ActuSF : D'où vient cette fascination pour l'Amérique ?
Thomas Day : Fascination, le mot est peut-être un peu fort, mais il est clair que j'ai une histoire compliquée avec les USA.
Les ancêtres de mon père ont quitté la France pour la Louisiane il y a fort longtemps (c'est marrant, je n'ai fait aucune recherche là-dessus, je devrais y penser) et ne sont jamais revenus, à l'exception de mon grand-père paternel, de nationalité américaine donc, qui a passé du temps en France pour son travail ; mon père est né, hors-mariage, en mai 1938 et a choisi la nationalité française à sa majorité parce qu'il avait toujours vécu en France. Ce qui ne l'a pas empêché de garder un lien avec l'Amérique, un lien bizarre, car en fait ce n'est que très récemment (un peu avant ses 70 ans) qu'il est allé voir sa famille américaine en Louisiane pour la toute première fois, avec mon frère ; je ne faisais pas partie du voyage, car je venais de rentrer du Cambodge avec ma femme, nous venions d'acheter une maison et notre fils aîné était sur le point de naître.
Voilà pour l'histoire familiale, qui ne fait pas tout.
Ma culture ce n'est pas la littérature, c'est plutôt le cinéma, et pendant très longtemps le cinéma pour moi c'était un truc purement américain (ça a changé, maintenant c'est plutôt un truc américain et asiatique). Si j'en crois mon père, je suis tombé dedans dès 3 ans, devant le film « Ben Hur », que j'ai regardé de bout en bout, en salle, sans dire un mot. Enfant, j'adorais les westerns, la dernière séance présentée par Eddy Mitchell ; avec ma mère, on allait acheter des lunettes 3D pour regarder des films d'horreur qui ne faisaient pas peur. J'étais tellement accro au cinéma américain que mes parents acceptaient que je regarde des films certains soirs avec eux. Je me souviens des joutes orales pour voir Amityville, Rollerball ou Alamo avec John Wayne (trop traumatisant, trop violent ou trop long). Tous les mercredi ma mère m'emmenait au cinéma à Nice, rue Jean Médecin, ou au Rialto, près de la rue de France.
Quand les premiers magnétoscopes sont sortis, j'ai harcelé mes parents jusqu'à ce qu'on en ait un et j'ai découvert des films qui ne passaient pas à la télé : Massacre à la tronçonneuse (longtemps interdit), La Corde raide avec Clint Eastwood, Scarface, La Colline a des yeux, etc. Que des films américains (aller voir un film français au cinéma ou même le louer était une punition, surtout les comédies style Bronzés ou Le Père-Noël est une ordure qui ne me faisaient pas rire et ne me font toujours pas rire, d'ailleurs).
Aux racines familiales et au cinéma, s'est ajouté la littérature dite générale vers 17-18 ans et, après la mort de ma mère, je suis sorti du « virtuel » pour aller voir vraiment ce qu'étaient les USA. J'ai dépensé une bonne partie de l'argent qu'elle m'avait laissé (l'argent c'est fait pour être dépenser) pour voyager. Un été, j'ai traversé les States, de Seattle (où j'étais allé voir Howard Waldrop) à Atlantic City où j'ai fait du surf. Je suis allé régulièrement aux USA entre 1993 et 2000, mais je n'y suis pas retourné après les attentats du onze septembre, et je n'ai encore jamais mis les pieds à Bâton Rouge où se trouve ma famille américaine. Je ne suis pas très famille ; je ne comprends pas ces liens-là. Mon frère et moi avons des liens très lâches ; cela dit il habite Budapest ce qui n'arrange guère les choses. J'appelle Olivier Girard une fois par jour au téléphone, mais je n'ai même pas le numéro de téléphone de mon frère. Il n'était pas à mon mariage et je n'étais pas au sien ; on est comme ça. Inutile de forcer les choses.
L'histoire familiale, le cinéma, la littérature américaine (McCarthy, Steinbeck, Selby, Pynchon, Faulkner, etc.), les voyages, tout ça donne ma « fascination », comme vous dites, pour ce territoire à part.
ActuSF : Le titre est-il une référence assumée à David Bowie, et pourquoi ?
Thomas Day : Oui.
C'est la chanson d'un film que j'aime beaucoup « Le Jeu du faucon », un film de John Schlesinger, très bon réalisateur surtout connu pour « Macadam Cowboy ». J'étais allé le voir en salle à sa sortie et chaque fois que je vois ce film, je suis surpris par son audace, on y voit un jeune américain interprété par Timothy Hutton trahir son pays et donner des informations à l'URSS.
Il y a quelque chose de pourri au royaume des USA : la peine de mort, les milices de défense, la scientologie, les mormons, la NRA, le refus de la laïcité, la politique étrangère, la notion de « destiné manifeste »... La liste est longue. Il faut en avoir conscience ; je ne dis pas que c'est mieux ailleurs, c'est souvent pire ailleurs, je pense juste qu'il ne faut pas se laisser éblouir par la puissance de leur culture et la beauté de leurs déserts. Il y a plus de 2,3 millions de gens en prison aux USA, 0,7% de la population. Et la prison est un outil de vengeance, ce n'est pas un système pour réinsérer des gens, c'est une broyeuse qui montre aux « déviants » à quel point on ne veut pas leur pardonner leurs fautes, à quel point on ne veut plus d'eux.
Le pays le plus heureux que j'ai traversé au cours de mes voyages, les gens les plus accueillants que j'ai rencontrés, c'est la Syrie d'Hafez el-Hassad, alors qu'avant d'y aller on m'avait expliqué que c'était une horrible dictature où les gens étaient privés des libertés les plus fondamentales. C'est peut-être vrai, mais moi, que ce soit à Damas ou au milieu du désert Syrien, à aucun moment je n'ai senti ça. Sans doute la chance du débutant.
En Amérique, j'ai peu d'amis, c'est les paysages qui prennent le dessus, avant tout le reste. Les Rocheuses surtout, véritable paradis pour les gens qui comme moi aiment la marche.
ActuSF : Est-ce que tu as une image de ton Amérique à toi ?
Thomas Day : Je ne suis pas sûr de comprendre la question ; mais je peux faire six pages sur l'Amérique que j'aime : David Lynch, Edward Abbey, John Ford, Robert Redford, Cormac McCarthy, les parcs nationaux, John Carpenter, le surf, Martin Scorcese, Scarface, Quentin Tarantino, Tony Hillerman, Donnie Darko, Roger Zelazny, Eminem, etc.
Je pourrais aussi faire six pages sur l'Amérique que je n'aime pas : celle qui décide qu'un dictateur capitaliste est un partenaire commercial à protéger et un dictateur communiste une pourriture. Je veux bien qu'on m'explique en long en large et en travers que Che Guevara était un hypocrite, un homme hanté par sa propre gloire et son goût pour la violence, tout ça est recevable, mais alors faisons aussi le procès de Henry Kissinger et de gens « intouchables » comme Donald Rumsfeld et George W. Bush à qui on doit le tonitruant retour de la torture dans le monde occidental dit moderne.
Mon Amérique à moi est loin d'être « complète » : il me reste beaucoup d'états, de villes et de parcs nationaux à visiter. J'attends que mes enfants soient plus grands et on se fera ce ou ces voyages-là. Pour le moment ce qui me tente le plus c'est la Floride, la faute à Hemingway et à la série télévisée Dexter.
ActuSF : Comment sont nées ces trois nouvelles ?
Thomas Day : « Cette année-là, l'hiver commença le 22 novembre » est un hommage à la SF d'Howard Waldrop et à ses uchronies goguenardes. J'ai lu des tonnes de bouquins et d'articles sur l'assassinat de Kennedy ; à une époque, je voulais écrire un livre sérieux sur la « piste des tireurs de l'O.A.S. », mais bon, en cours de route j'ai écrit une nouvelle pas sérieuse sur des parasites extraterrestres. L'homme sage connaît ses limites.
« American Drug Trip », je me souviens plus trop, j'ai fauché le titre à Ellroy et j'ai voulu faire un truc marrant à la Francis Mizio.
« Eloges du sacrifice » c'est plus récent, alors je m'en souviens mieux. C'est un texte que j'ai commencé à écrire pour un antho du cafardcosmique.com, puis sa taille ne cessant de croître, je l'ai proposé à Bifrost qui l'a refusé. Ce n'était pas la première fois qu'Olivier Girard me refusait une nouvelle et ça ne sera pas la dernière, mais bon ça m'a quand même surpris, car je croyais avoir réussi mon coup. Sur ce texte, j'ai essayé de retrouver une densité dans la narration proche des nouvelles d'aventure de Poul Anderson, et comme je ne voulais pas faire un truc trop « vieille SF », j'ai mis du cul, de la violence et des mauvaises odeurs dedans. J'ai fait mon truc, quoi.
J'ai un dossier dans mon ordinateur qui contient toutes les nouvelles qu'on m'a refusé ; il est rare que je sorte un texte de ce cimetière, mais pour « Eloges du sacrifice », je n'ai pas pu me résoudre à l'y enterrer. J'aime bien cette nouvelle de SF écrite après une longue période où je n'ai pas du tout touché au genre.
ActuSF : Est-ce que tu penses que ce regard sur l'Amérique, un Américain aurait pu le porter ?
Thomas Day : Je ne crois pas. Ce n'est pas une forfanterie, bien au contraire ; un Américain verrait tout de suite ce qui cloche et ça le sortirait de sa lecture. Mais ça n'a pas l'ambition d'être américain, c'est juste trois fantasmes : deux blagues pourries et un coup de vitriol pour faire briller.
L'aveu d'échec est dans le titre : « This is not America ».
ActuSF : C'est un regard très orienté trash culture. A qui s'adresse cet hommage ?
Thomas Day : Ouvrage ou hommage ?
L'ouvrage s'adresse à vos lecteurs, du moins je l'espère pour vos finances, parce que si vous comptez sur les miens, vous n'allez pas être déçus du voyage.
Quant à l'hommage, là on repart aussi sur six pages de name-dropping... Je fais du collage et comme j'utilise beaucoup de morceaux différents, ça ne donnerait qu'une liste ennuyeuse. Bon, comme j'ai oublié de parler de Bukowski, on va dire que « This is not America » est un hommage à Buk et à mille autres agitateurs de talent.
ActuSF : Quels sont tes projets. Sur quoi travailles-tu ?
Thomas Day : En ce moment je ne travaille sur aucun projet d'écriture ; mon boulot ne m'en laisse pas le temps, et d'ici cet été je doute de pouvoir trouver une plage de calme de sept ou huit jours. Mes projets d'écriture sont pourtant nombreux, certains sont mûrs, d'autres doivent encore attendre un petit peu (ou très longtemps ; ce qui me rappelle que je n'ai toujours par fini un roman commencé il y a vingt ans). Cette année, j'aimerais finir mon « steampunk breton », c'est un texte que j'ai commencé en 1998, dont j'ai publié la première partie dans l'anthologie « Steampunk » du Fleuve Noir. Mais bon, au jour d'aujourd'hui il ne reste quasiment rien du texte d'origine « Du sel sous les paupières » et je n'ai pas encore trouvé la clef pour aller au bout du projet. Le premier jet est fini, mais il me manque l'essentiel : un ton, un style, appelez ça comme vous voulez. A un moment, un déclic se produira et je m'y remettrai.
L'an dernier, j'ai écrit la novella pour « Retour sur l'horizon », c'était mon objectif pour l'année 2008 ; cette année, je veux finir mon « steampunk breton ». Si j'y arrive, je serai content. Si je n'y arrive pas, ça ne posera qu'un léger problème financier. J'ai un boulot à temps plein et deux enfants en bas âge ; je ne manque pas d'occupation. J'aimerais écrire davantage, évidemment, mais ce n'est tout simplement pas possible.
La chronique de 16h16 !