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Date de parution : 20/04/2024
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Humanité provisoire

La carrière littéraire météorique de Walter Miller s’est principalement déroulée pendant les années cinquante, avec quelques dizaines de nouvelles et un unique roman (si l’on ne compte pas sa suite, une collaboration posthume avec Terry Bisson), Un cantique pour Leibowitz, dont la renommée a éclipsé ses autres textes. Il suffit pourtant de lire les trois nouvelles qui composent Humanité provisoire pour constater qu’elles sont tout aussi puissantes, qu’elles portent sur nos sociétés le même regard, à la fois critique et bienveillant, et qu’elles ont marqué durablement les esprits de ceux qui ont eu la chance de s’y plonger. S’il existait un prix de l’archiviste ActuSF, les récits de Walter Miller auraient très certainement leur place sur le podium...

Humanité provisoire…

Le recueil débute par une novella dont le sujet est l’une de ces solutions affreuses envisagées par les plus cruels d’entre les auteurs de science-fiction pour remédier à la surpopulation. Et pour illustrer cette problématique terrible, Walter Miller nous convie dans l’intimité d’un couple pris entre deux feux, car il devra affronter à la fois le problème et sa solution. Jusqu’où l’humanité ira-t-elle dans la bêtise ? A ce jour, aucune réponse n’a encore été apportée, bien que Walter Miller nous en donne une petite idée… Et pour compléter ce texte aussi passionnant qu’édifiant, on ne peut que conseiller la lecture de Rêves dénaturés, un excellent roman de Nancy Kress, qui aborde un thème similaire…

L’intrus…

Depuis que les comédiens ont été remplacés par des robots dans les salles de spectacle, Ryan Thornier exerce l’humble profession d’homme à tout faire dans un théâtre. Cette ancienne gloire de la scène a refusé les compromis et a préféré une vie modeste et anonyme plutôt que de trahir son art. Pourtant, lorsque l’occasion se présentera de remonter sur les planches, saura-t-il la saisir malgré les risques ? Cette fois, Walter Miller s’attaque aux dérives de la technologie quand elle envahit le monde des arts. Peut-on remplacer un homme par une machine ? Est-il pertinent de remplacer un artiste par une copie ? Cette question, centrale dans la nouvelle, conserve aujourd’hui toute sa pertinence lorsque l’on prend conscience de la multiplication des effets spéciaux et des transformations numériques que subissent les acteurs sur nos écrans du vingt-et-unième siècle, quand ils ne sont pas tout simplement remplacés par des créations virtuelles. Voir Elvis sur scène presque un demi-siècle après sa mort peut se révéler amusant, mais cela n’en révèle pas moins certains aspects dérangeants de nos sociétés modernes… Soixante dix ans après sa publication, L’intrus jette plus que jamais un regard glacial sur l’industrie du divertissement… Magistral !

Bénédiction en gris…

La dernière novella du recueil (dans l’édition de 1964) n’est pas moins recommandable que les deux précédentes. Après quelques pages dans la grande tradition du post-catastrophisme, l’auteur prend ses distances avec le thème classique de la pandémie. Évitant les clichés du survivalisme, il donne un récit dans lequel l’espoir et la compassion prennent progressivement la place de la haine qu’engendre la peur. C’est aussi une belle histoire d’amour, dans laquelle on sent toute la sincérité des convictions d’un auteur qui s’est converti au catholicisme après avoir servi sur un bombardier pendant la seconde guerre mondiale. Il est à noter que la dernière édition d’Humanité provisoire en français, qui date de 1982, bénéficie d’une nouvelle traduction et comprend deux nouvelles de plus. De quoi reprendre le texte de la pancarte ornant l’un des magasins présents dans le premier récit : « Achetez-vous du bonheur ! »

 

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