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Interview 2018 : Marie Brennan pour Minuit jamais ne vienne
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Interview 2018 : Marie Brennan pour Minuit jamais ne vienne

ActuSF : Minuit jamais ne vienne (Midnight Never Come) va bientôt paraître aux Éditions L’Atalante. Après la très british Lady Trent dans Une Histoire Naturelle des Dragons, nous voici à Londres au seizième siècle. Qu’est-ce qui vous plaît tant en Angleterre ? L’atmosphère ? L’histoire ? Les deux ?

Marie BRENNAN : C’est un peu un hasard que j’écrive tant sur l’Angleterre. Pour la série de la cour d’Onyx, cela a commencé quand j’ai créé un jeu de rôle situé à Londres à différentes époques. J’ai choisi Londres comme décor pour ce jeu car cela me facilitait les recherches (c’était bien plus facile que Bagdad, disons), et parce que j’avais besoin d’un endroit qui avait été continuellement occupé depuis le quatorzième siècle (ce qui excluait toutes les villes des États-Unis). Alors, quand certaines parties de ce jeu se sont transformées en romans de la cour d’Onyx, le décor de Londres est resté.

Ces livres ont ensuite eu une influence sur Lady Trent. J’ai fait des recherches sur l’histoire intellectuelle de l’Angleterre pour des tomes ultérieurs de la cour d’Onyx – le bas-bleuisme et autres – ce qui signifie que le personnage s’est naturellement détaché de l’arrière-plan. Mais même si Lady Trent est d’origine anglaise, elle passe beaucoup de temps à l’étranger. Pour moi, cela faisait partie des points attrayants de la série : j’ai étudié l’anthropologie, j’aime donc beaucoup faire des recherches sur des lieux qui ne sont pas l’Angleterre. C’est pourquoi je dis que c’est un hasard que j’écrive une histoire basée sur la Grande-Bretagne, car je préfère en général faire des recherches bien plus larges.

ActuSF : Minuit jamais ne vienne fait appel à un contexte historique. Quel genre de recherches avez-vous fait pour ce roman ?

Marie BRENNAN : Pendant que j’écrivais la série la cour d’Onyx, j’y faisais référence – en blaguant à moitié – comme à mon propre doctorat d’histoire anglaise. J’ai fait des tonnes de recherches pour ces livres. Vous pouvez trouver la bibliographie pour Minuit jamais ne vienne ici  et elle est bien plus courte que celle des autres livres, car pour celui-ci je ne faisais que goûter l'eau. J'ai tout lu sur la vie à l'époque Élisabéthaine, sur le folklore féérique, sur la géographie de Londres, sur l'histoire architecturale, sur les biographies des personnages emblématiques et sur l'astrologie de la Renaissance.

"Je suis allée à Londres pendant une semaine pour faire mes recherches sur place" 

Et je suis très heureuse d’avoir effectué tout ce travail. Non seulement parce que cela a apporté du contenu à mon roman, mais aussi parce que cela m’a appris à penser mes cadres plus en détails, même quand je les imagine. Je suis allée à Londres pendant une semaine pour faire mes recherches sur place, et quand j’ai visité Hampton Court Palace, j’ai appris que les bâtiments de l’époque n’étaient généralement pas construits avec des couloirs qui reliaient chaque chambre, mais qu’une chambre donnait directement sur une autre. Pas de couloirs ! C’était le genre de chose auquel je n’aurais même pas pensé – en fait, j’avais déjà écrit une scène dans laquelle deux personnages se parlaient tout en marchant dans un couloir, car pour moi, c’était évident. C’est exactement de ça dont je parle. Un nouvelle fois, la série de la cour d’Onyx a influencé les mémoires, car elle m’a obligé à faire bien plus attention aux petits détails de fonds.

ActuSF : Après les dragons dans les mémoires de Lady Trent, nous rencontrons maintenant une autre sorte de créature fantastique : les fae. Sont-elles les fae anglaises que l’on a l’habitude d’imaginer ? Comme les célèbres Titania et Oberon de la légende ?

Marie BRENNAN : Oui ! La plupart de mes personnages féériques sont inventés, mais certains viennent directement du folklore existant, et même celles que j’ai inventées sont tirées de vraies fées comme les hobs, les church grims et les skrikers. Ce qui m’a intéressé, quand j’ai commencé mes recherches sur le folklore, c’était de voir à quel point ce qui m’était familier était en fait d’origine irlandaise, écossaise ou galloise, plutôt qu’anglaise. Et après avoir établi ça, la majorité du folklore anglais vient de Cornouaille ou du Yorkshire, à savoir la périphérie du pays. Il n’y a presque rien venant des Midlands ou des environs de Londres. Bien entendu, ils ont bien dû avoir leur propre folklore féérique ; c’est juste qu’à l’époque où les gens ont commencé à aller rassembler ces histoires, elles étaient déjà en grande partie éteintes. Cela s’est donc révélé être un vrai défi, parce que je ne voulais pas écrire une de ces histoires dans lesquelles toutes les créatures féériques se retrouvent mélangées ; je voulais faire attention aux différences régionales.

ActuSF : Londres a sa reine, Elisabeth, et les fae ont la leur : Invidiana. Qui est-elle ? Les deux reines sont-elles liées – par l’amitié ou par la guerre ? Invidiana et sa cour vivent dans une sorte de monde fantastique sous Londres, n’est-ce pas ?

Marie BRENNAN : Je ne pense pas que ce soit trop en dévoiler que de répondre à cette question, car on y répond dès le prologue... Elisabeth et Invidiana ont conclu un pacte. Elles se sont aidées l’une l’autre pour l’accession à leurs trônes respectifs, alors que la sœur d’Elizabeth, Mary, était Reine d’Angleterre, et ce pacte les lie depuis. Mais ce n’est pas vraiment de l’amitié, car Invidiana n’est pas vraiment très amicale. Elle est insensible et sa cour sous Londres est en quelque sorte un reflet plus sombre de la cour d’Elisabeth à la surface. La tension qui relie ces deux personnages influe beaucoup sur l’action du roman.

 Un extrait pour Minuit jamais ne vienne

ActuSF : Nous allons suivre deux personnages, tous deux courtisans : la fae Lune et un gentleman mortel Michael Deven. Pourriez-vous nous en dire plus à leur sujet ?

Marie BRENNAN : Ces deux-ci sont aussi des reflets l’un de l’autre, d’une certaine manière. Deven gagne en notoriété : son père et son grand-père ont acquis une telle richesse et un tel statut que Deven peut désormais intégrer la cour en tant que Gentleman Pensioner, qui est un drôle de nom pour la garde rapprochée de la Reine. (Ils sont l’équivalent des Yeomen de la garde, qui est un groupe un peu plus connu grâce à Gilbert et Sullivan.)

Lune, quant à elle, est en disgrâce. On l’a envoyé négocier auprès du « peuple des mers » – des sirènes et autres fées aquatiques – et bien qu’elle arrive à acquérir ce dont Invidiana a besoin, elle le paie bien trop cher. Tandis que la fortune de Deven s’agrandit, elle se bat pour survivre dans un environnement politique impitoyable.

  ActuSF : Même si les héros ont des buts différents, ils doivent quand même faire équipe. Pourquoi ? Veulent-ils tous deux découvrir la même chose ?

Marie BRENNAN : D’une certaine manière, c’est ça oui, même si ce n’est pas évident. Ils se rencontrent quand Lune doit s’infiltrer dans la cour d’Elisabeth déguisée en dame humaine ordinaire, et il s’avère que leurs problèmes respectifs ont une cause commune. Mais en dire plus reviendrait à révéler une partie importante de l’histoire, je vais donc m’en tenir à cela !

ActuSF : L’humour était présent dans Une Histoire Naturelle des Dragons. Qu’en est-il du ton de Minuit jamais ne vienne ? Plus sombre, peut-être ?

Marie BRENNAN : Oui, de manière générale il est un peu plus sombre. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’humour du tout ; les courtisans se doivent d’avoir de l’esprit et il y a des personnages secondaires qui sont bien plus joyeux. Mais les mémoires de Lady Trent avaient un côté pulp, tandis que la cour d’Onyx est beaucoup plus orientée vers l’intrigue et le drame politique.

ActuSF : Minuit jamais ne vienne est le premier roman de la série de la cour d’Onyx. Qu’en est-il des livres suivants ? Suit-on les mêmes personnages ?

Marie BRENNAN : Oui et non. Chaque livre se passe dans un siècle diffèrent : le seizième pour celui-ci, le dix-septième pour le suivant, puis le dix-huitième et le dix-neuvième pour les deux derniers. Donc, comme vous pouvez l’imaginer, les personnages mortels changent à chaque fois ! (… principalement. Il y a des flashbacks qui nous resituent des personnages des romans antérieurs, et quelques apparitions de fantômes.) Mais les personnages féériques, étant immortels, se retrouvent d’un livre à l’autre. Cependant, la focalisation change avec le temps, se déplaçant graduellement du niveau royal de la cour d’Onyx vers les rangs les plus communs chez les humains et les fae.

"Les mémoires de Lady Trent avaient un côté pulp, tandis que la cour d’Onyx est beaucoup plus orientée vers l’intrigue et le drame politique".

ActuSF : Un autre de vos textes vient d’être publié en français : la nouvelle « La Vague Grondante (The Rising Wave) » qui se passe dans l’univers asiatique de Legend of the five rings. Pourquoi avoir écrit cette nouvelle ? Car vous êtes fan du jeu de rôle Legend of the five rings ? Et/ou de la culture japonaise ?

Marie BRENNAN : Je ne savais pas qu’elle avait déjà été traduite ! C’est génial. J’étais une autrice freelance pour le Livre des cinq Anneaux depuis la version précédente du jeu de rôle. Ils viennent d’être rachetés par Fantasy Flight Games, qui m’a engagé ainsi qu’une douzaine d’autres auteurs novellistes pour faire avancer l’histoire principale du jeu de carte ; « La Vague Grondante » est la première histoire que je leur ai écrite. Mais oui, je m’y suis mise parce que j’aime autant le jeu de rôle que le Japon (qui est la source de mon intérêt pour le J.D.R). J’ai étudié la langue japonaise, l’histoire du pays, sa religion, son folklore – je suis aussi allée au Japon quatre fois, et ma sœur y a vécu à plusieurs reprises.

 La nouvelle La Vague grondante, dans l'univers japonisant du Livre des cinq anneaux (Fantasy Flight Games)

ActuSF : Quels sont vos projets en cours ?

Marie BRENNAN : À l’heure actuelle je travaille à un préquel indépendant des mémoires de Lady Trent. Il se déroule à peu près à l’époque de la parution des mémoires, et s’intéresse à sa petite-fille, à un marché d’antiquités et à la traduction d’une épopée perdue de la civilisation des draconiens. Je suis aussi sur le point de lancer un projet collaboratif pour Serial Box. Il est intitulé Born to the Blade, et c’est une fantasy politique épique qui se passe dans les airs, où des nations composées d’îles flottantes règlent leurs conflits par des duels à l’épée magique. Je l’écris avec Michael R. Underwood, Malka Older et Cassandra Khaw.

ActuSF : Est-ce que vous prévoyez de venir en France dans un avenir proche ?

Marie BRENNAN : Je devrais une nouvelle fois être aux Imaginales en mai ! Et j’ai vraiment hâte d’y être ; j’y ai passé un très bon moment il y a deux ans. Traduction des propos : Erwan Devos et Hermine Hémon

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