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Le Déchronologue

Stéphane Beauverger ( Auteur), Corinne Billon (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/2009  -  livre
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Le Déchronologue

Quadragénaire insoupçonnable, Stéphane Beauverger est, avec Alain Damasio, l'un des fers de lance des éditions La Volte. Son triptyque Chromozone l'impose dès 2005 comme l'une des voix les plus originales et novatrices du paysage de l'Imaginaire français. Son écriture se coule dans les univers denses qu'il aime créer. Styliste remarqué, c'est un peu par surprise qu'il nous prend avec son quatrième roman. Loin des futurs binaires de ses prédécesseurs, c'est vers des mers plus ignorées que nous emmène Le Déchronologue.

Un goût de paradis

Le capitaine Henri Villon est un flibustier. Rochelais exilé dans les mers du Sud, il écume les Caraïbes à bord de son Chronos, un brigantin que les galions espagnols ont appris à redouter.

Le captiaine Henri Villon est un alcoolique. Il noie dans le tafia la honte d'avoir survécu au siège de La Rochelle. Il écume les Caraïbes à bord de son Déchronologue pour le compte des mystérieux Targuis, ces exilés venus du futur pour tenter de ravauder la trâme du passé. Sous leur égide, il sera celui qui repoussera la flotte d'Alexandre le Grand.

Le capitaine Henri Villon est un survivant. Réchappé des geôles espagnoles de Carthagène, il écume les Caraïbes à bord de son Toujours Debout pour le compte des énigmatiques Itzas. Derniers descendants des Mayas, s'ils sont les derniers Indiens à tenir tête à l'envahisseur espagnol, c'est grâce à leurs nouveaux dieux venus du futur, qui distillent les fantastiques maravillas qui apparaissent de plus en plus fréquemment dans les comptoirs de la Tortue ou d'Hispaniola.

Le capitaine Henri Villon est certainement trop intelligent et trop curieux pour son propre salut. Il va, du coup, se retrouver au cœur du cataclysme temporel qui va manquer dévaster le monde.

La fin des temps

En dépit de ses origines bretonnes, on n'attendait pas nécessairement Stéphane Beauverger au mitan de ce XVIIème siècle qui marche sur la tête et avec une histoire de piraterie. Le pari est déjà risqué sur le plan formel. Styliste avant tout, il ne pouvait manquer de se risquer sur l'adaptation de cette langue châtiée des récits de mer. Inattendu au regard de l'écriture de chrome affûté dont il avait fait montre avec son triptyque Chromozone. Pourtant, et c'est la première surprise de ce Déchronologue, Beauverger se glisse avec aisance dans une verve d'un autre temps. Sans faute de goût, avec un sens de la mesure et du juste mot, de la tournure qui fait mouche, il accroche sur son capitaine Villon assez de chair tannée au sel des Caraïbes pour lui donner vie.

Comme Stéphane Beauverger n'est pas homme à se contenter d'un seul défi, il fait aussi le choix d'une intrigue complexe. Il laisse assez de flou sur son univers pour ne pas brouiller son avant-plan. Tout juste savons-nous que les guerres de religions entre catholiques et protestants n'y ont pas suivi le cour que nous lui connaissons. C'est l'une des raisons qui amènent son héros si loin de la France. Nous sommes ici dans une discrète uchronie, observée bien trop près de son point de divergence pour remplir pleinement son rôle. Elle ne sert guère que de toile de fond. Tout juste un prétexte pour amorcer la déconstruction méthodique de l'histoire. On pourrait à la rigueur parler de dyschronie. Là où les temps parallèles s'ouvrent sur un avenir de cauchemar.

Beauverger nous ballote d'une séquence à l'autre, éparpillant treize années de la vie de Villon. Un puzzle qu'il appartiendra au lecteur de reconstituer. Un artifice qui pourrait facilement passer pour un maniérisme, et ce d'autant plus facilement qu'on a du mal à se défaire de l'impression que la délinéarisation s'est faite a posteriori. Stéphane Beauverger a longtemps écrit pour l'industrie du jeu vidéo, et ce découpage erratique n'est pas sans rappeler les techniques scénaristiques spécifiques à ce secteur.

Toutefois, la lacération du temps étant au cœur même de son intrigue, on oublie vite ces réserves et on se laisse embarquer sans barguigner. On s'inscrit sur les rôles du Déchronologue pour suivre la mal être d'Henri Villon, personnage pathétique, parfois complaisant, mais attachant en diable. Alcoolique vieilli trop vite, maigre et édenté, on le voit, avec cet anti-héros on est loin d'un Errol Flynn à la fière bacchante. La galerie de portraits que Beauverger dresse, finit d'ailleurs de nous convaincre. Tous autant de sympathiques salauds dont la fréquentation livresque nous est certainement plus agréable qu'elle n'aurait pu l'être in vivo. Personne dans ces pages, dont la morale ne soit pas approximative. Même le rigide commodore Mendoza, le redoutable chasseur de pirates, se livre à quelques arrangements avec ses principes.

Après s'être attaché à la post-humanité, c'est à l'humain que Stéphane Beauverger s'attaque aujourd'hui. Dans ce qu'il a de plus prosaïque et grandiose. Il travaille la chair tout autant que le temps. Il donne vie d'un trait de plume à des possibles impossibles et on y croit. Avec ce quatrième roman il conjugue sens du merveilleux et maîtrise stylistique. Il démontre qu'on peut faire un roman de divertissement sans renoncer à son exigeance. Il suffit simplement d'avoir du talent.

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