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Mort d'Emmanuel Jouanne
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Mort d'Emmanuel Jouanne

Emmanuel Jouanne s’est donc éteint des suites d’une longue maladie, comme il convient de dire entre gens de bonne compagnie. Une bonne compagnie dont, toute sa vie il n’a guère eu cure. Né en 1960 à Caen, il se tourne assez rapidement vers la littérature, et publie, en blanche, dans la revue Minuit, des éditions du même nom.
Deux fois lauréat du Rosny, pour Nuage en 1983 et l’année suivante pour Ici-bas. Mais ce sont surtout ses positions très tranchées sur l’esthétique littéraire qui vont faire sa réputation. Il fonde, en 1986, le groupe Limite, avec ses complices en écriture Lionel Evrard, Frédéric Serva, Jacques Barbéri, et Jean-Pierre Vernay. Très rapidement, viendront s’y joindre Francis Berthelot et Antoine Volodine. Leur credo est le dynamitage des codes aussi bien formels qu’esthétiques de la SF. Cette collaboration se matérialisera en 1987 avec la parution en PdF de Malgré le monde, une anthologie signée collectivement, par le groupe.

La démarche est assez fraîchement accueillie, et on reproche souvent au groupe Limite de trop vouloir intellectualiser la SF. Le soutien de Jacques Chambon fera toutefois naître l’espoir d’une seconde anthologie, mais qui ne verra jamais le jour. Entre dissensions internes et malentendu avec les autres acteurs du milieu, Limite se délite doucement dans le courant de l’année 88.

Cette même année sort Le Rêveur de chats, le premier tome de son cycle Terre. Un cycle qu’il voulait construit à partir de la classification périodique de Mendeleiv, et qui demeurera inachevé, sur la sortie d’un second tome en 1989, La Trajectoire de la taupe. Un troisième tome, inédit, intitulé L’Apprentissage de la panthère, aurait du voir le jour.

Ensuite, Emmanuel Jouanne vivra dans un isolement volontaire, dont il ne sortira guère. Se consacrant à la traduction d’auteurs comme Dick – on lui doit celle de la Trilogie Divine –, Womack ou Lafferty. Il ne reviendra qu’assez épisodiquement aux affaires, comme en 2006 lorsqu’à l’invitation de Mathias Echenay, il accepte de participer à l’anthologie hommage Aux limites du son.

Emmanuel Jouanne était une personnalité atypique, profondément originale, à qui la rédaction de Bifrost avait consacré un numéro spécial en 2007. Le bonhomme avait de l’écriture et de son métier une vision singulière et définitive. Lors de la parution d’Aux limites du son, Mathias Echenay nous avait confié qu’il avait reçu sa nouvelle, Expériences en sous-sol, sur disquette. Comme il n’avait pas le net, c’est par téléphone qu’il l’avait contacté afin de savoir selon quelle modalités ils allaient pouvoir retravailler un peu le texte, et Emmanuel Jouanne avait simplement répondu : « Fais comme tu veux. C’est écrit, ça ne m’appartient plus. De toute façon, j’ai déjà effacé le fichier de mon disque dur. »

Puisqu’il a bien voulu nous les léguer, ses textes nous appartiennent. Il nous revient de les garder vivants.

Emmanuel Jouanne allait avoir 48 ans.


(Merci à RCW pour sa relecture)

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