- le  
L'Uchronie... Petite approche du genre.
Commenter

L'Uchronie... Petite approche du genre.

Petite approche du genre.
 
 Qu’est-ce que l’Uchronie ? La question peut sembler banale de nos jours, une recherche rapide sur Google, un coup d’œil à Wikipedia, une lecture attentive des dossiers mis en ligne par des sites de Science Fiction (cf. celui du Cafard Cosmique ou le dossier Uchronie de la Noosfère regroupant des articles pionniers sur le genre), une liste des indispensables pour bien cerner le genre à imprimer, et le tour est joué ?
 
Pourtant il y a dix ans, sortir le mot auprès d’un libraire lui donnait l’impression qu’on parlait suédois, faire une liste de livres, films, ou tout autre forme, et ce en français, ne prenait pas beaucoup de temps…
 
Alors, a-t-on réellement assisté à une explosion du genre ? Oui et non. A cette réponse de Normand, nous nous devons d’apporter une réponse moins sibylline. Le genre uchronique, de sous genre de la Science Fiction, connaît de nos jours un engouement certain et ce grâce à une formule magique : « Et si… » Derrière cette formule digne d’un conte, se cache ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de l’uchronie, partir d’une situation précise, bien réelle historiquement, puis extrapoler de manière plus ou moins scientifique sur une histoire complètement différente.
 
Force parce que, comme toute œuvre, le résultat peut être à la hauteur de l’ambition du créateur. Faiblesse parce que cela peut être caricatural, voire peu crédible. C’est le principal reproche que font les détracteurs de l’uchronie : stigmatiser toute étude tentant d’évaluer le champ des possibles d’un point de vue historique en démontrant que celui-ci est beaucoup trop vaste pour être quantifié, qu’en changeant une donnée, cela va entraîner d’autres bouleversements, et qu’à la longue l’uchronie ne pourra plus être crédible parce que l’avis propre du créateur jouera, que ce soit de manière consciente ou inconsciente.
 
Pourtant, plutôt que se poser des questions sur le genre uchronique, se demander si celui-ci est fiable historiquement, ou s’il s’agit avant tout d’utiliser l’uchronie comme support à une démonstration de genre (Science-fiction, polar, vie quotidienne, de cape et d’épée, humour, fantasy, etc.), on oublie souvent le but de ce genre d’œuvre : faire réfléchir, faire rêver, ou cauchemarder, et divertir. Si, après avoir lu, regardé une uchronie, vous estimez avoir passé un bon moment, c’est le principal.
 
De l’égalité des chances devant l’Uchronie.
 
La question peut sembler hautaine, pourtant, nous ne sommes pas égaux devant l’Uchronie, loin s’en faut. Attention, il ne s’agit pas d’établir un hypothétique classement par rapport à un niveau de connaissances, mais bel et bien que certaines uchronies plairont plus à telle ou telle personne par rapport à ce qu’elle recherche, et à ce qu’elle connaît de la période utilisée par l’auteur. Ainsi si la Seconde Guerre mondiale se taille encore la part du lion au niveau mondial, on tombe de plus en plus souvent sur des uchronies avec des thèmes plus exotiques, plus originaux, et le tout sur des supports de plus en plus variés.
Qui veut mon Uchronie ?
 
Si le genre a ses classiques, il nous a semblé important de présenter des œuvres quelque peu iconoclastes, et ce quel que soit leur support et leur origine, afin de montrer la diversité des thèmes uchroniques et la différence de traitement que l’on peut trouver.
 
Pour toute personne souhaitant découvrir le sujet nous recommandons la lecture de L’Uchronie, d’Eric B. Henriet, paru aux Editions Klincksieck. Sous forme de 50 questions et réponses, Henriet, spécialiste reconnu, brosse un portrait s’adressant tant aux néophytes qu’aux vieux routards. Son article en ligne, Pourquoi écrit-on de l’uchronie ? Est tout aussi passionnant sur les raisons multiples pouvant servir à faire de l’uchronie1.
 
Pour les jeunes lecteurs
 
A tout seigneur, tout honneur, la collection Ukronie, chez Flammarion, menée de main de maître par Alain Grousset à l'énorme avantage d'être très agréable à lire et de pouvoir être lue par tout le monde! N'oublions pas également la série Louis le Galoup2, uchronie de fantasy extrêmement chaleureuse, touchante et ensorcelante (la trilogie Frankia du même auteur, développe une Seconde Guerre mondiale de Fantasy, qui peut être lue tant par les adolescents que par les adultes).

Lisez aussi la série (hélas arrêtée au bout de 4 tomes) du Bouclier du temps, écrite par Xavier Mauméjean et Johan Heliot, jouant sur le voyage dans le temps, les mondes parallèles, une très bonne introduction pour les plus jeunes avec des personnages bien construits et une bone dose d’aventure et d’explications historiques. Une série comme Bobby Pendragon est aussi une très bonne introduction.

Et qu’on nous pardonne de citer également notre ami Kevin Bokeili avec sa série Timeport. Xavier Mauméjean a également écrit une très belle nouvelle, La Grande Muraille de Rome, parue dans l’anthologie La Chute de Carthage, mettant en scène une Rome impériale aux abois, cernée par une gigantesque armée menée par l’équivalent de Gengis Khan.

Pour terminer nous recommandons également le roman Worldshaker, de Richard Harland, chez Hélium, somptueux mélange des genres entre le steampunk et une uchronie surprenante dévoilée vers la fin du roman. Venant juste de sortir, et bien accueilli, le premier volume d’une trilogie, Leviathan, de Scott Westerfeld, joue également sur un mélange des genres : imaginez une Première Guerre mondiale qui se profile avec d’un côté L’Alliance (Allemagne et Autriche), qui a développé des armes mécaniques gigantesques (des méchas), et de l’autre, l’Entente (Angleterre et France) qui a créée des armes biogénétiques, œuvre remplie de somptueux dessins, mettant en scène deux protagonistes que tout oppose et qui sont bien obligés de se faire confiance et de s’entraider, ce livre montre à quel point le genre uchronique s’est bien installé dans la littérature jeunesse.

Vous pouvez aussi déguster tous les cycles de Bandes Dessinées écrit par Jean-Pierre Pécau : ils allient un excellent divertissement en plus d'un bon (voire très bon) scénario (Empire, Le Grand Jeu, Jour J).
 
World War 2.1
 
Puisque nous devons parler de ce qui fait l’essentiel des sorties du genre, la seconde guerre mondiale, certains auteurs ont réussi à créer des œuvres sortant du lot : Philip Roth nous narre la vie quotidienne de sa famille dans une Amérique tombant dans les bras d'un aviateur-président, Lindbergh, qui met lentement en place ses idées racistes menant à une dictature fasciste. Si Roth excelle à dépeindre un quotidien plombé par la peur et les dissensions familiales, il rate complètement sa fin, loupant de peu le qualificatif de chef d'œuvre (Le complot contre l'Amérique). Préférez-lui le roman K, de Daniel Eastermann, nous montrant une Amérique ayant succombé à ces pires démons, depuis l’élection de Lindbergh, soutenu par le Klan et l’Alliance Aryenne, en 1932… En 1940, une Angleterre aux abois, vu que les Etats-Unis ont signé un pacte de collaboration avec l’Allemagne Nazie, envoie en dernier recours, un agent secret pour liquider le président Lindbergh, et en se faisant passer pour un agent nazi, histoire de faire basculer le pays dans le bon camp… La description de cette Amérique cauchemardesque vaut le détour (l’arrivée à Washington est très impressionnante) et le roman est mené tambour battant !

  Michael Chabon réussit à créer un univers original, décalé et absurde en imaginant que l'Alaska est peuplé de colonies juives suite à une loi, votée de justesse en 1939, permettant aux juifs d'Europe de venir s'installer dans cet état accueillant... Polar surréaliste, langue belle et étrange (parsemée de mots yiddish), assassinat crapuleux, Chabon réussit le tour de force de distiller avec parcimonie quelques subtiles différences avec notre réalité, montrant ainsi une maîtrise peu commune et nous donnant à lire un livre surprenant à bien des égards (Le club des policiers yiddish)...

Etonnant, lent, original, c'est le moins que l'on puisse dire de Résistance, premier roman d'Owen Sheers, roman de terroir, très réaliste pour dépeindre la cruauté et l'horreur de la guerre, surprenant par rapport à son cheminement, ses idées, très dur à lire, mais valant le coup pour celui qui réussit à aller jusqu'au bout.

Pour les amoureux des faits précis, de l'uchronie de prospection, nous ne saurions trop leur conseiller de lire 1940 Et si la France avait continué la guerre... Livre développé à partir du site du même nom et réussissant à démontrer qu'en matière d'étude certains faits comme  l'inéluctabilité de la défaite française en 1940 et l'impossibilité d'un sursaut au niveau politique et militaire sont loin d'être impossibles à envisager.

Et que dire de Millecrabe, transposant la seconde guerre mondiale à un niveau colossal : imaginez une Europe allant de Brest à la Sibérie, et ce grâce à Napoléon Ier ayant à subir deux guerres mondiales avec une Chine développant, après la Première Guerre mondiale, des théories racistes dignes de l'Allemagne Nazie. Loin de simplement transposer un conflit à un niveau géographique différent, Hérault nous montre la réalité du terrain, les jeux de pouvoir au plus haut niveau politique, la géostratégie, le tout en replaçant l'humain au premier plan, très agréable à lire.

A un niveau beaucoup plus humain, Ian R. MacLeod, nous dépeint une uchronie « géographique » avec ses Îles du soleil : La France et l’Angleterre ont perdu la première guerre mondiale, et un fascisme anglais a vu le jour, s’est imposé tout au long des années folles, et a amené au pouvoir, un monsieur « Tout le monde ». Un vieux professeur d’histoire, apprenant qu’il est en train de mourir d’un cancer, décide de tuer le Leader, en soupçonnant celui-ci d’avoir été son amant pendant la Grande Guerre. Ce livre fait l’effet d’un whiskey irlandais : agréable, extrêmement bien écrit, très savoureux, on avance lentement, on savoure, et on referme le livre avec volupté, gardant un arrière goût à la fois fort et amer dans la bouche. Seul détail incongru, comme Fatherland3, l’auteur distille par moment un point de vue britannique sur les relations européennes sous couvert d’uchronie, mais cela lui est pardonnable4.

Deux œuvres françaises sont à lire, Les Oranges de Yalta de Nicolas Saudray, et L’Histoire détournée de Jean Mazarin, subtils, bien écrits, ils mériteraient amplement une réédition.

Nous terminerons avec la BD Block 109, vision apocalyptique et sans concession d’une fin de Seconde Guerre mondiale où un Reich aux abois se prépare à utiliser des armes bactériologiques face à l’adversaire russe. Avec un dessin original et un scenario haletant, ce one shot réussi va, du coup, voir son univers se développer à travers une série d’albums dépeignant chacun un pan de cet univers glauque et terrifiant.
 
Uchronie et Asie : Une approche différente
 
Mais la vision de la seconde guerre mondiale peut changer selon le pays, ainsi le manga Zipang, (28 tomes en France, 43 tomes, série complète, au Japon) rejoue la partition de Nimitz, retour vers l'Enfer, mais en envoyant un navire des forces d'auto-défense japonaises en 1942 ! L'équipage va contempler la défaite de Midway, et sauver un officier du renseignement promis à une mort certaine, seul hic, celui-ci va avoir accès à la bibliothèque et découvrir la fin de la guerre du Pacifique. Il décide alors de faire le nécessaire pour changer le cours de l’histoire. Là ou Kawaguchi fait fort, c'est en montrant les dissensions internes à l'équipage (faut-il intervenir au risque de changer tellement l’histoire que leur futur n’existera plus ?), et le jeu du chat et de la souris qui se met en place dès le début est jubilatoire à suivre : en jouant avec nos nerfs par rapport à certains évènements, en développant minutieusement son uchronie, Kawaguchi signe une œuvre exemplaire. Cette série exceptionnelle, superbe graphiquement, se doit d'être lue !
Le Manga peut aussi développer des uchronies extrêmement originales, ainsi une série comme Jin, imaginant qu'un neurochirurgien voyage dans le passé et se retrouve un peu avant la future guerre du Boshin, modifie petit à petit l'histoire de la médecine en introduisant de nouvelles techniques, en développant avant l'heure des médicaments (la pénicilline) et ce avec les moyens du bord. Le tout en nous instruisant de manière didactique et agréable sur des opérations médicales, l'impact des maladies, la vie quotidienne dans le Japon du XIXème siècle, une petite perle, une série originale et sortant des sentiers battus, jamais larmoyante, et réussissant l'exploit de se renouveler à chaque tome, véritable succès au Japon la série s'est vue adaptée en série live, chez nous il semblerait qu'elle ne rencontre qu'un succès d'estime et c'est fort dommage.
Pour ceux voulant une dimension plus personnelle nous recommandons l’intégrale de Quartier Lointain de Jiro Taniguchi, où le héros de 40 ans se retrouve par un concours de circonstance dans son corps de 15 ans à l’époque de son adolescence et essaie d’influer sur l’histoire de sa famille, touchant, superbe graphiquement, l’auteur brouille les pistes en présentant une fin qui peut paraître décevante au premier abord, mais finalement s’avère très intéressante.

Et que dire de Hellsing5, uchronie fictionnelle, série en 10 tomes où le vampire Dracula sert de tueur à gages à la famille Van Helsing et part en guerre contre un bataillon de vampires nazis créés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et contre un bataillon secret du Vatican constitué de tueurs modifiés génétiquement… Surréaliste au niveau du dessin, original et rempli de références, l’œuvre n’est pas à mettre entre toutes les mains, mais s’avère jubilatoire. Celle-ci fait l’objet d’une adaptation en animé qui sort petit à petit et suit pas à pas le manga.

En parlant d’Animé, le Japon s’est amusé à brouiller énormément les pistes en sortant des uchronies très décalées par rapport à nos standards habituels : Ainsi Code Geass mélange Mécha et Uchronie européenne (l’existence d’une noblesse celte débouchant sur une monarchie britannique avant l’heure, l’invasion de l’Angleterre par Napoléon), superbe visuellement, très poussée d’un point de vue psychologique, une série à voir ; La tour au-delà des nuages joue sur une invasion du Japon, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et une partition de celui-ci en deux entre l’Union (Nord) et les Etats-Unis (Sud) le tout matérialisé par un mur. Ce film joue en plus sur la notion de mondes parallèles. Très subtil, poétique et touchant.

Sorti en 1999, le film Jin-Roh fait parti d’un ensemble plus vaste au Japon6, l’histoire de cet univers s’est vue créée et complétée au fur et à mesure, partant d’une no intervention des Etats-Unis dans la Première et la Seconde Guerre mondiale, du Japon rejoignant la Société des Nations et ne s’alliant pas à l’Allemagne Nazie, d’une victoire allemande à Stalingrad grâce à l’utilisation d’armures de combat, de la mort d’Hitler le 20 juillet 1944 lors de l’attentat perpétré par Stauffenberg et qui a échoué dans notre réalité, de l’instauration d’un régime conservateur allemand qui n’hésite pas à utiliser l’arme atomique sur le Japon pour remporter la guerre (début du film). Chef d’œuvre du film noir, sans concession, dur, jouant sur les différents niveaux de guerre psychologique entre divers groupes militaires, un film choc.

Pour terminer avec l’Asie, nous parlerons de films : Returner, sorte de voyage dans le temps très speed, sympa, léger et avec uchronie personnelle (changement de la vie d’une personne) à la clé. L’acteur principal a joué dans un autre film, mélange d’uchronie et de steampunk, absolument magnifique, trépidant, drôle, et digne des productions hollywoodiennes : K-20, le voleur aux 20 visages. Enfin, 2009 Lost Memories, film sud-coréen, débute par une uchronie complètement inconnue des Européens : L’assassinat d’un homme d’Etat japonais venant s’installer au Pays du Matin Calme débouchant sur l’occupation complète et totale de la Corée avec un gouvernement militaire japonais qui ne se terminera qu’en 1945. En faisant échouer cet assassinat, nous assistons à un XXème siècle différent présenté à la façon d’un petit documentaire, le film, très orienté action, se laisse regarder, même s’il aurait gagné à être raccourci sur certains passages inutilement larmoyants.
 
The American Way
 
De l’est à l’ouest il n’y a qu’un pas, si l’uchronie américaine d’un point de vue romanesque joue sur certaines périodes clés (La guerre de Sécession, la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide), les comics ont su suivre le courant puis s’affranchir de cela. Ainsi les Freedom Fighters combattent dans un monde où les Nazis ont triomphé et constituent la première super équipe à se battre dans un contexte pareil.
Pourtant on retient plus facilement les deux collections d’uchronie de fiction de DC et Marvel : Elseworlds  pour le premier, What If pour le second. Ne boudons pas notre plaisir en tentant d’établir un palmarès trompeur, on peut piocher des deux côtés en se faisant énormément plaisir dans les deux cas.

Que ce soit avec Superman : Red Son imaginant un superman atterrissant en URSS en 1938 et devenant à partir des années cinquante le chantre du communisme : une relecture très intéressante tant du mythe Superman que de l’American Way of Life. Et que dire du Batman Dracula, imaginant un Batman devenu vampire (après avoir rencontré qui vous savez) et tentant de ne pas succomber à la soif de sang qui le ronge, nul besoin d’être devin pour deviner qu’il n’y arrivera pas : Du coup vous aurez certaines scènes très gore où un Batman, plus inhumain que jamais, règle de manière expéditive et épouvantable le problème de la criminalité à Gotham… 

Si vous en avez l’occasion, et l’envie de lire en VO, quoique cela ne soit pas très difficile à comprendre, jetez un coup d’œil à Speeding Bullets, ou Superman prend la place de Bruce Wayne et devient Batman, à Holy Terror imaginant un Batman dans une dictature religieuse américaine (Le comic part du principe que Cromwell a vécu 10 années de plus, hélas pour tout le monde, et que les Etats-Unis sont toujours une colonie du Commonwealth britannique, et menée par un gouvernement théocratique corrompu, un peu comme V pour Vendetta, qui lui reste une anticipation et une dénonciation de l’Angleterre Thatchérienne). Superman : A Nation Divided réécrit la guerre de sécession avec Superman en héros de l’Union et en sauveur du président Lincoln (assassiné par un acteur aux sympathies sudistes, Booth, peu de temps après la fin de la guerre).

 Pour Marvel nous ne saurions trop vous conseiller de lire tout simplement les What If parus en français, simples, originaux, la série reste a un très bon niveau actuellement. Il suffit de voir le splendide Bullets points, centré sur un évènement Marvel : la balle nazie qui tua le professeur Erksine, inventeur du sérum du Super-Soldat, qui créa Captain America après l’injection de l’unique dose au jeune Steve Rogers. Et si le tueur avait agi 24 heures plus tôt ? A partir de là, l’univers Marvel se brouille, et si les supers héros restent connus, les personnages les incarnant ne sont pas les mêmes : Par exemple un certain Peter Parker deviendra Hulk. Original et réécrivant brillamment tout l’âge d’or des années soixante de Marvel.

Si vous voulez quelque chose de consistant, d’original, nous ne saurions trop vous conseiller de lire House of M, superbe uchronie de l’univers Marvel dans laquelle Magneto a conquis le monde et établi la domination des mutants, et 1602, transposition -et voyage dans le temps menant à cette uchronie- de tout l’univers Marvel à cette époque : un pur régal avec un superbe scénario de Neil Gaiman pour le début.

Nous ne saurions terminer ce bref rappel des comics sans citer Watchmen, que ce soit l’œuvre ou le film, avec une uchronie menée tambour battant et une réflexion sur le surhomme passionnante, le non-moins superbe Rex Mundi, qui vient de ressortir (1ère édition chez Semic en 2005) chez Milady Graphics, sombre thriller religieux au scenario déroutant et haletant (et tant qu'à faire prenez aussi Grandville un polar choc dans un monde peuplé d'animaux humanoides et avec une uchronie napoléonienne à la clé).
 En VO nous ne saurions trop vous conseiller de lire en ligne le fabuleux Captain Confederacy, qui a été entièrement revu et corrigé par son auteur et mis en ligne gratuitement, et d’acheter le superbe Roswell, Texas, uchronie drôle, complètement décalée, jubilatoire à lire, et qui mériterait amplement une traduction.
 
Uchroniquement Drôle
 
L’humour et l’uchronie font généralement bon ménage, mais il existe des uchronies construites uniquement sur ce cas de figure. En voici quelques unes :
Caroline oh ! Caroline de Paul Van Herck, la couverture est déjà tout un programme… Mais le contenu est à l’avenant : drôle, relevé, ne respectant pas grand-chose, et jubilatoire à souhait.

En 2002, Guy Konopnicki s’amusa à nous faire peur en imaginant un Le Pen élu au second tour (Les 100 jours)…Là vous avez du Charlie Hebdo de la grande époque en livre ! Très relevé, montrant bon nombre de scènes ridicules ; et avec une fin digne de rentrer au Panthéon des Blagues Douteuses, ce livre permet de conjurer avec efficacité la vision d’une extrême-droite au pouvoir tellement cela aurait été ridicule.
Et que dire de Libertude Egalitude Fraternitude, qui imagine en mai 2007 la victoire d’une Ségolène Royal digne de sa marionnette des Guignols de l’Info, si ce n’est qu’en tant que farce politique, c’est une réussite à tous les niveaux !
 
You wanna play ?
 
Existe-t-il un genre uchronique au sein des jeux vidéo ? Oui, que ce soit en Wargame, en First Person Shooter, et en Simulateur de Vol. Ainsi la série Alerte Rouge, nous dépeignant une seconde guerre mondiale différente, en partant du principe qu’Einstein, dégoûté de la guerre que nous connaissons, invente une machine à voyager dans le temps, et part « désintégrer » Adolf Hitler à sa sortie de prison en 1924… tout est-il consommé ? Eh bien non ! Sans Hitler, c’est Staline qui décide de s’emparer de toute l’Europe… Au joueur de l’en empêcher ou de l’aider à conquérir ces pays capitalistes pour faire flotter le drapeau rouge de la Sibérie à l’Angleterre ! L’intro du jeu reste toujours aussi impressionnante. Après une victoire chèrement acquise dans le 1, vous voilà obligé de remettre le couvert dans le 2, car le président Romanov, responsable de la Russie, décide tout simplement d’envahir les Etats-Unis avec une armée pour le moins impressionnante : c’est par ici. Et pour boucler la boucle, la série est revenue il y a peu avec une idée intéressante la relançant de manière originale : voir l’introduction d’Alerte Rouge 3. Autant le dire, et puisque vous l’avez constaté de visu, avec cette série on navigue entre série B, voire Z, bombasses en uniformes, humour quelque peu lourd, et vision très américano centrée, car que regarde t-on si ce n’est une variation et une vision d’une guerre mondiale « rêvée » à l’américaine ?

D’un point de vue plus sérieux, notons que la Troisième Guerre mondiale appelée de tous ses vœux par les Hauts Commandements des deux bords s’est vue devenir réalité virtuelle avec le très impressionnant World in Conflict, digne des meilleures séries B américaines.

Pour les passionnés, nous pouvons également parler de la campagne uchronique allemande du jeu Rush for Berlin, celle-ci se débloque une fois toutes les campagnes alliés effectuées. Le joueur voit alors Hitler mourir lors de l’attentat perpétré par Stauffenberg, et Albert Speer7 devenir le responsable de l’Allemagne et essayer de sauver ce qui peut l’être à l’aide de programmes militaires secrets qui sont accélérés (Char Maus, Porte-avions Graf Zeppelin, Me 262, arme atomique, etc.).
 Pour les aficionados, nous recommandons chaudement les jeux Victoria 2 et Hearts of Iron 3 de Paradox Interactive, permettant de faire à peu près tout ce que l’on veut, avec le pays que l’on veut, du XIXème siècle au milieu du XXème siècle ! Une sorte de Super Civilization pour fans en quelque sorte…

Pour les amateurs de sensation forte en vol, signalons le très bon IL2 Sturmovik 1946, permettant de manœuvrer bon nombre de prototypes, et la campagne japonaise uchronique de Battlestations : Pacific, vu que les concepteurs imaginent une victoire japonaise à Midway, et la guerre complètement différente qui en découle (ce qui permet de piloter un magnifique Kyushu J7W2 Shinden à réaction).

Mais à côté de ces jeux là, combien de déceptions, de ratages en tout genre, que ce soit Iron Storm, très lourd et bancal malgré une idée intéressante (la première guerre mondiale continue en 1964), le Turning Point : Fall of Liberty, partant d’une idée originale : la mort de Winston Churchill en 1930 écrasé par une voiture, sans celui-ci l’Angleterre aurait-elle pu tenir face à Hitler ? Pour les concepteurs du jeu c’est non et, du coup, après une conquête globale de l’Europe, les nazis décident d’envahir les Etats-Unis. Et c’est à peu près tout ce qu’il faut en retenir : Mauvaise ergonomie, aucun plaisir de jeu, et au bout d’un moment, tuer du nazi ou du soviétique lasse un peu, à quand un univers uchronique en jeu vidéo qui sorte des sentiers battus, et développe un univers original ?
 
Et maintenant ?
 
Il est bien entendu que ce que vous venez de lire n’est qu’un bref aperçu de ce qui se fait actuellement. L’uchronie étant devenue « à la mode », on en trouve un peu partout :
Songeons au livre de Paul Auster, Seul dans le noir, mettant en scène une guerre civile en Amérique du Nord, dans un monde où le 11 septembre 2001 n’a pas eu lieu et où les Etats américains se sont déchirés suite au problème de comptage des voix en 2002, l’auteur joue énormément sur l’aspect créé de l’Uchronie, vu que le roman suit un vieil homme qui rêve à cette autre réalité, où il incarne quelqu’un qui doit le tuer, lui, car il a créé ce monde cauchemardesque… Surprenant et étonnant à lire.

 Le roman de Bernard Quiriny, Les Assoiffées, quand à lui nous dépeint le Benelux comme un Etat totalitaire, féministe, encore plus fermé que la Corée du Nord, et ce depuis une révolution féministe survenue dans les années 1970 !

Et que dire des uchronies personnelles qui fleurissent en BDs ? Que ce soit avec Destins, Uchronie(s), L’Alternative chez Glénat, on se rend compte que ce genre particulier de l’uchronie, simple, accessible, et compréhensible pour tous débouche sur de magnifiques œuvres (que l’on songe en romans à Replay, à L’échange, à L’homme qui se prenait pour lui-même, avec une idée extrêmement originale de partage d’un corps par deux esprits).

Plutôt qu’un regard nostalgique sur le passé, ou des vœux pieux murmurés pour l’avenir de ce genre, constatons simplement que l’uchronie, à travers la multiplicité de ses œuvres, touche de plus en plus de gens (qui connaissent souvent le genre sous le terme « Et si » plutôt que sous le terme uchronie, notons le), s’intègre à d’autres genres (que l’on songe aux nombreuses uchronies de fantasy), s’étudie (le futur essai sur l’Uchronie d’Ugo Bellagamba et d’André-François Ruaud est attendu), et finalement, en débordant de son cadre se renouvelle régulièrement.

 C’est justement ce que nous souhaiterions mettre en avant, pour conclure, on trouve de plus en plus d’œuvres aux frontières assez floues en matière d’Uchronie, Gilles Dumay, sur le forum d’ActuSF, a parlé d’Achronie8, d’uchronie n’indiquant pas forcément précisément son Point de Divergence, ou d’élément uchronique rajouté mais n’étant pas le point essentiel de l’oeuvre :
Songeons à la Présidente du conseil (notre poste de Premier Ministre actuel pour simplifier), Victoire Desnoyelle, dans Les Démons de Paris de Jean-Philippe Depotte, élément uchronique très intéressant, et auquel on peut seulement rêver dans notre réalité. Ou à la statue du coq Chantecler, sur les Champs Elysées, dans La Section des Statistiques de Luc Dutour9. Mais quand on regarde des œuvres comme Okko, avec son Empire du Pajan surprenant et avec une technologie quelque peu avancé sur certains points (les très impressionnants Bunrakus de combat, sorte de marionnettes de combat géantes, où un être humain peut entrer, une exo armure avant l’heure, en quelque sorte) et des Dieux issus du Shintoïsme qui peuvent intervenir dans les affaires des mortels ? Que dire de Smoke City, avec son mélange de polar, de sorcellerie et de technologie rétro-futuriste ? Et de Shanghai, du même auteur, où le steampunk s’invite dans une Chine au début du XXème siècle ? Ou comme dans Les Sentinelles, où l’on se demande si la Première Guerre mondiale va suivre son cours normal quand on voit à l’œuvre cette technologie rétro-futuriste. Et que dire du Comic Arrowsmith, rencontre surprenante et réussie de la Première Guerre mondiale et d’éléments de fantasy. Nous pouvons aussi évoquer une double page du Groom Vert-de-gris, one shot splendide de Spirou, avec une vision de la Seconde Guerre mondiale surréaliste et digne des meilleurs pulps, où suite à une arme secrète terrifiante basée en Belgique, les Nazis réussissent à damer le pion aux alliés en matière de contrôle du ciel après le Débarquement, et travaillent, sous l’égide de Von Braun, à des projets secrets, entre prototypes Luftwaffe 1946, on aperçoit Von Braun admirer la fusée de Tintin avec un beau damier allemand, et un savant rire en regardant un autre lui présenter un prototype de Zorglumobile… Terminons avec un film qui a beaucoup fait pour que l’on puisse parler d’uchronie : il s’agit d’Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, où celui-ci s’amuse à tuer Hitler (Pardon si vous ne le saviez pas) à la fin du film : Cela ne change rien à l’Histoire (manifestement) mais qu’est-ce que ça fait du bien !10
 
Quelques Œuvres Iconoclastes
 
Le lecteur sera ravi de plonger dans des œuvres assez étonnantes pour conclure :
Que ce soit un ancien monde différent, tant du point de vue de la Géographie, que des pays, et digne de Robert E. Howard, avec Le royaume blessé de Laurent Kloetzer, imaginant l’existence de l’Atlantide en plein milieu de l’Océan Atlantique, Empire à la technologie avancée et faisant plier le monde connu sous son joug, pourtant, chez les clans Keltes, on attend un chef… Une œuvre pleine de bruit et de fureur.
Ou un roman-monde avec Kraven, où Xavier Mauméjean s’amuse à pasticher le style improbable des Dime Novels, des romans de 4 sous écrits sous pseudo collectif et dépeignant des héros « Larger than Life » avec un talent indéniable et une histoire prenante, digne d’un opéra baroque.

Ou Bloodsilver, écrit par un Américain taré dont Xavier Mauméjean et Johan Heliot sont allés chercher, au péril de leur vie, le manuscrit dans une cabane au Canada. Mélange de western fantastique racontant dans la boue et le sang la création d’une Nation Vampire aux Etats-Unis d’Amérique…

Et que penser de la série Thursday Next de Jasper Fforde ? Mélange étonnant, savoureux, avec un humour indéniable, et une histoire fantastique.
Ou de la Malédiction d’Old Haven et de sa « suite » Le maître des dragons, imaginant une histoire à la croisée de Lovecraft, et d’une théocratie épouvantable dans une Amérique pas du tout accueillante.

Mais il existe d’autres thèmes originaux, ainsi, Corinne Guitteaud imagine un choc entre civilisations méso-américaines et européennes dans sa très belle nouvelle Mon empire pour un cheval dans son recueil La vague.

André-François Ruaud nous décrit avec une langue savoureuse et chaleureuse les tribulations d'un détective privé, Bodichiev, au sein d'un Empire anglo-russe et d'un monde original à travers de superbes nouvelles, et on ne peut que rester admiratif devant le souffle de l'épopée que dégage Tancrède, Une uchronie d'Ugo Bellagamba.
En ce qui concerne les nouvelles, nous ne saurions trop conseiller de lire Dernier Zeppelin pour cet univers, L’Historionaute, le huitième registre, Der des der, L'apopis républicain et sa suite La stratégie Alexandre11 pour leur originalité et de se jeter sur Divergences 001, remplies de nouvelles originales12.

Le livre de Xavier Mauméjean, Rosée de Feu développe à la fois une uchronie biologique (l'existence des Dragons) et nous raconte à la manière d'un Haïku la fin de la guerre de l'Asie-Pacifique avec un dénouement uchronique surprenant (Pour ceux se posant des questions sur la possibilité d’une invasion du Japon par les Américains, celle-ci étant en filigrane dans le roman de Xavier Mauméjean, Alfred Coppel, en son temps, en fit une description très réaliste dans La montagne de feu, rare ouvrage à avoir été traduit. En VO, Le roman 1945 de Robert Conroy, ou le comic Storming Paradise, permettent de cerner complètement le sujet).
 
Conclusion et perspectives
 
Le genre uchronique se porte donc à merveille, merci pour lui, mais l’évolution constatée ces derniers temps, où on assiste à un mélange des genres réjouissant (Voyage dans le Temps, Uchronie, Fantasy, Rétro-Futurisme, Steampunk), qui ouvre des perspectives rien moins que passionnantes (Ainsi Rue Farfadet, à paraître chez Mnémos, présente un mélange des genres réjouissant et qui fera certainement mouche).
Ainsi, des initiatives naissent en France et témoignent de l’intérêt porté au genre, comme le festival des Uchroniales ou la table ronde sur l’Uchronie que prépare le musée de l’Armée13.
 
Bertrand Campeis
 

 


 

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?