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Freesia, tome 5

Thibaud Desbief (Traducteur), Jiro Matsumoto ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Japonais
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 24/03/2011  -  bd
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Freesia, tome 5

Né en 1970 au Japon, Jiro Matsumoto est un auteur de manga dont les œuvres, qui abordent sans concession violence et érotisme, s’adressent à un public d’adultes avertis.

Freesia, son premier manga publié en France, compte 12 tomes au total, dont 6 ont déjà été traduits en français. Il a été adapté au cinéma en 2007.

Un trio d’exécuteurs déjantés dans un Japon où la vengeance fait Loi

Dans un futur proche, le Japon est coupé en deux par une guerre civile, et les dépenses engagées dans l'effort de guerre ont conduit à la fermeture de nombreuses prisons. Pour lutter contre l'afflux de criminels dans les rues, une Loi sur la Vengeance a été votée, autorisant les familles de victimes de crimes violents à se faire justice elles-mêmes. À leur demande, des exécuteurs suppléants de vengeance sont chargés de traquer et de tuer les coupables, qui peuvent eux aussi être défendus par des protecteurs assermentés.

Dans ce 5e tome, les missions du trio d’exécuteurs se succèdent... Toujours aussi psychotique, Kanô s’interroge sur sa dernière exécution, tandis que Yamada est chargé de jouer les instructeurs auprès de deux nouveaux exécuteurs, ce qui lui rappelle ses propres débuts.

Quant à Mizoguchi, son comportement excessivement violent amène ses supérieurs à lui tendre un piège. S’il ne réussit pas ses missions, il sera déchu de ses prérogatives d’exécuteur et emprisonné pour ses crimes. Or il est chargé de tuer une vieille dame, une tâche apparemment sans grande difficulté pour lui, mais à cause d’un traitement médical que sa hiérarchie lui a imposé, il n’est plus tout à fait dans son état normal…

Un thriller psychologique dérangeant et violent, basé sur trois personnages complexes

Freesia est un thriller psychologique haletant, qui enchevêtre des scènes d’exécutions cruelles et hyper-violentes, avec les états d’âme extrêmement tourmentés de ses personnages, réellement fascinants mais plutôt, voire carrément, antipathiques…

C’est une série dérangeante et ultraviolente, qui choque profondément le lecteur dès les premières pages, et est par conséquent destinée à un public restreint. Au premier abord, son scénario paraît brouillon, d’une gratuité totale dans sa violence effrénée et très complaisante dans ses scènes de sexe d’une grande crudité. Mais peu à peu se met en place une intrigue fouillée où les ressorts des personnalités complexes et complètement psychotiques des principaux personnages se dévoilent peu à peu.

L’histoire se construit autour de son trio d’exécuteurs dont les personnalités sont radicalement différentes. Entre Mizoguchi le déviant, pervers et psychopathe, tueur sans merci qui bat sa femme, et Yamada, seul homme « normal » du trio qui a la naïveté de croire en la justice de la Loi sur la Vengeance, Kanô, complètement décalé de la réalité, vit en permanence dans son monde personnel peuplé d’hallucinations.

Ce dernier, qui ne comprend rien aux sentiments et aux motivations des êtres humains normaux, est la clé de voûte de toute l’intrigue. En devenant exécuteur, il est devenu fait et partie d’un système basé sur la vengeance, une motivation à laquelle il ne comprend rien puisqu’il est insensible à ce qui se passe autour de lui. À travers ce personnage de sociopathe, Freesia est une incroyable plongée dans l’inconscient d’un homme malade, déconnecté à la fois du réel et des autres êtres humains.
Kanô, dans sa folie, est un exécuteur parfait dont l’instinct de tueur n’est parasité ni par la peur ni par la compassion, une machine de mort à l’image de cette société qui glorifie ses plus bas instincts comme la vengeance et pervertit l’image de la loi en autorisant le meurtre.

Une série où la violence se déchaîne mais qui n’en fait pas l’apologie

Car l’état psychologique et moral totalement délabré des personnages de Freesia fait écho à la dépravation de la société qui les a produits.
Les mangas sont riches en situations de départ où la vie humaine a perdu toute valeur et où l'on tue sans discernement. Des œuvres comme Battle Royale, Ikigami, ou Deadman Wonderland fonctionnent sur le même principe.
 
Mais, dans Freesia, la violence n’est nullement sublimée. Elle est sale, absurde, et frappe parfois totalement gratuitement puisque les proches de la personne à exécuter peuvent elles-aussi être tués s’ils s’y opposent.
Le graphisme de Jiro Matsumoto n’est pas d’une beauté léchée, bien au contraire, mais son aspect faussement brouillon est terriblement efficace car il rend bien la noirceur totale et l’indigence morale de l’univers qu’il décrit.
Si les personnages de Kanô et de Mizoguchi intriguent et fascinent par leur complexité, on n’éprouve aucune sympathie pour eux, ce qui permet à l’auteur d’éviter l’écueil d’une apologie de la violence gratuite.
 
Au contraire, face à l’horreur et à la corruption qu’il fait naître derrière une façade légale, les fondements de ce droit à la vengeance sont constamment remis en question. Notamment grâce à Yamada, le seul personnage de notre trio qui est devenu exécuteur par véritable conviction, et qui déchante bien vite, le pauvre !
Les personnes qui doivent être exécutées, et qui ont souvent bien changé depuis leur crime, s'interrogent d'ailleurs elles aussi sur le bien-fondé de ce recours à la loi du talion, donnant ainsi au lecteur bien à réfléchir sur la pertinence d'une justice aussi, et parfois plus, barbare que les actes commis...
 
Tout en faisant l'étalage d'une violence crue et dérangeante, cette série ambitieuse et hors normes en questionne en permanence les fondements. À la fois illustration des dérèglements d'une société livrée à la vengeance et critique intelligente des rouages officiels qui l'autorisent, Freesia est un étonnant voyage au bout de l'enfer, qui mérite le détour si vous avez les tripes bien accrochées...

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