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Abattoir 5

Kurt Vonnegut Jr ( Auteur), Miles Hyman (Illustrateur de couverture), Lucienne Lotringer (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/05/2004  -  livre
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Abattoir 5

Il y a des auteurs essentiels, Kurt Vonnegut Jr est de ceux-là. La preuve : la plus grande partie de son œuvre n'a pas été rééditée depuis au moins quinze ans, à la notable exception d'Abattoir 5. Il est vrai que c'est à un éditeur généraliste que l'on doit cette heureuse initiative. Ce qui doit ravir Kurt Vonnegut lui-même, qui ne s'est jamais assimilé à la SF. Une image qu'il a pu imposer en grande partie grâce à l'énorme succès que le présent roman eut à sa sortie en 1969.

Né en 1922 et prisonnier de guerre à Dresde en 1945, il survécut au bombardement de la ville par l'aviation alliée dans la nuit du 13 au 14 février, grâce à ses geôliers qui l'ont transféré dès le début du raid, lui et quelques autres, dans le premier édifice solide qu'ils ont trouvé : le bâtiment numéro 5 des abattoirs municipaux. Un abri qu'à l'en croire il partagea ce soir là avec le plus improbable des soldats américains, un certain Billy Pèlerin.

Opticien à Ilium dans le civil, Billy Pèlerin n'a rien du héros. Ses pérégrinations allemandes furent si peu glorieuses, que c'est enveloppé d'un impossible rideau bleu et chaussé de brodequins argent qu'il échoue finalement, cette funeste nuit, dans l'Abattoir 5. Mais Billy Pèlerin a un secret : il est le premier être humain à avoir été enlevé par les extra-terrestres de la planète Tralfamadore.

Ces derniers ont tenté de lui inculquer leur vision du monde, toute entière axée sur une perception non-linéaire du temps. Ainsi Billy Pèlerin peut-il être tout à la fois terré dans son abattoir à Dresde, en train d'épouser sa femme à Ilium, survivre à un crash d'avion ou partager la couche de la délicieuse Montana Patachon dans la cage du zoo galactique que leur ont destinée leurs ravisseurs Tralfamadoriens. C'est toujours le même Billy Pèlerin. Qui naît et meurt tout à la fois, n'existe et n'existe plus et tout cela dans le même temps, puisque le temps n'est qu'une illusion. Ainsi Billy Pèlerin n'est-il plus que la bille d'un pendule qui oscille entre passé et futur. Entre la révélation d'un nouvel évangile qui défie le temps et la mort, et la manifestation de celle-ci dans ce qu'elle a de plus barbare et absurde : le bombardement de Dresde.

Abattoir 5 est la tentative d'exorcisme de cette nuit d'horreur qu'a vécu Vonnegut, et qu'il ne peut affronter sans le secours de la fiction. Une fiction dont il maîtrise à merveille les artifices. Entremêlant vécu et imaginaire, il tente à sa manière, caustique et absurde, de repousser au loin le spectre de la mort. Désabusé, sans plus aucune illusion sur ses semblables, il refuse la fin de la vie pour lui trouver une justification. Au passage il en profite pour écorner croyances, principes sacrés, mercantilisme et dévotion aux puissants, autant de faux-semblants à ses yeux, qui n'ont d'autre fonction que de donner à l'homme – ce singe savant – un but dans l'existence.

Derrière sa prose d'apparence naïve, se cache un savoir-faire unique. L'utilisation qu'il fait des schémas d'écriture récurrents, des symboles, les gimmicks qu'il répète à l'envie, comme un mantra, sont autant de balises qui ramènent notre imaginaire vers l'essentiel. Ce "C'est la vie !" par exemple, qu'il psalmodie en contrepoint de toute évocation de la mort, comme une négation de la fin, est un appel à continuer. Continuer malgré tout !

Pourquoi faire ? Pour qui ? A vous de voir… Et au fond cela aurait presque pu être une autre maxime tralfamadorienne. C'est même ce qui rend Abattoir 5 si essentiel. Il n'apporte aucune réponse. Ne pose à dire vrai aucune question. Il est la proposition ouverte faite aux lecteurs par un homme à qui la mort est brutalement devenue par trop familière. Faites maintenant de ce livre ce que vous voulez en faire, c'est là son pouvoir magique. Appartenir à ceux qui l'ont lu.

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