ActuSF : Commençons par le commencement, comment êtes-vous tombé dans la fantasy ? Quand et comment avez-vous découvert et apprécié ce genre ?
Mathieu Gaborit : Par la faute d’une boîte rouge que les amateurs connaissent bien : Advanced Dungeons&Dragons. J’avais 11 ans. C’est pour moi la première émotion de fantasy palpable. La sensation de découvrir quelque chose de nouveau, d’inattendu, de différent. Quelque chose que j’attendais sans le savoir, à coup sûr. La suite, Leiber, Moorcock, Howard et Tolkien me l’ont offerte. Howard, surtout, parce qu’il est à la source d’une fantasy décomplexée, d’une sincérité absolue.
ActuSF : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'en écrire et qu'est-ce qui vous intéresse dedans ?
Mathieu Gaborit : L’élasticité du genre. Du point de vue de l’auteur, c’est une liberté promise, intrinsèque. La possibilité de façonner un univers sans contrainte à condition de le rendre cohérent et surtout crédible. J’aime cette crédibilité, le soin qu’on peut apporter à l’immersion du lecteur. Proposer une vraie alternative à l’échelle d’un monde et pas seulement une histoire et des personnages. La magie et l’enchantement propres à la fantasy sont des forces majeures et véritablement constitutives de notre imaginaire.
J’aime les idées fortes, les idées simples qui dominent un univers dont la complexité se révèle au quotidien, dans les détails. La fantasy procède de la même manière grâce au Moyen-âge. Sur des fondations identifiées et solides, l’architecte a toutes les libertés pour construire un rêve à sa mesure.
ActuSF : Vous vous êtes fait plus rare dans les librairies ces dernières années (en dehors des rééditions). Pourquoi ? Sur quoi avez-vous travaillé pendant ces années ?
Mathieu Gaborit : Plusieurs raisons. J’appartiens à la littérature populaire et à ce titre, je vis l’écriture comme un moyen. Le piège est là : je me suis confronté à une écriture mécanique qui, dès lors qu’elle vous engage des mois durant, devient particulièrement fastidieuse. Je n’ai pas su, pendant longtemps, renouveler mon plaisir d’écrire. La solitude m’a terrassé. J’ai manqué d’envie, j’ai manqué de volonté pour m’engager. J’ai commencé de nombreux bouquins sans en finir aucun, ou presque, affolé à l’idée d’assumer l’inédit, d’assumer cet effort au long cours. Je suis revenu à l’écriture par d’autres biais, notamment la commande et le Cycle des Ombres initié chez Rackham dans l’univers Confrontation. Un masque, un leurre pour ne pas affronter l’inédit, pour ne pas prendre de risques et confronter mes univers aux lecteurs.
J’ai lorgné du côté du livre illustré pour renouer avec le travail d’équipe, celui que j’avais tant aimé chez Multisim-Mnémos. Autant de moyens de revenir à l’écriture, de l’amadouer et retrouver un peu de courage.
ActuSF : Comment est née l'idée de Faery City ?
Mathieu Gaborit : Moderniser la fée, injecter le mythe dans le monde contemporain. Mettre en scène la fée dans un environnement urbain. La ville est un incroyable outil de l’imaginaire. J’avais envie, depuis longtemps, d’un panthéon urbain, d’une mythologie qui s’inscrive dans les rues de la cité.
ActuSF : Comment avez-vous rencontré Amandine Labarre et pourquoi avez-vous eu envie tous les deux de travailler ensemble ?
Mathieu Gaborit : Je suis tombé sur son site par hasard, à un moment où je cherchais un travail d’équipe. J’ai aimé son travail et j’ai envoyé un mail pour prendre contact, sans trop savoir où cela pouvait nous mener. Finalement, nos imaginaires se sont plutôt bien accordés. Je crois qu’on se retrouve sur le terrain de la sensibilité. Arcanes Féériques a été un succès. On a poursuivi à travers Faery City.
ActuSF : Qu'est-ce que vous aviez envie de faire en écrivant le scénario ?
Mathieu Gaborit : D’être moins crédible, paradoxalement. D’être en accord avec l’image. Suggérer plutôt que raconter. Je voulais que Faery City ressemble à une ballade un peu onirique, à ce qu’on peut éprouver sur les quais de la Seine, la nuit, quand on rentre d’une soirée bien arrosée. Comme si tout cela ne pouvait décidément pas être tout à fait réel, comme s’il fallait y lire l’empreinte du merveilleux.
ActuSF : Comment décririez-vous le personnage de Brune, cette ado prise entre la mort de sa grand-mère et un secret à découvrir ?
Mathieu Gaborit : Elle accepte l’enchantement qui est à l’œuvre. Brune est une adolescente qui veut y croire, qui peut y croire. Une fille curieuse, sensible et potentiellement apte à l’émerveillement. C’est l’histoire d’un regard, finalement. Son regard sur le monde et ce qu’il peut cacher.
ActuSF : Pourquoi y avoir adjoint un jeu de tarot ?
Mathieu Gaborit : Pour avoir un prolongement physique, un outil concret de cette magie urbaine. L’objet incarné permet, je crois, d’effleurer cette aptitude à l’émerveillement. On passe par le « toucher », la manipulation d’un outil imaginaire. Comme une passation de pouvoir, un moyen de transmettre l’histoire et s’assurer qu’elle vivra entre vos mains.
ActuSF : Vous avez réalisé plusieurs cycles, chacun d'eux étant construit autour d'un univers très particulier. Est-ce ainsi que vous concevez la fantasy : d'abord définir un monde puis y placer des aventures ?
Mathieu Gaborit : J’avais fini par croire le contraire et je me suis trompé. Ni l’un ni l’autre en fin de compte. C’est à coup sûr les grands principes qui régissent la magie d’un monde qui finissent par me convaincre qu’un univers mérite d’être raconté. C’est en tout cas le seul moment où, moi, je crois à ce que j’écris. La magie, au sens large, façonne la fantasy.
ActuSF : Que ce soit Les Crépusculaires, Les Chroniques des Féals ou Le Cycle des Ombres, vos univers laissent encore beaucoup de place pour de nouvelles histoires. Pensez-vous un jour ajouter des tomes à ces cycles ou estimez-vous que vous en avez fait le tour, qu'ils se suffisent à eux-même ?
Mathieu Gaborit : Je n’ai pas ce talent. Je me lasse trop vite. Pour écrire, j’ai besoin d’aller à la source.
ActuSF : Les Crépusculaires ont donné naissance au jeu de rôle Agone, Le Cycle des Ombres était associé à des figurines de jeu de plateau. Pensez-vous qu'il y ait une association naturelle entre l'écriture fantastique et le jeu ? Envisagez-vous aussi des extensions sous forme jouable des Chroniques des Féals ?
Mathieu Gaborit : Depuis peu, j’ai désacralisé l’écriture. Notre pays a une tradition littéraire compassée, trop souvent poussiéreuse. Les auteurs entretiennent malgré eux un fantasme dépassé, moi le premier. Ecrivons aussi pour divertir, pour raconter des histoires. Apprenons à le faire comme les Anglo-saxons. Le livre, que j’aime tant, vit avec ceux qui les dévorent sans complexe. C’est à eux que je veux parler, c’est à eux que je veux offrir de bonnes histoires, que je veux faire rêver.
L’écriture n’a pas le monopole de l’imaginaire, loin s’en faut. Le jeu doit muscler votre imaginaire. C’est ce qui m’importe, indépendamment des moyens mis à ma disposition. Finalement, ce n’est pas la dimension ludique qui m’intéresse mais l’opportunité d’être acteur de son imaginaire. Dans mes romans, je cherche la promesse d’une interactivité. Je laisse à dessein des « ombres et des silences » pour que ce lecteur soit aussi acteur de sa lecture.
Oui, donc. Il y a bel et bien, à mes yeux, une association naturelle entre l’écriture fantastique et le jeu.
ActuSF : Vos univers vont du gris moyen au noir complet. Est-ce un état d'esprit que vous préférez, ou pensez-vous un jour écrire des histoires plus chaudes et plus claires ?
Mathieu Gaborit : Peut-être. C’est à l’évidence plus difficile, j’ignore si j’en aurai la force.
ActuSF : Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Mathieu Gaborit : L’écriture d’un roman inédit de fantasy, la révision et la fin du cycle Bohème qui verra le jour en omnibus chez Mnémos, un travail continu en qualité de scénariste chez un éditeur de jeu vidéo, la création d’un jeu de rôle sur les Féals avec une équipe de jeunes auteurs pleins de talents et un projet éditorial « interactif » auquel je crois beaucoup.
Largement de quoi occuper l’année 2008.
Mathieu Gaborit : Par la faute d’une boîte rouge que les amateurs connaissent bien : Advanced Dungeons&Dragons. J’avais 11 ans. C’est pour moi la première émotion de fantasy palpable. La sensation de découvrir quelque chose de nouveau, d’inattendu, de différent. Quelque chose que j’attendais sans le savoir, à coup sûr. La suite, Leiber, Moorcock, Howard et Tolkien me l’ont offerte. Howard, surtout, parce qu’il est à la source d’une fantasy décomplexée, d’une sincérité absolue.
ActuSF : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'en écrire et qu'est-ce qui vous intéresse dedans ?
Mathieu Gaborit : L’élasticité du genre. Du point de vue de l’auteur, c’est une liberté promise, intrinsèque. La possibilité de façonner un univers sans contrainte à condition de le rendre cohérent et surtout crédible. J’aime cette crédibilité, le soin qu’on peut apporter à l’immersion du lecteur. Proposer une vraie alternative à l’échelle d’un monde et pas seulement une histoire et des personnages. La magie et l’enchantement propres à la fantasy sont des forces majeures et véritablement constitutives de notre imaginaire.
J’aime les idées fortes, les idées simples qui dominent un univers dont la complexité se révèle au quotidien, dans les détails. La fantasy procède de la même manière grâce au Moyen-âge. Sur des fondations identifiées et solides, l’architecte a toutes les libertés pour construire un rêve à sa mesure.
ActuSF : Vous vous êtes fait plus rare dans les librairies ces dernières années (en dehors des rééditions). Pourquoi ? Sur quoi avez-vous travaillé pendant ces années ?
Mathieu Gaborit : Plusieurs raisons. J’appartiens à la littérature populaire et à ce titre, je vis l’écriture comme un moyen. Le piège est là : je me suis confronté à une écriture mécanique qui, dès lors qu’elle vous engage des mois durant, devient particulièrement fastidieuse. Je n’ai pas su, pendant longtemps, renouveler mon plaisir d’écrire. La solitude m’a terrassé. J’ai manqué d’envie, j’ai manqué de volonté pour m’engager. J’ai commencé de nombreux bouquins sans en finir aucun, ou presque, affolé à l’idée d’assumer l’inédit, d’assumer cet effort au long cours. Je suis revenu à l’écriture par d’autres biais, notamment la commande et le Cycle des Ombres initié chez Rackham dans l’univers Confrontation. Un masque, un leurre pour ne pas affronter l’inédit, pour ne pas prendre de risques et confronter mes univers aux lecteurs.
J’ai lorgné du côté du livre illustré pour renouer avec le travail d’équipe, celui que j’avais tant aimé chez Multisim-Mnémos. Autant de moyens de revenir à l’écriture, de l’amadouer et retrouver un peu de courage.
ActuSF : Comment est née l'idée de Faery City ?
Mathieu Gaborit : Moderniser la fée, injecter le mythe dans le monde contemporain. Mettre en scène la fée dans un environnement urbain. La ville est un incroyable outil de l’imaginaire. J’avais envie, depuis longtemps, d’un panthéon urbain, d’une mythologie qui s’inscrive dans les rues de la cité.
ActuSF : Comment avez-vous rencontré Amandine Labarre et pourquoi avez-vous eu envie tous les deux de travailler ensemble ?
Mathieu Gaborit : Je suis tombé sur son site par hasard, à un moment où je cherchais un travail d’équipe. J’ai aimé son travail et j’ai envoyé un mail pour prendre contact, sans trop savoir où cela pouvait nous mener. Finalement, nos imaginaires se sont plutôt bien accordés. Je crois qu’on se retrouve sur le terrain de la sensibilité. Arcanes Féériques a été un succès. On a poursuivi à travers Faery City.
ActuSF : Qu'est-ce que vous aviez envie de faire en écrivant le scénario ?
Mathieu Gaborit : D’être moins crédible, paradoxalement. D’être en accord avec l’image. Suggérer plutôt que raconter. Je voulais que Faery City ressemble à une ballade un peu onirique, à ce qu’on peut éprouver sur les quais de la Seine, la nuit, quand on rentre d’une soirée bien arrosée. Comme si tout cela ne pouvait décidément pas être tout à fait réel, comme s’il fallait y lire l’empreinte du merveilleux.
ActuSF : Comment décririez-vous le personnage de Brune, cette ado prise entre la mort de sa grand-mère et un secret à découvrir ?
Mathieu Gaborit : Elle accepte l’enchantement qui est à l’œuvre. Brune est une adolescente qui veut y croire, qui peut y croire. Une fille curieuse, sensible et potentiellement apte à l’émerveillement. C’est l’histoire d’un regard, finalement. Son regard sur le monde et ce qu’il peut cacher.
ActuSF : Pourquoi y avoir adjoint un jeu de tarot ?
Mathieu Gaborit : Pour avoir un prolongement physique, un outil concret de cette magie urbaine. L’objet incarné permet, je crois, d’effleurer cette aptitude à l’émerveillement. On passe par le « toucher », la manipulation d’un outil imaginaire. Comme une passation de pouvoir, un moyen de transmettre l’histoire et s’assurer qu’elle vivra entre vos mains.
ActuSF : Vous avez réalisé plusieurs cycles, chacun d'eux étant construit autour d'un univers très particulier. Est-ce ainsi que vous concevez la fantasy : d'abord définir un monde puis y placer des aventures ?
Mathieu Gaborit : J’avais fini par croire le contraire et je me suis trompé. Ni l’un ni l’autre en fin de compte. C’est à coup sûr les grands principes qui régissent la magie d’un monde qui finissent par me convaincre qu’un univers mérite d’être raconté. C’est en tout cas le seul moment où, moi, je crois à ce que j’écris. La magie, au sens large, façonne la fantasy.
ActuSF : Que ce soit Les Crépusculaires, Les Chroniques des Féals ou Le Cycle des Ombres, vos univers laissent encore beaucoup de place pour de nouvelles histoires. Pensez-vous un jour ajouter des tomes à ces cycles ou estimez-vous que vous en avez fait le tour, qu'ils se suffisent à eux-même ?
Mathieu Gaborit : Je n’ai pas ce talent. Je me lasse trop vite. Pour écrire, j’ai besoin d’aller à la source.
ActuSF : Les Crépusculaires ont donné naissance au jeu de rôle Agone, Le Cycle des Ombres était associé à des figurines de jeu de plateau. Pensez-vous qu'il y ait une association naturelle entre l'écriture fantastique et le jeu ? Envisagez-vous aussi des extensions sous forme jouable des Chroniques des Féals ?
Mathieu Gaborit : Depuis peu, j’ai désacralisé l’écriture. Notre pays a une tradition littéraire compassée, trop souvent poussiéreuse. Les auteurs entretiennent malgré eux un fantasme dépassé, moi le premier. Ecrivons aussi pour divertir, pour raconter des histoires. Apprenons à le faire comme les Anglo-saxons. Le livre, que j’aime tant, vit avec ceux qui les dévorent sans complexe. C’est à eux que je veux parler, c’est à eux que je veux offrir de bonnes histoires, que je veux faire rêver.
L’écriture n’a pas le monopole de l’imaginaire, loin s’en faut. Le jeu doit muscler votre imaginaire. C’est ce qui m’importe, indépendamment des moyens mis à ma disposition. Finalement, ce n’est pas la dimension ludique qui m’intéresse mais l’opportunité d’être acteur de son imaginaire. Dans mes romans, je cherche la promesse d’une interactivité. Je laisse à dessein des « ombres et des silences » pour que ce lecteur soit aussi acteur de sa lecture.
Oui, donc. Il y a bel et bien, à mes yeux, une association naturelle entre l’écriture fantastique et le jeu.
ActuSF : Vos univers vont du gris moyen au noir complet. Est-ce un état d'esprit que vous préférez, ou pensez-vous un jour écrire des histoires plus chaudes et plus claires ?
Mathieu Gaborit : Peut-être. C’est à l’évidence plus difficile, j’ignore si j’en aurai la force.
ActuSF : Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Mathieu Gaborit : L’écriture d’un roman inédit de fantasy, la révision et la fin du cycle Bohème qui verra le jour en omnibus chez Mnémos, un travail continu en qualité de scénariste chez un éditeur de jeu vidéo, la création d’un jeu de rôle sur les Féals avec une équipe de jeunes auteurs pleins de talents et un projet éditorial « interactif » auquel je crois beaucoup.
Largement de quoi occuper l’année 2008.