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La Balle du néant

Roland C. Wagner ( Auteur), Philippe Caza (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/07/2008  -  livre
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La Balle du néant

Le cycle des Futurs Mystères de Paris est sans doute la pièce maîtresse de l’œuvre de Roland C. Wagner. Commencé en 1996 avec La Balle du néant (tout d’abord paru au Fleuve Noir, puis chez L’Atalante en 2002, et enfin en poche chez J’ai lu cette année), il en est aujourd’hui au neuvième tome (Mine de rien, L’Atalante, 2006). Inspiré d'Eugène Süe et dans la lignée du Nestor Burma de Léo Mallet, il met en scène un détective privé des années 2060, Tem, possédant un « talent » particulier, la transparence, qui lui permet de passer inaperçu auprès des gens aussi bien que des systèmes informatiques. Aidé d’une fidèle intelligence artificielle révolutionnaire, il tente de résoudre des énigmes dans un monde où la psychosphère (équivalent de l’inconscient collectif humain, concept cher à l’auteur qu’il a développé dans d’autres romans comme Cette crédille qui nous ronge ou Le Chant du cosmos) s’insinue de plus en plus dans la réalité.

À noter que le roman est suivi de la nouvelle S’il n’était vivant, également présente dans l’édition de L’Atalante.

Un meurtre en chambre close

Temple Sacré de l’Aube Radieuse (Tem pour les intimes) est contacté par une jeune femme dont le frère vient d’être assassiné. Le physicien Herbert Sanifer a en effet été retrouvé mort, une balle en plein cœur, dans une chambre d’hôtel fermée de l’intérieur, en face de son lieu de travail. La police, débordée, classe rapidement l’affaire. Pour son premier meurtre, Tem écope ainsi de la classique énigme de la chambre close. D’abord hésitant, il accepte l’affaire et entame sa tournée d’interrogatoires, du personnel de l’hôtel aux collègues du défunt. Tout se complique lorsque le chef de Sanifer est retrouvé pendu chez lui. Tem aura besoin de toutes ses facultés – y compris son don de transparence – et de l’aya Gloria pour résoudre le mystère.

Une enquête plutôt banale…

Si l’on s’en tient à l’intrigue, La Balle du néant n’est pas particulièrement un grand roman. L’enquête a du mal à démarrer, ce qui se justifie par la faible expérience de Tem. Celui-ci insiste d’ailleurs un peu trop sur les difficultés d’une affaire qu’il vient à peine d’entamer, comme s’il s’attendait à la résoudre en une journée. De plus, l’auteur a légèrement tendance à écrire un peu trop, certains passages auraient gagné à être un peu plus courts. Toutefois ce défaut disparaît assez vite. Le livre prend alors son rythme de croisière et se révèle sans grande surprise, même si la clef du problème est plutôt ingénieuse.

Heureusement, Roland Wagner ne se prend pas au sérieux. Si l’on est loin des délires de LGM par exemple, le ton du roman est suffisamment enlevé et décontracté pour que le texte se laisse lire avec plaisir jusqu’au bout. Le personnage de Tem est particulièrement attachant, bien introduit par un prologue assez savoureux. De plus, assumant sa filiation avec Léo Mallet, l’auteur respecte les codes du genre, plaçant le lecteur en terrain connu.

… Mais un univers passionnant

Toutefois, l’intérêt du livre ne réside pas dans son intrigue, mais dans l’univers qu’il met en place. Et sur ce point, La Balle du néant est une très grande réussite. Wagner présente une société apaisée, où les instincts meurtriers de l’homme, sans avoir disparu, ont fortement diminué. Cette vision optimiste de l’avenir est suffisamment rare en SF pour être relevée. À l’origine de cette baisse de la violence, la Grande Terreur Primitive, événement cataclysmique survenu en 2013 qui a redistribué les cartes de la réalité. Depuis, la psychosphère (qui s’inspire des travaux de Jung sur l’inconscient collectif) se mêle à la réalité, engendrant des mutations qui se révèlent à travers des talents parapsychiques. On sent ce concept plein de promesses (et la suite du cycle le confirmera) et Wagner nous le dévoile par petites touches, titillant notre curiosité et l’utilisant avec justesse dans le cadre de son enquête. Loin d’être un gadget science-fictif, la psychosphère est un véritable personnage du roman, même si dans ce premier tome on ne fait que l’effleurer.

Autour de cette idée, Wagner construit un univers solide et cohérent. Notamment, il conçoit une société où les schémas identitaires standard (la nation, la famille) sont abolis, laissant la place à la notion de « tribu » – ce que Tem appelle les familles-au-sens-large – ce qui offre des perspectives très larges sur le plan humain. L’humain est d’ailleurs la principale préoccupation de l’auteur, respectueux (comme Tem) des différences physiques, sociales ou religieuses. Et lorsqu’il introduit une intelligence artificielle multi support (excellente idée de SF) décidée à faire renaître l’esprit de la Commune, on perçoit, au-delà de la malice, son engagement pour la sauvegarde des libertés.

Enfin, malgré la faible distance temporelle qui nous sépare de l’époque du roman, l’auteur a inventé un véritable passé à son histoire, échappant au tic classique de la SF qui consiste à se référer constamment à ses contemporains. Mieux, il légitime sa propre vision de la science-fiction qui se veut, d’après lui, une littérature se nourrissant de ses propres références, de son propre background.

Un cycle majeur de la SF française

Ainsi, malgré une intrigue plutôt banale, La Balle du néant n’est rien moins que le début d’un cycle majeur de la SF française. Cette réédition en poche est l’occasion de le découvrir et d’entrer dans l’univers passionnant de Roland C. Wagner.

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