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Le Vin de minuit

Simon R. Green ( Auteur), Philippe Gady (Illustrateur de couverture), Thomas Delooz (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2007  -  livre
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Le Vin de minuit

Simon R. Green est un auteur anglais né en 1955 à Bradford-sur-Avon. Titulaire d’un diplôme de littérature moderne à l’université de Leicester, il se fait connaître avec la novellisation du film Robin des bois, prince des voleurs avec Kevin Kostner en 1991. En France, nous le découvrons avec la série de space opera Traquemort (L’Atalante), qui compte aujourd’hui huit tomes (six traduits en français). Il est également l’auteur, chez Bragelonne, des séries de fantasy Hawk&Fisher (sept tomes traduits), Nightside (trois tomes) et Forest Kingdom (un tome, La Nuit de la Lune Bleue).

Mystérie et Véritie en danger

Le Vin de minuit est un roman n’appartenant à aucune des séries phares de Green. L’action prend place à Bradford-sur-Avon, en Angleterre. Toby Dexter est un jeune homme banal, libraire à Bath, que sa vie ne satisfait nullement. Depuis quelques temps, il s’assoit en face d’une jeune femme dans le train le menant à son travail. Sans savoir qui elle est ni ce qu’elle fait, il en tombe amoureux. Un soir de pluie, une chose incroyable se produit : la femme fait apparaître une porte dans un mur de la gare, l’ouvre et disparaît derrière. Sur une impulsion presque inconsciente, Toby se décide à la suivre, et se retrouve au même endroit mais sous un magnifique soleil. Sans le savoir, Toby est passé dans le monde de Mystérie, univers parallèle où vivent des êtres surnaturels : dieux, loups-garous, créatures ancestrales… Et sans le savoir, il va jouer un rôle primordial dans un affrontement qui risque de détruire aussi bien Mystérie que Véritie, le monde réel.

Des personnages attachants

« Il avait erré sans but à travers les jours et les années, n’avait pas senti le temps passer jusqu’au jour où, regardant derrière lui, il s’était demandé ce qu’il en avait fait » : ainsi découvrons-nous Toby, personnage banal, médiocre, simple « bourdon anonyme de la grande ruche urbaine revenant toujours au même ouvrage, n’accomplissant rien, ne créant rien ». Le premier contact avec Le Vin de minuit est donc plutôt mélancolique, nous laissant suivre les pensées moroses de cet anti-héros proche de nous, et sans doute proche de son auteur (il est né au même endroit, et est libraire comme le fut Simon R. Green). Ce dernier choisit cependant un ton plutôt léger, parfois ironique et sarcastique, presque détaché, dans le but de dédramatiser : son intention n’est pas d’écrire un roman triste, mais au contraire d’insuffler un peu d’optimisme dans la vie d’un personnage a priori dans l’impasse. Le soin apporté à sa psychologie, même s’il peut sembler un peu trop appuyé par moments, est l’un des atouts du roman. Il en va de même pour les autres protagonistes, même secondaires, qui ressemblent au premier abord à des stéréotypes manichéens, mais qui révèlent petit à petit des nuances et des ambiguïtés inhabituelles, notamment chez les « méchants ». Ainsi Hob, le fils du serpent, vit dans l’ombre de son père, prisonnier du pouvoir de celui-ci et n’ayant pas repère personnel. De même Angel échappe-t-elle au cliché du démon : lorsque Hob lui demande si elle se sent bonne ou mauvaise, elle répond : « Peut-être qu’aucun des deux termes ne peut s’appliquer à moi ». Enfin, l’énigmatique Luna se révélera la plus intéressante de tous, malgré le peu de place qui lui est accordée.

Un univers sympathique et fantaisiste

Cette galerie de portraits attachants et surprenants s’allie à un univers bien sympathique. On parlait d’optimisme : Simon R. Green l’introduit grâce à Mystérie, sorte de monde parallèle fantasmatique – qui n'est pas sans rappeler celui de Neverwhere, de Neil Gaiman – où règnent la magie et les êtres fabuleux ou monstrueux, et où tout peut arriver. Il sera le décor idéal dans lequel Toby pourra enfin faire quelque chose de sa vie. On est pourtant loin d’un théâtre féerique à la Disney : entre les souterrains des promeneurs de la mort et la terre dévastée de Blackacre, le monde de Mystérie a des allures assez menaçantes. Mais le propos de Green n’est pas là : pour lui, Mystérie est le moyen de préserver le rêve, qui tend à disparaître dans notre bonne vieille réalité : « Les rares occasions où l’insolite insistait pour se frayer un chemin dans le monde réel, les gens tendaient la plupart du temps à l’ignorer le plus longtemps possible ». Le recyclage des légendes qu’il opère (nordiques, bibliques, grecques…) n’est pas anodin ni dénué de sens : il cherche à les faire revivre pour qu’elles ne meurent pas : « Les légendes qui se flétrissent et finissent par s’éteindre sont celles qui ne peuvent pas ou ne veulent pas évoluer ». Cette nostalgie d’une époque où l’imaginaire avait sa place transparaît explicitement dans un parallèle avec les années soixante, à travers une bande de hippies ayant délaissé Véritie pour intégrer Mystérie sous forme de souris : considérant que le vent de liberté et de bonheur de cette décennie chérie s’est tari devant le matérialisme et le pragmatisme des années soixante-dix, ils ont choisi la magie pour retrouver l’état d’esprit du flower power.

Simon R. Green parvient donc à nous séduire par cet univers fantaisiste et des personnages attachants, cohérents et nuancés. Malheureusement, cela ne suffit pas à faire du Vin de minuit un bon roman, car il lui manque l’essentiel : une intrigue.

Une intrigue qui ne décolle jamais

La première chose qui dérange dans la direction que prend l’histoire, c’est le côté « tout est écrit » du rôle de Toby. Dès son arrivée dans Mystérie, on sait qu’il a été choisi, que son destin est tracé – même si on ne nous révèle pas tout de suite quelle sera son implication. Cette ficelle est tellement éculée que l’on est vite déçu par l’auteur, qui aurait pu être plus inventif eu égard au monde qu’il a créé. Ensuite, l’intrigue n’est rien d’autre qu’une succession de discussions avec différents personnages de Mystérie. Gayle (celle que Toby a suivie dans le monde magique) et Toby cherchent, pendant tout le roman, à percer le mystère de la menace qui entoure les deux mondes, et c’est là l’unique fil de l’histoire jusqu’au dénouement final. A chaque rencontre, ils en apprennent un peu plus sur leur rôle et l’enjeu de leur quête, mais très peu de choses se mettent en place. On sent que Green tire à la ligne, et si la lecture n’est pas désagréable, elle manque sérieusement d’intérêt, excepté quelques passages réussis comme la mort artificielle de Toby.

C’est surtout la répétition d’un unique schéma narratif qui rend cette chasse aux indices monotone : chaque personnage sait « des choses que personne ne sait ni ne voudrait savoir », les dit à Gayle et Toby après quelques digressions, et les renvoie vers une nouvelle personne à contacter. Finalement, l’intrigue n’avance que par des paroles (souvent répétitives, d’ailleurs) et non par des actes. Au début du roman, cette méthode n’est pas particulièrement gênante puisqu’elle permet d’en apprendre plus sur l’univers de Green, mais elle devient vite lassante. Et même la révélation finale, dont l’ampleur supposée nous est rebattue tout au long du roman, tombe à plat. La transition entre le Toby-jouet-du-destin et le Toby-héroïque-et-courageux est tellement abrupte et artificielle qu’on n’y croit pas une seule seconde.

Alcool frelaté

Si la première centaine de pages du Vin de minuit captive par la description de Mystérie et la découverte des personnages, les trois cents suivantes ne présentent que très peu d’intérêt. On a l’impression que Simon R. Green n’avait rien à raconter, que son univers n’était qu’un prétexte à une métaphore sur l’importance des rêves et des légendes, et la menace de leur disparition. Si bien que ce Vin de minuit laisse un goût de bouchon désagréable, un sentiment de déception face à ce qu’il aurait pu être avec une intrigue. Certainement pas un grand cru...
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