Walton, quitte ou double ?
Paru en début d’année en France, Le Cercle de Farthing, habile mélange entre l’uchronie et le roman de détection à l’anglaise, a peiné à trouver son public en France (alors que Morwenna a remporté un franc succès en 2014). Premier volume du cycle du « Subtil Changement » (qui raconte l’instauration du fascisme dans une Grande-Bretagne qui a signé l’armistice avec Hitler) Le Cercle de Farthing était pourtant une réussite, mettant en scène des personnages crédibles au moyen d’une intrigue policière efficace. Quid d’Hamlet au paradis, deuxième volume du cycle ?
Le théâtre du crime
Viola Larkin est une jeune aristocrate qui a rompu avec sa famille et qui a choisi de devenir actrice. Elle s’apprête à jouer Hamlet dans une adaptation où les femmes jouent des personnages masculins, lorsqu’elle apprend que Lauria Gilmore, qui devait jouer Gertrude, est morte dans une explosion. Viola est effondrée. C’est alors que sa sœur Siddy se manifeste et lui demande de l’aider. Malgré son peu d’enthousiasme pour sa famille, Viola accepte de la revoir. Mystérieuse, Siddy lui donne rendez-vous chez son oncle Phil, ancien ministre de Churchill. Là, on lui explique que Gilmore est morte en montant une bombe destinée à Hitler, qui doit assister à la première de sa pièce. On ne lui demande ni plus ni moins que de prendre sa suite ! Viola commence par refuser mais est peu à peu séduite par un des partisans du complot, l’Irlandais Devlin. Mais l’inspecteur Carmichael (vu dans Le Cercle de Farthing) remonte peu à peu la piste menant à Viola…
Les raisons d’une réussite
Ce roman, disons-le de suite, a plusieurs qualités. La première est la suivante : dépourvu de prétentions, il réussit à divertir le lecteur (et n’est-ce pas déjà un objectif majeur de rempli ?). Ensuite, il y a l’efficacité de la narration : comme dans Le Cercle de Farthing, Jo Walton a choisi d’alterner entre la première personne (l’actrice Viola) et la troisième personne (l’inspecteur Carmichael) avec ici la troublante sensation que Viola est en train de faire ses aveux. C’est cependant du côté de Carmichael que se joue le roman. Personnage noble mais soumis au chantage de ses supérieurs à cause de son homosexualité, le voilà conduit à devenir un instrument du pouvoir qu’en secret il réprouve. Enfin, le portrait de la société anglaise est assez féroce. La Grande-Bretagne subit le même processus qui a mené à la normalisation du nazisme en Allemagne : malgré la plongée progressive dans une société répressive, les gens s’efforcent de se raccrocher à la « normalité » du monde d’avant tout en stigmatisant des boucs émissaires désignés par la propagande du pouvoir.
Hamlet au paradis est aussi, comme Le Cercle de Farthing, un grand polar de détection : la façon dont Carmichael remonte progressivement la piste rappelle Agatha Christie, signe des capacités de virtuose de Walton. Donc, au final, lecteur, que te dire à part de te précipiter sur les deux volumes traduits du cycle du « Subtil Changement » ? C’est intelligent, pas trop mal écrit, bien mené : prends un risque et lis-les car tu ne seras pas déçu.