De son vrai nom Gilles Dumay, Thomas Day est confortablement installé dans le paysage littéraire des genres de l'Imaginaire. Outre le fait qu'il est le directeur de la collection Lunes d'Encre chez Denoël, c'est un écrivain de science-fiction et de fantasy reconnu. En plus de dix ans de carrière, il a, en effe,t signé de nombreux romans et nouvelles, dont L'Instinct de l'équarisseur, Le Trône d'ébène (prix Imaginales 2008), La Voie du sabre (prix Julia Verlanger 2003) ou This is not America.
On retrouve aujourd'hui son nom en dessous du titre de Dæmone, une réécriture d'un roman déjà paru au Bélial en 2001 sous le titre Les Cinq derniers contrats de Dæmone Eraser. Thomas Day y décrit un gladiateur des temps futurs dont la femme est dans le coma. Alors que le corps médical ne donne quasiment aucune chance au réveil de son épouse, Dæmone est approché par Lhargo. Ce membre d'une race extraterrestre capable de contrôler le temps lui propose un marché. S'il accepte de tuer cinq personnes, quelle que soit la méthode employée, sa femme lui sera rendue. Pour le gladiateur, aucune hésitation n'est possible et il embarque ses deux amis et gardes du corps, Kimoko l'überkriegerisch et Gilrein l'homme-chat, dans des missions de plus en plus dangereuses.
De la série B aux petits oignons
Dès son commencement, Dæmone, dont le titre de la version originale était beaucoup plus révélateur de la teneur du livre, apparaît clairement comme un roman de série B. On y parle d'extraterrestres, de la destinée de l'espèce humaine toute entière, puis de gladiateurs s'affrontant dans des arènes, devant des milliards de téléspectateurs. Le personnage principal est une brute surentraînée, dopée et à l'abnégation totale. Ses amis sont une machine à tuer asiatique à la beauté fatale et dont le charme n'a d'égal que la létalité, et un extraterrestre mi-homme mi-chat, pilote émérite et combattant aguerri. Le roman de Thomas Day fleure bon le sang, la sueur et la poudre. C'est en effet ce que nous sert très vite l'auteur. Opération commando haletante, chasse à la bête sauvage titanesque au rythme soutenu, exfiltration militaire à gros moyens, Day déploie la panoplie d'éléments science-fictifs traditionnels de ce type de récits, mais avec une efficacité qui le place volontiers au sommet des écrivains de séries B. Car à aucun moment, une fois le livre entamé, le lecteur n'a de raison d'en abandonner la lecture. Même si Dæmone est en effet un de ces romans qui ferait dire à une certaine nomenklatura littéraire que la SF est une sous-littérature pour dégénérés restés trop longtemps devant leurs écrans, c'est un roman qui n'a pas d'autre prétention que de divertir le lecteur, et qui le fait de façon parfaite.
Thomas Day va au-delà du simple récit brutal
Toutefois, au fur et à mesure que Dæmone progresse dans sa mission, celle-ci devient de moins en moins cautionnable. Alors que la conscience du personnage n'a pas de raison d'être ébranlée par la nature de ses premières cibles, des criminels de la pire espèce, Dæmone se retrouve rapidement confronté à des questionnements sur le sens de sa quête, sur la valeur des actes qu'on lui fait commettre. Taraudé par une conscience qu'il ne réussit pas totalement à faire taire, conseillé par des amis qui, moins impliqués émotionellement, lui démontrent les limites de ses actes, manipulé par un employeur dont les intentions restent hors de portée d'un humain, le gladiateur s'interroge. Jusqu'où est-il prêt à aller ? Son amour mérite-t-il autant de sacrifices ?
Dans la seconde moitié du roman, Thomas Day essaie donc de démarquer son récit des canons du genre, mais il n'est qu'à moitié convaincant. Pas tellement en ce qui concerne le retournement de son personnage principal, son évolution étant crédible et relativement attendue. C'est en donnant une soudaine profondeur à ses personnages que l'auteur faiblit quelque peu. Lorsque Dæmone Eraser, mais surtout Kimoko dévoilent certains de leurs côtés humains, ils apparaissent soudainement semblables et sans relief : même façon de s'exprimer, propos à teneur philosophique assez simplistes... L'auteur offre de plus des passages qui tiennent du clichés, comme la scène de sexe ou une fin de roman qui déçoit par l'abrupte et facile conclusion des relations entre le personnage principal et Delores Kane.
Un roman qui se laisse lire
À la question que pose Thomas Day dans l'entretien qui accompagne le roman, « La critique dira si Dæmone est une série B réussie », nous répondons oui. Day livre un roman divertissant, dont le lecteur n'attend rien de particulier sinon d'y trouver des extraterrestres, des personnages hauts en couleur et des gadgets technologiques, mais dont il obtient plus. Toutefois, il est difficile de faire évoluer des personnages, de décortiquer leurs sentiments et leur psychologie de façon crédible en seulement deux cents pages, et Day ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Reste une lecture plaisante.