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Bifrost 52 - l'Edito

Olivier Girard (Redacteur en chef), Michel Pagel ( Auteur), Sylvie Denis ( Auteur), Christian Vilà ( Auteur), Bernard Bitler (Illustrateur de couverture), Bruce Holland Rogers ( Auteur), Jeff Noon ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/10/2008  -  livre
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Bifrost 52 - l'Edito

Au sein d’une série marquée du sceau de l’anglo-saxonnie (Tim Powers et Lucius Shepard dans nos opus 50 et 51, China Miéville dans notre numéro 53 de janvier prochain), nous nous arrêtons ce trimestre sur deux auteurs français iconoclastes, des écrivains qui, s’ils sont sans doute peu ou mal connus par les plus jeunes de nos lecteurs, n’en représentent pas moins à eux deux l’essence de ce que fut pour beaucoup la science-fiction en France au tournant des années 80.
Il y a de nombreuses similitudes et pas mal d’exemplarité dans le parcours de Joël Houssin et Christian Vilà. Copains de longue date, issus d’un engagement politique marqué à la gauche de la gauche, amateurs des milieux interlopes et passionnés de courses hippiques, ils tentèrent d’apporter — côte à côte, notamment, dans l’anthologie Banlieues Rouges chez Opta — leur pierre à une S-F qui se voulait ambitieuse, engagée et expérimentale, en droite ligne de la new wave anglaise née dans les pages du New Worlds de Michael Moorcock. Tentative vouée à faire long feu tant nos deux compères seront vite rappelés à la réalité d’un impératif incontournable : en France, dans le domaine des littératures de genre, il faut produire pour vivre. Beaucoup. Jusqu’à vingt-six romans entre 1981 et 1983 pour Joël Houssin, tous au Fleuve Noir. Abandonnés les grands inspirateurs, les Ballard, Burroughs ou Ginsberg. Ce sera JAG et SCUM. Et la rage, la violence du propos, des mots. Puis sans doute la lassitude, le glissement progressif vers un nouvel horizon définitif ou presque : la BD d’abord, puis les scénarios pour la télé et le cinéma, plus rémunérateurs. On peut légitimement s’interroger sur le nombre d’auteurs que la S-F française perdit ainsi au cours des années 80-90. Beaucoup, sans doute. Partis vers d’autres genres, d’autres médias, d’autres supports…
Justement. Il y a quelques jours à peine, je dînais en compagnie de l’éditrice Bénédicte Lombardo et l’écrivain Stephen Baxter — sans oublier une joyeuse équipe de lecteurs/clients de la librairie parisienne Scylla. Tandis que Bénédicte interrogeait l’auteur anglais sur ses chiffres de ventes et l’état du marché outre-Manche, j’ai réalisé, à l’écoute de sa réponse, qu’il y a finalement assez peu de différences, potentiellement, entre les marchés français et anglais en termes d’horizons de ventes en matière de science-fiction (pour faire court, disons que Stephen Baxter vend environ autant en Grande Bretagne que Pierre Bordage en France, ce qui est beaucoup, certes, mais pas non plus colossal). Lors de la discussion, nous en vînmes logiquement à la situation du genre en France de manière générale, échange au cours duquel je soulignai que le véritable problème des auteurs français était… qu’ils écrivent en français ! Car force est d’avouer que l’avantage de l’anglais est considérable, et ce à double titre. D’abord parce que cela ouvre les portes d’un marché quasi mondial, et en premier chef américain — ainsi, nombre d’auteurs anglais sont publiés sur le marché US, alors que pour ainsi dire aucun Français ne l’est. Ensuite, parce qu’écrire en langue anglaise, c’est le minimum pour qui espère être lu par un éditeur étranger, et pas uniquement anglophone. Le milieu des décideurs littéraires internationaux lit peu ou pas (plus ?) du tout le français, ce qui explique entre autres pourquoi un auteur de science-fiction anglais de qualité, disons, par exemple, Alastair Reynolds, est traduit dans une bonne douzaine de langues, alors qu’un auteur de science-fiction français de qualité, disons, Laurent Genefort, ne l’est dans aucune ou presque. Ces deux différences fondamentales, taille du marché anglophone et accès facilité à la traduction du fait d’une rédaction initiale en anglais, font qu’il est bien sûr beaucoup (vraiment beaucoup !) plus simple d’être un écrivain de science-fiction professionnel en Angleterre qu’en France.
Ces quelques considérations évidentes nous ramènent à la problématique évoquée plus haut. Les choses ont-elles changé, en termes de marché, pour les auteurs de S-F français de la nouvelle génération par rapport à ceux d’hier ? Le lectorat s’est sans conteste restreint au cours des trois dernières décennies, avec comme conséquence une explosion des collections grand format au détriment du poche. De fait, un auteur qui publie aujourd’hui un roman en grand format, pour peu que son éditeur parvienne à céder les droits dudit roman à un éditeur poche pour une seconde exploitation, gagnera mieux sa vie que s’il avait publié directement son roman en poche, au Fleuve Noir « Anticipation » de la grande époque, par exemple. Il convient donc, pour un auteur d’expression française, de toujours beaucoup produire, mais sans doute, dans l’absolu, un peu moins qu’il y a une vingtaine d’années. Tant mieux, car de toute façon, le paysage éditorial n’est plus structuré pour absorber la production pléthorique de certains écrivains des années 80. Reste que, fondamentalement, les choses n’ont guère évolué. Ecrire de la science-fiction en langue française, c’est s’adresser à un marché minuscule. De fait, les auteurs d’aujourd’hui font comme leurs aînés, ils se diversifient. Beaucoup écrivent pour la jeunesse (un marché qui, lui, se développe et c’est tant mieux), d’autres vont vers la fantasy (quand la génération précédente allait plus volontiers vers le polar), certains scénarisent de la BD ou des jeux vidéo, voire du cinoche, d’autres encore se mettent à la traduction, parfois même à l’édition. En définitive, l’enjeu reste le même : durer. Tout change, rien ne change. La solution ? Faire prendre conscience aux éditeurs français de la potentialité de leurs auteurs à l’export afin qu’ils investissent dans des traductions anglaises, même partielles, desdits auteurs. Autant dire que ce n’est pas gagné…

Olivier Girard

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