (la monarchie fédérale où se déroulent les histoires des Rhéteurs) dans laquelle le pouvoir est détenu par des femmes. Comme c’est un allier politique, une grosse puissance commerciale, et une terre d’ingénierie navale et d’architecture de pointe, les autres baronnies sont obligées de la respecter… en apparences. Les baronnes successives de Grish-Mère ont construit leur État comme un refuge pour les femmes victimes d’abus en Civilisation, et ont étendu cette protection à d’autres populations en danger (mi-hommes, prisonniers en fuite, homosexuels, magiciens…), mais les hommes subissent plusieurs discriminations plus ou moins justifiées : ils ne peuvent hériter, n’ont pas accès à la citoyenneté, et sont globalement considérés comme des individus suspects.

Il y a, à Grish-Mère, un mélange de réelle bienveillance progressiste et de méfiance échaudée qui flirte avec la violence institutionnalisée.

ActuSF : Qui sont les factotums qu'on va croiser dans ce roman ?

Isabelle Bauthian : Les factotums sont des serviteurs de luxe, que s’arrachent à prix d’or les nobles de Landor, la baronnie la plus féodale. Ils sont formés dès leur plus jeune âge à être… disons des « experts en tout ». En tout cas, en tout ce qui peut être utile à un chevalier qui veut faire étalage de son rang. Héraldique, calligraphie, cuisine, médecine, couture, équitation, coiffure… et, bien sûr, combat à mains nues et maniement des armes. Je suis assez méfiante vis-à-vis de la connaissance pour le plaisir de l’accumulation de savoir. Je me demande toujours à quoi sert l’érudition si elle ne s’acquiert pas avec un minimum d’envie d’en faire quelque chose de constructif. J’ai créé les factotums en partie pour aborder ce sujet.

ActuSF : On va suivre Sylve comme personnage principal. Comment pourrais-tu nous le présenter ?

Isabelle Bauthian : Sylve est un factotum qui a failli. Victime d’un escroc de génie, il a causé le vol d’une statuette religieuse ayant appartenu à son maître, ce qui le déshonore lui-même, mais aussi sa patrie, et ses pairs. Au lieu de se soumettre à la justice, il décide de s’enfuir, et de récupérer lui-même l’objet et le bandit, dont il sait une seule chose : ils se trouvent à Grish-Mère. Sylve est à la fois un expert et un gars très naïf. Il a été élevé dans un but donné, on lui a répété toute sa vie qu’il était une élite au service d’une autre, et il se retrouve dans un monde qui non seulement ne le respecte pas d’emblée, mais se fiche complètement de ses états d’âme. Il est pétri de frustrations dont il n’a pas conscience, et qui ne demandent qu’à exploser, ce qui est un peu dangereux de la part d’y type qui peut vous fendre le crâne d’un seul geste. C’est aussi un personnage qui manque énormément de recul sur lui-même, et c’est la première fois que j’écris un récit en suivant le point de vue d’un tel individu. Son voyage, et son obsession pour l’homme qui l’a manipulé, vont l’obliger à affronter des éléments de son être dont il ne soupçonnait pas l’existence, ou qu’il rejetait violemment. 

 ActuSF C'est une histoire de trahison et d'injustice, qu'avais-tu envie de faire ou de dire dans ce roman ?

Isabelle Bauthain : Il y a beaucoup de thèmes qui s’entrecroisent. À la base, c’est la quête d’un guerrier trahi pour, en effet, réparer une injustice. Il y a des combats, de la magie, une enquête maladroite… Ça parle de religion, d’oppression, de différentes visions du féminisme, de conventions sociales… Mais mon thème principal est, je crois, l’érudition et ses limites. À quel point nos connaissances peuvent-elles nous servir dès lors que nous sortons de notre zone de confort ? Sont-elles une qualité plus ou moins utile que la sagesse, par exemple ? Ou que l'empathie ? Ou la débrouillardise ? Les potentialités et les limites du savoir sont au cœur de ce roman. Nous sommes à une époque de rhéteurs, qui favorise les grandes gueules et les combinards, aux dépens parfois des érudits pétris d’honneur. On peut le déplorer. Mais cette perte de valeurs est associée à une obligation de, précisément, réfléchir à ce que l’on considérait comme des principes fondamentaux, à les remettre en perspective, et à faire nos preuves, ce qui me semble très positif.

ActuSF : Parle-nous de la Guilde des épiciers, qui sont-ils ?

Isabelle Bauthian : Civilisation est un petit pays sur une grande planète, constamment menacé d’invasions. Sa pérennité repose sur un équilibre très précaire de pouvoirs qui, à la base, sont complètement antagonistes, mais n’ont d’autre choix que de s’allier pour survivre. On a, officiellement, le roi, les barons, les chevaliers… et les guildes, qui sont les autorités roturières. Un peu comme les citoyennes de Grish-Mère, elles ont acquis leur puissance par elles-mêmes, et sont méprisées par ceux qui en ont hérité. Pour prendre la tête d’une guilde, et le nom de son fondateur, il faut partir de rien et, par son intelligence, son talent ou ses calculs, prouver qu’on est à la hauteur de la tache. La Guilde des Épiciers est l’une des les plus redoutables, car ses productions vont du poivre pour la soupe aux médicaments les plus recherchés, en passant par les psychotropes qu’on se refile, selon les lois de chaque baronnie, plus ou moins sous le manteau. Thélban, son futur chef, qui apparaissait déjà dans Anasterry, est un des plus jeunes héritiers de guilde de l’Histoire, et un personnage très ambigu, à la fois visionnaire touche à tout, humaniste engagé, et manipulateur doté d'une ambition démesurée, ne reculant pas devant grand-chose pour la nourrir.

ActuSF : Est-ce que tu peux nous dire un mot sur le suivant? Qu'as-tu en tête ?

Isabelle Bauthian : Le prochain volume se déroulera à Montès, et prendra, pour la première fois, le point de vue d’une héroïne. Montès est une baronnie martiale, à la frontière d’Outre-Civilisation, et les presque quarante années de paix qu’a connues le pays sont peut-être bien sur le point d'arriver à terme. Il s’agira encore une fois d’un récit indépendant (seul le cinquième tome donnera une conclusion générale à une intrique secondaire que j’espère développer subtilement dans les quatre premiers, l'idée étant qu'elle ne génère aucune frustration pour quelqu'un qui ne lirait qu'un des livres). Ce sera le tome avec le plus d’action et d’aventure pure, avec une ambiance très guerrière, et j’y parlerai de l’engagement militaire, du patriotisme face aux bouleversements de l’Histoire, de la notion de « terre de ses ancêtres » que j’avais brièvement évoquée dans Anasterry, et des compromis politiques. Mmm… ça fait du boulot. Il va falloir s’y mettre !

 

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