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Vagabonds et Insulaires

Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 20/10/2008  -  livre
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Vagabonds et Insulaires

Un nom qu'on n'oublie pas facilement pour un auteur au parcours tout ce qu'il y a d'insolite. Responsable des moyens de tournage pour la BBC pendant cinq ans, il partage aujourd'hui son temps entre l'écriture, et le théâtre de marionnettes familial, qu'il a décidé de reprendre et de remettre en route.

Ces Légendes du Pays, marquent ses premiers pas en littérature.  Alourdies d'un titre qui me donne l'impression d'entendre mes beaux parents parler des contes de bonnes femmes de leur Aveyron natal et affublé d'une de ces horribles couvertures façon "grimoires", on pourrait s'attendre à de la simple fantasy. Et si c'en est bel et bien elle n'est, justement, pas si simple.

Baillements et tirage à la ligne

Tout cela démarre sous des auspices qui ne sont guère encourageants. Trois personnages principaux : Rusty, jeune bouseux pauvre mais digne, Victor Lazare, vétéran un rien rigide présentement chômeur et Leonardo Pegasus, premier magicien du roi, augure technomancien gentiment pataud.

L'un et l'autre sont d'une écrasante banalité.

Rusty, vit seul avec sa mère, blanchisseuse du village. Elle garde le secret jaloux de l'identité du père de Rusty. Ce dernier est un gamin intelligent, un peu rêveur, et qui va croiser la route de Lauren, un jeune gitane.  Elle va, par une après-midi pluvieuse, confier au jeune garçon un secret qui va changer sa vie.

Victor est certainement le personnage le mieux campé. Homme de devoir d'une parfaite dignité, dans le besoin impérieux de trouver un emploi, il répond à une étrange annonce. Un manoir, sis en pleine ville, est dans un état de délabrement tragique, et doit être remis en état afin que son propriétaire revienne y vivre. Lorsqu'il se présente à l'embauche, deux autres candidats sont là. Ils sont, de fait, engagés par procuration par un propriétaire qu'ils ne rencontreront pas. Ce dernier leur laisse un chéquier et carte blanche, pour retaper ce qui s'avère très vite être une demeure-musée d'une richesse incroyable.

Maître Pegasus, lui, est un mage. Il est tout à la fois le produit d'une tradition séculaire de divination, et à la pointe de la modernité. La machine qu'il a mise au point, sorte de petit théâtre de marionnettes, lui permet de tester différents avenirs, et de les soumettre au roi, qui en dernier ressort, choisira celui qu'il convient d'emprunter . Solitaire et casanier, il se refuse à voir les changements qui pointent à l'horizon. Au lieu de cela, il se laisse prendre au charme indifférent de la douce Alice, jeune fonctionnaire aux écritures dont il se débrouille pour s'attacher les services exclusifs.

Trois personnages, pas vraiment passionnants donc, qui vivent dans un monde au bord du changement.

Mais, mais...

S'il est clair que Cockayne prend son temps, et tire parfois à la ligne, on se laisse, balader dans cet univers aux allures victoriennes, tiraillé entre modernité et tradition. Pas malhabile, le bonhomme sait titiller notre curiosité, comme avec ces inquiètants intermèdes qui mettent en scène une étrange créature sortant de sa longue torpeur, et qui, du haut de la plus haute pièce de la maison que restaure Lazare semble tout savoir des trois protagonistes.

Cockayne distille ses informations avec adresse. Ou plutôt ne les distille pas. Comme ce fameux secret, confié par Lauren à Dusty. Il prépare ses twists sans grande originalité, mais avec un honnête classicisme. On sent bien, ainsi, l'importance que vont revêtir les "Jeunes Loups", ce sauvage gang des rue qui hante les bas quartiers de la ville et qui font les frais d'insistantes allusions tout au long de la première partie du roman. Mais on lui pardonne. Si on ne se passionne pas vraiment, on ne s'ennuie pas non plus tout à fait. Avec ce qu'il faut de désœuvrement, on se laisse entraîner d'une page à l'autre, d'un chapitre au suivant, de partie en partie...

... jusqu'à ce que, imperceptiblement, la mécanique commence à se détraquer. À ce que la folie devienne un thème récurrent. À ce qu'on sombre dans la violence, la forfaiture et la trahison. Par flambées subites, la trâme bien calibrée et attendue se consume. Jamais assez pour se rompre, suffisamment toutefois pour éveiller un intérêt soudain, qui nous surprend.

Partis pour lire une énième chronique d'un monde au bord de la rupture, Steve Cockayne révèle une surprenante profondeur, et nous laisse à la fin de ce premier tome, entre deux eaux, sur une ultime envolée qui n'est pas sans évoquer les jeux de faux-semblants chers à Christopher Priest.

Et...

Que dire, dès lors, de ce Vagabonds et Insulaires, titre qui fait référence à l'un des mythes fondateurs du monde développé par l'auteur ? C'est assurément un tome d'ouverture. Deux autres sont à venir encore. Clairement, il fait son office, puisqu'il nous intrigue assez pour qu'on veuille en voir plus. S'il tient les promesses ébauchées sur les cent dernières pages, il se pourrait bien que l'on se trouve en présence d'un objet littéraire d'une densité tout à fait insoupçonnée, et que Pygmalion ait mis la main sur un auteur d'une authentique richesse. À suivre, donc. Avec intérêt.

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