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Au Miroir des Sphinx

Charlotte Bousquet ( Auteur), Krystal Camprubi (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/08/2008  -  livre
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Au Miroir des Sphinx

Le deuxième ouvrage de la jeune maison d’éditions Argemmios est donc ce premier recueil de nouvelles signé Charlotte Bousquet. Lauréate du Prix Merlin 2005 pour son roman Les Arcanes du pouvoir, l’auteure possède à son actif de nombreuses publications dans des fanzines, thèse et conférences philosophiques sur l’Imaginaire, ainsi qu’une actualité à venir dans des anthologies en 2009.

Fragments de verres épars recollés en un étrange Miroir.

La construction du livre, l’agencement des textes en thématiques a été soigné. Poèmes en vers, nouvelles, proses inspirées d’œuvres d’art ( L’Egnime de Gustave Doré, La Porte des Enfers d’Auguste Rodin, Les Colosses de Memnon) confèrent à l’ouvrage une qualité d’objet. L’unité de la vision artistique singulière de l’auteure transpire plus en cela que dans le contenu, somme toute, inégal des récits.

Au Miroir des Sphinx tente dans un chassé-croisé culturel d’offrir au lecteur un miroir recollé, fait de morceaux de verre épars, où se reflèterait le paysage imaginaire de Charlotte Bousquet. Le lecteur ne peut qu’apprécier les goûts artistiques de l’écrivain et savourer la juxtaposition de ces œuvres d’art classiques précautionneusement choisies. À travers sa culture, ressortent les grands artistes du passé, ceux dont l’art fait état de référence, et qui ont consacré une part de leur génie au fantastique. Homère, Rodin, Doré, Michel-Ange, Poe, Füssli, autant de  maîtres appelés à l’aide et qui, ainsi réunis, ne laissent pas d’équivoque quant à la noble place de l’Imaginaire que Charlotte Bousquet revendique dans l’Histoire de l’humanité. Couronnant sa vision, c’est la figure du Sphinx qu’elle place au cœur de l’ouvrage.
Comment ne pas être séduit par l’idée ? Puissante figure mythique et pourtant si peu revisitée, le projet s’annonce plein d’enthousiasme, de bon goût et de découverte. Le choix emblématique du sphinx en est d’emblée le garant ;  elle a trouvé son espace d’expression créatif, ce ne sera pas qu’un patchwork.

Fantaisy féminine entre originalité et convention

Nous lisons une fantasy féminine, voire féministe. Les protagonistes sont des héroïnes. Les ambiances celles de fantasmes féminins ( Trinité ou la jeune fille et la Sphinge). Les thèmes sont souvent ceux du pouvoir contre l’homme, allant jusqu’à la revanche sur des évènements pourtant gravés dans l’histoire mythique ( Le dernier Ulysse, ou encore la défaite surprenante et totale d’un Apollon). Ostensible ou subtile, cela n’est pas sans rappeler la fascination féminine pour les vampires, aujourd’hui. Le mythe, tel qu’il est abordé depuis les années 90, est extrêmement féminisant. Cet imaginaire, cette mise en scène esthétique et concrète de pulsions humaines, leur parle. Au Miroir des Sphinx est, si l’on accepte le point de vue ci-dessus, comme la capture de ce qu’il y aurait de féminin aujourd’hui dans le vampirisme, son extraction de la bichromie gothique pour en exploiter l’étendu de son spectre coloré. Un arc-en-ciel aux couleurs intenses, aux idées hardies, aux cultures foisonnantes, un imaginaire fatalement féminin car un imaginaire sur mesure aux fondements de la personnalité de l’auteure.

Tous les textes ne sont pas parfaits, mais quelque chose de neuf y palpite sous l’encre. Ses connaissances lui permettent de se sentir légitime à piper les dés aux sources ( culture revue, mythe détourné), là où ils étaient parfois déjà pipés par le rapport de force des sexes ( la dominance du mâle dans les mythes dit de l’humanité) pour un résultat exigeant et concluant.

Réflexions sur l’Imaginaire pertinentes.

Je m’attarderais sur Le dernier disciple et Borderline qui ouvre puis ferme ce recueil.

Le dernier disciple jongle avec les civilisations. Arius, philosophe, nous rappelle le modèle socratien de l’antiquité grecque. La toile de fond sera l’Égypte avec sa sphinge, son imaginaire, son décor. La réflexion explorée une confrontation entre le dogme chrétien et celui hérité du dogme français qui a amené la Révolution Française, pour ne pas dire celui de Nietzsche qui en un certain sens en est l’approfondissement. L’affrontement intellectuel, entre la sphinge et le philosophe, est donc profondément anachronique et fascinant. Dès le premier paragraphe, le lecteur accroche aux idées fondatrices développées par Arius et les talents de conteuse de l’auteure. Le suspens de la fable s’épuisera au compte goutte. La mort est l’enjeu de ce duel théologique.

A demi-mot la démonstration tend à mettre en lumière l’évolution entre l’antiquité mythologique, le christianisme (qui y mit un terme puisque qu’il introduisit, en faisant graviter son dogme mythique autour de l’homme, une conception humaniste de l’univers) et l’existentialisme actuel, cet humanisme dépouillé de toute superstition. Le fil d’Ariane pourrait être celui-là : la conscience de soi a balayé les mythes externes sur lesquelles nous n’avions pas prises, pour d’autre mythe où l’homme a le rôle principal. Plus la connaissance a effacé la magie du monde extérieur, et donc la mythologie, plus le christianisme s’est développé et renforcé car basé avant tout sur l’homme et son monde psychique inconnu. La cartographie de plus en plus avancée du monde intérieur depuis le début du XXème siècle fait peut-être subir au christianisme le même sort que celui des mythes grecs ?

Le plus intéressant dans la morale du Dernier disciple réside dans le fait que c’est à travers cette liberté humaine, purement existentialiste, que la sphinge retrouve, à travers celle du philosophe, la sienne. La créature reprend le contrôle de sa destiné ennuyeuse et peut enfin choisir de mourir au lieu d’errer aliénée à celle des hommes. La disparition des mythes a bien lieu comme prévu, toutefois la nuance proposée par le roman est de taille. L’imaginaire avait un rôle bien « réel » et n’était pas un vulgaire songe. Si les créatures fabuleuses ont disparus c’est de par leur propre volonté. Leur mort est un choix, né d’une opportunité de libération que le philosophe lui offre, intellectuellement, au nom d’une humanité assumant son potentiel.
   
Borderline change de ton : le monde contemporain. Une acrobate victime d’un ennui mortel vit dans un Paris s’accordant merveilleusement à son spleen. On se rappelle l’Artiste du trapèze de Kafka, cet être qui ne respire que dans les hauteurs, le spirituel, se détachant progressivement de la terre nourricière. L’atmosphère évoque le Vieux Saltimbanque de Baudelaire. La narratrice est déprimée, non-vivante, ce qui prend au fil des pages les allures de la vie d’une jeune vampire, vécu de l’intérieur. L’effet produit par le parallèle entre une fatigue de vivre romantique et l’expérience introspective d’être un vampire marche diablement bien. Si bien que la part de fantastique y est voilée ; on devine touche par touche, on comprend qu’une rencontre l’a métamorphosée, tout est sur le fil du rasoir, et quand la vérité est sur le point d’être révélée, le doute soulevé, tout nous échappe : est-elle vampire finalement ? Et c’est le véritable point du récit : être funambulesque jusqu’à la fin.
 
Pourquoi ce voile constant ? L’être qui a changé sa vie est pourtant la figure du vampire par excellence jusque dans le propos des lettres échangées. Est-ce le plaisir de l’auteure à jouer des mythes connus afin de créer dans ce mixte son identité ? C’est plus subtil. Il pourrait tout aussi bien être le diable cet homme ; il se repaît plus d’âme que de sang. Et le doute vient détruire le récit. Le spleen de la narratrice ressemble de plus en plus à la folie. La ligne entre réalité et imaginaire est de plus en plus fine. Nous apprenons que c’est la vision fantastique de Babylone par l’être énigmatique qui a rendu la narratrice sans saveur pour la réalité. Thème cher à Lovecraft qui a brodé indéfiniment sur ce sentiment, avec pour point d’orgue A la recherche de Kadath l’inconnu. D’ailleurs la fin est exactement celle de La Quête d’Iranon, plus dramatique, édifiante et émouvante chez HPL.
 
Pourquoi Borderline ? L’auteure nous prévient que nous sommes aux frontières. Et c’est toute l’histoire du fantastique. Borderline est une maladie mentale de l’extra sensibilité, celui qui en est victime, les artistes disons, sont-ils fous ou voient-ils plus ? Borderline c’est aussi, comme pour jouer jusqu’au bout entre réalité et imaginaire, le titre d’un fanzine spécialisé dans le fantastique. Borderline est l’espace, ou l’instant, où cohabite réalité et imaginaire, où ils s’interpénètrent en une seule entité. Le moindre geste ou choix fait définitivement basculer l’être qui s’y trouve dans l’un ou dans l’autre.

Par conséquent, la foi du lecteur, son acte de lecture créatrice, est prise en compte dans ce récit. La fin jouera sur cette ambiguïté. L’auteure ne tranchera pas. Le monde matériel considérera la narratrice comme folle, mais le lecteur omniscient y lira avant tout son élévation aux choses spirituelles derrière son apparent suicide. S’il nous est narré à la fin que la vision matérielle c’est parce que le livre que nous lisons est matériel. Le but n’est pas de fuir l’explication, de laisser planer un suspens creux, ou d’offrir une fin ouverte par manque de courage ou d’imagination, mais d’illustrer l’expérience Borderline. L’équilibre y est si fragile que la croyance même du lecteur fait basculer le récit ; il en est ainsi du monde, du poids de notre regard sur celui-ci. A nous de choisir la vérité, de prendre conscience que nous ne pouvons être que spectateur ou lecteur et, dans ce cas précis, à nous d’attribuer à l’imaginaire sa valeur.

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