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Glyphes

Paul J. McAuley ( Auteur), J. Paternoster (Illustrateur de couverture), Bernard Sigaud (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 07/04/2007  -  livre
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Glyphes

Depuis ses débuts dans les colonnes du fanzine Interzone Paul McAuley a publié une quinzaine de romans, au moins autant de nouvelles et récolté quelques belles récompenses, dont un Arthur C. Clarke Award. Il n'en reste pas moins que pour la grosse majorité du lectorat au lait cru non-pasteurisé, il reste un auteur discret. De sa bibliographie française pourtant honorable, on a un peu trop facilement tendance à ne retenir que Fééries et Les Diables blancs. Un bilan en demi-teinte donc, même si le second rattrapait de fort belle manière la déception occasionnée par la lecture du premier.

On attendait donc de Glyphes, la confirmation que Les Diables Blancs, son prédécesseur chez Ailleurs & Demain, n'avait pas été qu'un heureux coup de chance.

Wall paintings & Témesta

Photographe moyennement talentueux, Alfie Flowers sait qu'il ne s'affranchira jamais vraiment du fantôme de son père. Personnalité entière, photo reporter de renommée internationale, sorte de moine-guerrier du reflex mort au Liban au début des années 80 dans d'énigmatiques circonstances, Mick Flowers était et demeure un modèle encombrant. Les souvenirs qu'Alfie conserve de lui, restent ceux d'un père à éclipse, mais complice et plein pour lui de la sollicitude que nécessitait son état.

Car à la mort de son grand-père, archéologue à la retraite et spécialiste reconnu des peintures rupestres, Alfie avait été victime d'un étrange accident. La contemplation d'une reproduction d'un des dessins qu'étudiait le vieil homme, l'avait plongé dans un coma dont il s'était réveillé atteint d'une forme atypique d'épilpsie. Cet incident avait marqué son enfance, et laissé une empreinte durable sur l'homme qu'il était devenu. D'abord soigné par un vieil ami de sa famille, il avait réintégré un circuit médical plus conventionnel pour devenir un virtuose de l'automédication.

Depuis, Alfie traverse la vie – appareil photo en bandoulière – dans le confort ouaté que lui procure le valium et le phénobarbital. Jusqu'au jour où, au détour d'une de ses chasses à l'image, un graffiti s'impose à son intention depuis le mur d'un restaurant de Camden Town. Une simple caricature anti-américaine au pochoir, mais entourée d'un entrelacs de dièses et de courbes qui semble palpiter. Comme flottant à quelques centimètres du mur. Un dessin similaire à celui qu'avait vu Alfie dans le bureau de son grand-père. Très semblable en fait à celui qui l'avait terrassé.

Le graffiti est signé "Morph". C'est lui qu'il va falloir retrouver en premier. Lui qu'il va devoir interroger sur le pouvoir de fascination de ces mystérieux dessins. Lui qui, peut-être, pourra enfin permettre à Alfie de comprendre ce qui lui est arrivé il y si longtemps déjà.

Mais il lui faudra agir vite, car les dessins de Morph vont attirer bien des convoitises.

Glyphes et folies

S'il est vrai que la SF est un littérature d'idées, il convient alors de saluer comme il se doit la trouvaille de McAuley. S'inspirant des travaux très contestés de David Lewis-Williams et de Jean Clottes, il se ménage une tribune intelligente pour un propos sensible : le pouvoir de l'image.

La thèse défendue par les deux chercheurs veut que certaines peintures rupestres non-figuratives, seraient la représentation de motifs entoptiques, c'est à dire des phénomènes lumineux générés directement par notre système oculaire. Les figures rémanentes qui clignotent devant vos yeux lorsque vous vous les êtes frottés derrière vos paupières closes, en sont un bon exemple. Ceux qu'évoquent Lewis-Williams et Clottes, aurait été la résultante de transes chamaniques, et témoigneraient en quelque sorte d'un rituel magique. Une interprétation très personnelle de leur part, qui est loin – très loin – de faire l'unanimité. McAuley pousse d'ailleurs la rigueur intellectuelle jusqu'à le signaler par la bouche d'un de ses personnages. Mais son coup de génie, c'est de s'être emparé de cette théorie fumeuse, pour la retourner comme un gant, et faire de ces glyphes, non pas des témoignages, mais des activateurs de transes. Chaque dessin correspondrait ainsi à un état de conscience donné, que pourrait induire la contemplation d'un glyphe, dans des conditions adéquates. C'est la chasse à ce formidable pouvoir de suggestion, que Paul McAuley va orchestrer sur presque cinq cent pages.

De vétilleux, son style s'est fait de plus en plus visuel. On entre donc avec une authentique jubilation dans ce thriller fantastique. La clarté et l'élégance avec laquelle il expose son idée de base lui permettent de se concentrer sur une galerie de portraits attachants, superbement mise en valeur par des dialogues au cordeau. Mais le simple plaisir de s'abandonner à l'intrigue ne doit pas faire oublier l'intelligence subtile avec laquelle Paul McAuley défend son propos.

Images et mensonges

C'est dans un Londres que la crainte des attentats rend paranoïaque qu'il nous entraîne. Avec beaucoup de finesse, il laisse l'actualité faire surface de loin en loin. Au gré des pérégrinations d'Alfie dans la cité et ses faubourgs, il évoque les patrouilles aériennes qui troublent le silence des nuits, les lignes de métro coupées suite aux alertes à la bombe, la mosquée de Finnsbury Park et les prêches de Abu Hamza. Puis, nous plongeant au cœur de la communauté kurde, il laisse infuser dans son histoire un avis sans équivoque sur l'intervention britannique en Irak. La justesse et la proximité du Londres qu'il nous dépeint, n'est pas sans rappeler ce cinéma contestataire des années Thatcher ; la profonde humanité des films de Ken Loach par exemple. On pourrait dire que Glyphes est un roman post-punk, l'auteur préfère y voir un « weird thriller ». Mais il est en fait bien plus.

Il est bien évident que la juxtaposition de ces images hautement suggestives, avec la guerre en Irak n'est pas anodine. Une guerre d'images, de faux-semblants, initiée sur un mensonge : celui des prétendues « armes de destruction massive » détenues par le régime de Saddam Hussein. Mensonge d'état qui a déclenché, en 2003, un énorme scandale, celui des spin doctors de Tony Blair. Des conseillers en communication excessivement zélés, qui n'avaient pas hésité à faire chanter des journalistes pour les rallier à la thèse officielle.

Mais si McAuley "dit", et avec brio, il n'a pas perdu de vue qu'un roman doit "raconter". Et sa plus belle réussite, est certainement de nous offrir un authentique thriller qu'on ne lâchera pas de la première à la dernière phrase. Avec Glyphes, il réussit le sans faute sur un exercice périlleux, et mêle  l'intelligence et la finesse du propos au pur divertissement. Oui, on sait, c'est ce qu'un bon romancier est sensé faire à tout coup, mais on sait aussi que c'est suffisamment rare pour ne pas passer à côté quand ça se produit.

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