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Interview d'Estelle Faye sur La Voie des Oracles
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Interview d'Estelle Faye sur La Voie des Oracles

Actusf : Comment est née l’idée de ce roman ?
Estelle Faye : Ce roman est né, comme souvent pour mes histoires, d'une première image. Celle d'une adolescente oracle qui, enfermée dans sa chambre, scrute les brumes de l'avenir. Des dizaines de futurs différents défilent devant chez eux, mais à chaque fois, dans chacun d'eux, elle voit son père mourir... La chambre est noyée d'ombre, mais dehors, de l'autre côté de la fenêtre, il fait beau, un monde antique et heureux s'alanguit sous le soleil. Voilà, c'est de cette scène que tout est parti.

Actusf : Qu’est-ce qui t’intéressait chez les romains ? Est-ce que c’est parce que la période de décadence est aussi celle des changements et des possibilités ?
Estelle Faye :  D'une manière générale, j'aime les périodes de transition, celles où on voit mourir un monde ancien et naître un monde nouveau. Ces périodes offrent un vrai miroir à notre époque, elles nous permettent de voir au-delà de nos angoisses actuelles. De constater que oui, les gens du passé se sont trouvés parfois dans des situations pires que la nôtre, et non seulement l'humanité a survécu, la Terre ne s'est pas arrêtée de tourner pour autant, mais même la civilisation a progressé au final. C'est un message d'espoir.

De plus, la fin de l'Empire romain, c'est une période passionnante pour y situer une saga de fantasy. La Voie des Oracles commence au tout début du cinquième siècle, juste avant que les barbares n'entrent dans Rome. Avec une bonne dose d'aveuglement, l'Empire peut encore croire qu'il va s'en sortir, qu'il va durer plusieurs siècles... Mais déjà il est rongé de toutes parts par les barbares. En fait, c'est un monde où plusieurs civilisations s'entremêlent, les derniers latifundia, les grandes propriétés agraires de l'ancienne Rome, voisinent avec les ferments du Moyen-âge. Tout cela donne un monde mutant et chaotique, un décor absolument passionnant.
 
Actusf : Comment vois-tu ton personnage principal ?
Estelle Faye : Pour plaisanter, je dis parfois que Thya a l'âme d'un vieux sénateur romain dans un corps de frêle adolescente. Il y a beaucoup de ça, elle a été élevée dans la rigueur morale de l'ancienne Rome, et cette éthique très forte lui permet souvent de tenir le coup dans un monde chaotique et mouvant.

Mais Thya, c'est aussi, au début du roman, une jeune fille solitaire, paradoxale, sauvageonne et cultivée à la fois. Elle pose des collets dans les bois et lit l'étrusque et le grec. Par contre, elle n'a jamais parlé à quelqu'un de son âge, elle n'a pas d'ami, pas de fiancé, à une époque et dans une société où toutes les filles de son âge sont mariées ou religieuses.
Ses pouvoirs de devins sont à la fois un don et une malédiction, car l'Empire est devenu chrétien et les oracles ne sont pas acceptés par l'Eglise.
Pour toutes ces raisons, Thya est une marginale, ce qui fait sa faiblesse et sa force.

Elle va se lancer dans une traversée de la Gaule, guidée seulement par ses visions. Elle va se mettre à l'épreuve, grandir, changer, comprendre qu'elle doit se dégager des chemins que d'autres ont tracés pour elle, et trouver sa propre identité, son propre but. Avec, peut-être, au bout du voyage, sa liberté.
 
Actusf : Elle est menacée par les assassins de son propre père. Est-ce que tu voulais aborder le lien filial dans ce roman ou c’est juste pour accentuer la pression sur ton héroïne ?
Estelle Faye : Les relations familiales sont au centre de ce roman, pas seulement celles entre Thya et son père, mais aussi celles entre Thya et son frère, entre... - je m'arrête ici pour ne pas faire de spoilers.

Je me suis beaucoup amusée à nouer ensemble les fils de mon intrigue, à créer et faire vivre cette famille disons, particulière, où tout le monde trouve une bonne raison de tuer, de sacrifier ou de torturer un fils, un père, une épouse.... Tout le monde sauf Thya, qui est la seule à conserver un peu de clarté d'esprit au milieu de ces illuminés.

En écrivant, je pensais beaucoup à des romans comme Voraces, de Oisin MacGann, à ces sages de fantasy et de fantastique où les secrets et les embrouilles au sein des grandes familles ont autant d'importance que les aventures et les voyages.
Il y a quelque chose de très jouissif dans ces histoires, en même temps elles mettent en jeu des thèmes qui nous concernent tous.

Qu'elles soient proches ou loin de nous, que nous les reniions ou que nous revendiquions leur héritage, nos familles participent toujours à la construction de notre identité. Et au-delà de la famille, c'est l'identité qui est un thème central du roman.

Actusf : Science fiction, fantasy, fantasy chinoise, et désormais fantasy historique. Tes romans se passent dans des cadres tous très différents. D’abord pour quelle raison ? Et ensuite qu’est-ce qui déclenche l’envie d’écrire un roman ? Avec le recul tu vois un lien entre tous ?
Estelle Faye : Je fais avant tout ce que l'histoire demande.
Et, au-delà, passer par différents genres me permet d'aborder sous différents éclairages des thématiques qui m'interpellent, qui me tiennent à coeur, et dont je n'ai pas encore fait le tour. L'identité et le masque, le passage d'une civilisation à une autre, la destruction créative, la stagnation et le changement...
Les différents genres dont tu parles ne sont pas étrangers l'un à l'autre, ils ne sont pas opposés. Au contraire, je les trouve plutôt complémentaires.

Réfléchir sur le devenir de notre civilisation, par exemple, cela peut se faire en faisant de la prospective, de l'anticipation, bref de la SF. Et cela peut se faire aussi en regardant en arrière, en tirant des leçons du passé et en se demandant comment notre monde s'est construit.

Pour ceux que ces sujets intéressent, on s'y penche entre autres dans une table ronde des dernières Intergalactiques, écoutable ici.

Actusf : Un petit mot sur le travail d’Aurélien Police qui a aussi fait la couverture d’Un éclat de Givre...
 
Estelle Faye : Je suis fan des illustrations d'Aurélien Police depuis... houlà, plus de dix ans... Depuis que j'ai vu la couverture qu'il avait faite pour le Diapason des mots et des misères, de Jérôme Noirez, chez Griffe d'Encre. C'était un de mes fantasmes d'auteur, d'avoir une couverture d'Aurélien Police pour un de mes romans. Alors, quand André-François Ruaud m'a annoncé qu'il pensait à lui pour Givre, c'était Noël avant l'heure. Aurélien Police a lu le roman, il a proposé de jouer pour la couverture sur le contraste entre la pierre des ruines et la végétation foisonnante, vivante, qui la recouvre... Tout de suite j'ai adoré cette idée. Le résultat, avec le petit côté lovecraftien des vrilles de la vigne, est superbe. Et le fond façon vieille affiche ajoute un clin d'oeil "musical-hall décadent" qui colle parfaitement au livre.

J'ai été ravie bien sûr qu'il rempile pour les couvertures de La Voie des Oracles. Dès que j'ai vu sa couverture pour Thya, j'ai été bluffée. Elle est très épurée, et en même temps elle contient tellement d'aspects du livre. Thya et son côté irréel, l'empire romain décadent, la touche de paganisme, l'évocation de la Nature et des forêts... jusqu'aux herbes qui poussent dans les lézardes des Voies Romaines...
Cette illustration a quelque chose d'évident et de très évocateur à la fois, avec un jeu sur les textures qui donne un aspect antique et intemporel à la fois.
Enfin je vous conseille de jeter un oeil au dos de couverture, qui ajoute un vrai plus à l'ouvrage.

Enfin les deux couvertures, celle de Givre et celle des Oracles, ne sont pas des redites l'une de l'autre, chacune correspond parfaitement à l'univers du livre auquel elle se rapporte. C'est l'une des qualités du travail d'Aurélien Police : dans chacune de ses illustrations, on reconnaît tout de suite sa personnalité, et en même temps chacune propose un nouvel univers, chacune d'elle raconte une nouvelle histoire, et s'inspire complètement du roman sous la couverture. Pour un auteur, c'est un super cadeau !

Actusf : Quels sont tes projets, sur quoi travailles-tu ?
Estelle Faye : Je travaille sur le tome 2 de La Voie des Oracles, pour l'essentiel. C'est la première fois que j'écris un deuxième tome de série alors que le premier vient de sortir, c'est une expérience différente, vraiment exaltante. J'ai la chance d'avoir déjà beaucoup de très bons avis de lecteurs, des gens qui ont aimé, qui ont hâte de savoir ce qui va arriver aux personnages par la suite. C'est une pression très positive, qui me donne encore plus envie de me surpasser.

Et à part ça, j'écris pas mal de nouvelles. J'aime de plus en plus les nouvelles, elles me permettent d'essayer des choses radicalement différentes, de tester de nouveaux univers. Si tout va bien, il y a quelques textes courts bien barrés qui devraient sortir dans les mois qui viennent...

 
 

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