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Interview de Pierre Bordage
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Interview de Pierre Bordage

ActuSF : Comment est né La Fraternité du Panca ? Qu'as-tu envie de faire avec cette série ?
Pierre Bordage : D’abord repartir dans l’espace après un roman, Porteur d’Âmes, situé sur terre et dans un avenir très proche. Et puis, illustrer encore une fois (on ne se refait pas…) l’effet trame humaine à travers l’espace et le temps, concept que j’essaie de travailler sous d’autres formes dans les autres livres. L’attrait du voyage, du merveilleux, que permet le space opera. Le désir moteur, je m’en rends compte maintenant, a été de faire un vrai récit de voyage, avec des personnages attachants. Un peu comme on suivrait des émigrants de la fin du 19ème dans leur quête d’Amérique. J’aurais aimé le faire à la façon d’un carnet, avec des textes, des croquis et des dessins, mais techniquement, je ne suis pas à la hauteur pour ce qui concerne l’illustration. Outre la trame (symbolisée ici par la chaîne quinte) sont venus se greffer les thèmes qui me sont chers, les différentes façons d’interpréter le monde, les différents conditionnements, sociaux, religieux, politiques, sexuels… 

ActuSF : Dans le premier tome, on suit essentiellement deux héros dans leur parcours, Ewen et Olmeo. Ils sont à milles lieues l'un de l'autre. Comment pourrais-tu les présenter aux lecteurs qui n'ont pas encore lu le livre ?
Pierre Bordage : L’un, Ewen, est un frère du Panca, quelqu’un qui s’est engagé au service d’une organisation, et qui a perdu de vue son engagement. Il s’est marié, a eu une fille, attend un deuxième enfant, et, évidemment, c’est à ce moment-là que sa hiérarchie se manifeste, le contraignant à quitter son cocon familial, son bonheur tranquille, à partir sans espoir de retour (on retrouve là l’un des thèmes des Griots Célestes). Ewen est le premier maillon d’une chaîne quinte, une procédure d’exception qui ne se déclenche qu’en cas de danger très grave pour l’univers. Il part donc à la rencontre du 4ème frère, localisé sur une planète lointaine. Bien sûr tout au long du voyage, il va douter de son sacrifice, de sa hiérarchie, de son importance. C’est dans une lutte incessante contre ses doutes et ses regrets qu’il est principalement engagé. Olmeo, lui, est un garçon d’une communauté angélique du Pays Noir, dont la famille est contrainte de s’exiler parce que sa mère a commis l’adultère. Contrairement aux siens, opposés à la technologie, Olmeo a toujours rêvé de parcourir l’espace à bord des grands vaisseaux. La faute de sa mère lui offre une occasion unique de réaliser son rêve. Ce sont ses carnets de voyage qu’on lira, ses émerveillements, les heurs et malheurs ponctuant son périple, et puis, surtout, sa rencontre avec Sayi, une jeune fille étonnante.

ActuSF : Et que dire de ton univers ? Il y a des secteurs fortement technologiques avec d'immenses vaisseaux spatiaux pour traverser les étoiles, et en même temps des communautés presque renfermées sur elles-mêmes, très proches de la terre et sans beaucoup d'outils technologiques. Comment tu le vois cet univers où le communautarisme côtoie la multitude ?
Pierre Bordage : Je le vois comme une parfaite illustration du nôtre. Sur terre aussi, la technologie côtoie les communautés renfermées sur elles-mêmes. Il ne peut y avoir, à mon sens, de monde purement technologique ou purement communautariste. De nos jours aussi, les religieux se défient de la technologie, de nos jours aussi, on a des peuples qui restent arc-boutés sur leurs croyances (que je ne juge pas d’ailleurs, elles sont souvent riches d’enseignements, je n’ai aucune préférence, je pense que les deux, la technologie et la croyance, sont les meilleures et les pires des choses). J’avais envie de créer le décalage entre le monde d’Olmeo et le monde technologique, pour accompagner l’émerveillement d’Olmeo. Il m’intéressait de partir avec un personnage qui n’est pas blasé, qui a gardé cette capacité d’émerveillement.
 
ActuSF : Le site de l'Atalante évoque une "ode à la femme et au mystère de la vie". Pourquoi as-tu voulu explorer ces deux thèmes ?
Pierre Bordage : Je me suis fait incendier sur ce même site sur mon côté viol systématique à chaque page et mes femmes soit nunuches soit putains (en fait, je ne le pense pas, pas du tout, mais certains lecteurs — trices, argg, surtout ne pas oublier — ont interprété mes personnages féminins comme ça). Je n’avais pas l’intention de me racheter de mes très grandes fautes, d’écrire un hymne à la femme ou au mystère de la vie, mais à la fin du roman, quand on a fait le constat, Mireille et moi, on s’est rendu compte que, si on avait suivi deux personnages masculins tout au long du récit, les figures qui demeuraient, qui résistaient, étaient les femmes : la mère d’Olmeo, la fille d’Olmeo… et d’autres que je ne peux pas révéler ici au risque de dévoiler l’intrigue. Ce premier tome est d’essence féminine : les vaisseaux sont des ventres abritant la vie, les deux héros, Ewen et Olmeo, sont hantés (Ezalde) ou initiés par une femme (Sayi). Enfin, je sais maintenant que je suis un affreux féministe :-) Qui dit femme dit mystère de la naissance et de la vie (ah, mon côté affreux macho qui reprend le dessus…). En plus il y a dans le livre des retournements de situation qui illustrent à leur façon le mystère éternel du temps (je ne peux en dire plus, même sous la torture, d’ailleurs si on pouvait m’enlever les brodequins, merci).

ActuSF : Ce premier tome raconte le voyage des deux héros sur des planètes étrangères et dans de grands vaisseaux spatiaux. On peut dire qu'ils sont tous les deux arrachés à leurs habitudes. Est-ce que ça t'a permis de souligner encore plus le choc des aventures et des nouveautés qui les attendent plutôt que de mettre en scène un baroudeur habitué au coup de force ? Et qu'avais-tu envie de faire : les confronter à beaucoup d'événements pour que chacun des deux héros évoluent rapidement ? Une sorte de transformation intérieure ?
Pierre Bordage : Oui, bien sûr, la transformation intérieure, comme tout roman initiatique. Et les romans de voyage, parce qu’ils exigent de leurs héros des adaptations permanentes, rentrent évidemment dans le cadre du roman initiatique. À part Rohel, et peut-être un peu Tcholko, le nomade Tunguz de la steppe sibérienne dans Atlantis, je n’ai jamais travaillé avec un héros baroudeur type super héros. Je préfère partir avec ces personnages simples, confrontés à des épreuves qui vont les forcer à grandir (même Wang, avec son tao de la survie, fait partie des héros ordinaires). Les voyages, j’ai remarqué, multiplient les événements, tout simplement parce qu’on ne comprend pas toujours la langue ni les coutumes ni les conditions climatiques. Donc, il faut évoluer en accéléré, se transformer pour continuer. J’aime bien ça, confronter l’être ordinaire à l’événement exceptionnel. Mais, et c’est ma conviction la plus profonde, il n’y a pas d’être vraiment ordinaire…

ActuSF : On l'a dit, il leur arrive toutes sortes d'aventures. On a l'impression que tu t'es fait plaisir en multipliant les paysages étranges et les péripéties étonnantes, quitte parfois à ne pas trop les expliquer pour mieux se concentrer sur l'action. Est-ce que j'ai bon ? Y as-tu pris du plaisir ? As-tu toujours un émerveillement pour l'espace et le space opera ?
Pierre Bordage : Oui, je me suis fait plaisir, vraiment. Encore une fois, quand on voyage, on change sans cesse de paysages, de situations, de compagnons, et l’action est permanente. Et on n’a pas le temps de tout expliquer non plus, on en prend plein les yeux, plein la tête, sans toujours comprendre les mondes traversés. J’ai toujours un grand attrait pour le space opera, qui, pour moi, reste le terrain privilégié du merveilleux moderne. Je me retrouve comme quand j’avais vingt-deux ans et que j’ai découvert le premier volet de la Guerre des Étoiles (bon d’accord, ça ne nous rajeunit pas et je viens d’avouer mon grand âge) : l’éclate totale. Je suis un vrai gosse, et je pense qu’il faut garder une âme d’enfant pour écrire et lire des space opera.

ActuSF : Tu as déjà prévu cinq tomes. Pourquoi aussi long ? Et est-ce que ça ne te fait pas un peu peur quand même un projet aussi vaste ? Ou au contraire est-ce excitant de se dire qu'on a encore quatre tomes pour développer l'intrigue et l'univers ?
Pierre Bordage : Ben, je me suis fait piéger par le titre ! Panca veut dire cinq en sanskrit. Chaîne pancatvique ou quinte, pentale (animal à cinq ailes), tout est basé sur le cinq. Allez faire une trilogie avec ça ! Même pas peur dans la mesure où, de la façon dont j’ai agencé le cycle, il n’y aura pas d’effet de répétition ou d’impression de traîner en longueur. Bref, on va encore voir du pays, je vous le dis ! Oui, c’est plutôt excitant, parce que, si l’univers et la trame restent constants, les péripéties seront très différentes les unes des autres, enfin, j’espère.

ActuSF : Que peut-on dire déjà du tome 2 ? Que vas-tu nous raconter ?
Pierre Bordage : Rien, je ne peux rien en dire. Non, ne remettez pas les brodequins s’il vous plaît. Je ne peux rien dire parce que ce serait dévoiler la fin du premier tome, ce qui ne serait pas correct vis-à-vis des lecteurs.

ActuSF : Et hormis les quatre prochains volumes de La Fraternité du Panca, sur quoi travailles-tu ? Vas-tu sortir d'autres livres en parallèle ? Et sinon quelles sont tes envies ?
Pierre Bordage : Oui, je sortirai d’autres ouvrages en parallèle : un roman pour la jeunesse chez Flammarion, une uchronie sous l’égide d’Alain Grousset ; un Club Van Helsing ; un roman au Diable Vauvert, une anticipation très contemporaine, la veine que j’explore au Diable ; et puis je travaille actuellement sur un projet de feuilleton audio, oui, oui, et sur l’adaptation BD des Fables de l’Humpur… N’en jetez plus, ma coupe est pleine.

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