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Le Concile de Fer

China Miéville ( Auteur), Nathalie Mège (Traducteur), Marc Simonetti (Illustrateur de couverture)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 13/11/2008  -  livre
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Le Concile de Fer

Découvert en France au Fleuve noir avec le formidable Perdido Street Station, puis avec sa – non moins formidable – suite informelle Les Scarifiés , China Miéville nous ramène une nouvelle fois dans le Bas-Lag, avec le troisième tome de cette série qui n'en est pas tout à fait une. Cet univers dense, touffu, excessif même, n'est qu'une facette de cet insolite auteur. Refusant d'ailleurs de se retrouver prisonnier de sa propre création, Miéville a annoncé son intention de s'en libérer un moment. Après ce Concile de Fer il faudra aux fans du  Bas-Lag s'armer d'un peu de patience avant de pouvoir y retourner. Alors pour ce dernier voyage, le petit prodige de la fantasy anglaise nous a réservé quelque chose de copieux. Peut-être même trop ?

Révolution(s) !

C'est un étrange périple qu'entament Faucheur et les siens. D'aimables citadins, guère préparés aux dangers qui les guettent. Activistes de salon que révulse le népostisme des édiles de La Nouvelle-Crobuzon, ils ont décidé de mettre leurs idéaux à l'épreuve du réel. Par amour de la justice pour Ihona, Frugis, Drey et Fehj le Vodyanoi, mais surtout pour l'amour de Judas Bezalle, en ce qui concerne Faucheur. Cet amant si distant, le meilleur des golémistes Crobuzonais qui l'a précédé sur la route pour aller rejoindre le légendaire Concile de Fer.

Ori, lui, vit chichement dans une Nouvelle-Crobuzon saignée par la guerre lointaine qu'elle mène contre Tesh. Il n'est qu'un, parmi les millions de laborieux qui vivent là. Excepté que lui, a mis d'autres noms sur les maux qui affligent la cité : corruption, trafics d'influences, démagogie, justice régalienne. Pour Ori, il y a un combat à porter, des valeurs à restaurer. Des traces dans lesquelles marcher. Celles, par exemple, de Benjamin, le fondateur du journal clandestin Le Fléau endémique, assassiné par le pouvoir lors de cet été funeste où les Crobuzonais ont cessé de rêver. C'est avec ceux qui lui ont succédé qu'Ori débat des heures durant dans des caves infectes, sur la politique à mener. Mais il y en eu d'autres. Jacques l'Exauceur et aujourd'hui Toro, intrépides bienfaiteurs des humbles avec l'argent des riches.

Et puis il y avait eu le légendaire Concile de Fer.

Forgerons, poseurs de rails, ballastiers, carriers, tunneliers et même catins et Recrées qui avaient oser défier le pouvoir crobuzonnais et celui de la Compagnie Transcontinentale des Chemins de Fer de Valentin Mistral. Les premiers à s'être révoltés, dépossédant l'entrepreneur de sa ligne de chemin de fer et de son fabuleux train, devenus depuis une république mobile, une Commune libérée, autogérée, en perpétuelle fuite dans les terres sauvages, hors de portée de cette Milice de La Nouvelle-Crobuzon, qu'elle avait défaite une fois déjà.

Or approche l'heure d'une nouvelle confrontation. Approche l'heure où le monde va imploser, et où le Concile annoncera son retour.

Le Grand soir ?


Candidat trotskyste aux municipales londoniennes, China Miéville est un homme engagé. Et s'il se défend d'avoir voulu instiller dans ses précédents romans du Bas-Lag un message ouvertement politique, il admet en revanche qu'il en va autrement pour Le Concile de Fer. «  Je voulais écrire une histoire dans laquelle la politique soit au centre de la narration. Une histoire d'événements politiques. Du moment où j'ai commencé Perdido Street Station, j'ai su que j'allais écrire trois romans à la suite qui se dérouleraient dans cet univers, et que le troisième serait l'histoire d'une révolution.  » nous disait-il à Thomas Day et à moi-même dans une interview à paraître dans le prochain Bifrost.

Toutefois, réduire ce roman à son seul message politique serait une erreur. Miéville est avant tout un romancier, et avec Le Concile de Fer, c'est bel et bien le divertissement qu'il vise. Habilement, il sait exploiter tout le potentiel dramatique que recèle une révolution. À cet égard, certaines scènes de combats de rue sont très réussies. Quasi hugolienne. Il en va de même pour cette conquête libertaire qui sera à l'origine de la création du Concile. Avec ce génie de l'image qui fait mouche, qui est la marque de fabrique de Miéville, il nous reste à la fin de superbes moments de lecture, instantanés épiques et  vignettes d'une humanité mélodramatique. Mais on est aussi en droit de se demander si, précisément du fait de son implication politique, Miéville n'est pas passé à côté du très grand roman que Le Concile de Fer aurait pu être ?

Too much, too young...

« Ce fut un livre difficile à écrire, et je suis conscient que, dans une certaine mesure, il est difficile à lire aussi. » confiait-il dans la même interview. Constat lucide.

La structure éclatée du roman nous prive d'une réelle implication avant le second tiers. Miéville plante simultanément son décor et les prémisses d'une histoire complexe, difficilement racontable. Loin de la relative linéarité de ses deux prédécesseurs, Le Concile de Fer se veut global. Et il est vrai que jamais il ne nous a été donné du Bas-Lag un aperçu aussi général. C'est tout à la fois passionnant et plombant. En virtuose de la corde raide, Miéville évite le pire, mais le roman est foutraque, et noie ses instants de grâce dans une recherche formelle laborieuse. S'il avait été un disque, on l'aurait volontiers qualifié de surproduit. Par exemple, ses vaines tentatives de mise en forme lorsqu'il nous raconte la genèse du Concile n'apportent strictement rien à l'intrigue. Fioritures inutiles, elles ralentissent le processus d'assimilation par le lecteur. Le dépouillement émotionnel de la partie consacrée à Faucheur englue l'empathie. Enfin, sa volonté de trop en mettre, nous prive d'un personnage référent qui puisse servir de fil rouge, le Concile s'avérant, finalement, trop immatériel pour jouer ce rôle.

Livre ambitieux, Le Concile de Fer l'est peut-être trop. Trop pour un auteur dont la relative jeunesse n'est pas entièrement compensée par sa créativité débridée. Avec seulement quatre romans, China Miéville manque encore un peu de métier pour maîtriser son sujet. C'est dommage. Si nous n'avons pas complètement affaire à un grand livre raté, il est clair que nous n'avons pas la magnifique épopée que l'on aurait pu attendre. Débordé dans la gestion de son scénario Miéville ne s'investit dans l'humain que par intermittence. Ce n'est que lorsqu'il y parvient, qu'on retrouve la fougue baroque de Perdido Street Station. Le Concile de Fer exigera beaucoup de vous et vous récompensera chichement.

Au final, China Miéville  nous perd dans une jungle trop luxuriante, où le ravissement à la vue d'une orchidée trouvée au détour d'une piste, ne vaut pas, finalement, la tranquille sensation de familiarité d'une bonne boussole qui marque le Nord.
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