- le  
Interview de Francis Valéry : de Lovecraft à Tolkien
Commenter

Interview de Francis Valéry : de Lovecraft à Tolkien

Actusf : Pourquoi avoir choisi Lovecraft et Tolkien pour ce nouvel ouvrage des collections de la Maison d’Ailleurs ?
Francis Valéry : Les titres de cette collection paraissent toujours à l’occasion d’une nouvelle exposition temporaire. Celle qui vient d’ouvrir ses portes est consacrée à la notion d’univers imaginaire étendu. Il faut comprendre par cette expression les univers déclinés de manière transversale, via différents média tels que la bande dessinée, le cinéma, les séries tv, les jeux de rôles… avec tout le merchandising qui va avec. C’est le directeur de la Maison d’Ailleurs, Marc Atallah, qui décide des thèmes de nos expositions et de la manière avec laquelle celles-ci sont structurées. Il a estimé que les univers de Lovecraft et de Tolkien, ainsi que celui de Stars Wars (qui fait d’ailleurs l’objet d’un autre ouvrage), illustraient au mieux cette notion. Mais nous aurions pu nous intéresser aussi aux univers nés des œuvres littéraires de Conan Doyle ou de Edgar Rice Burroughs, ou de l’univers étendu né de la série Star Trek, qui sont d’ailleurs évoqués dans la troisième partie de l’ouvrage. En tant que chercheur associé à la Maison d’Ailleurs, j’ai été mandaté pour écrire cet ouvrage dans lequel j’essaie de montrer comment les œuvres de Lovecraft et de Tolkien, à l’origine marginales et ignorées de la culture dominante, ont littéralement changé de statut, dans les années soixante, pour devenir aujourd’hui de véritables phénomènes de société.
 
Lovecraft Tolkien
 
Actusf : L’un est immensément important pour le fantastique, l’autre pour la fantasy. Lovecraft et Tolkien ont-ils des points communs ?
Francis Valéry : L’un et l’autre ont été entourés et soutenus par un petit groupe d’amis enthousiastes, souvent d’autres écrivains. L’un et l’autre sont passés très au-dessus de la tête des critiques, des gens qui ont trop souvent la vue basse. Ils n’ont dont bénéficié d’aucun considération en leur temps – j’entends en ce qui concerne leur œuvre littéraire, car Tolkien était un universitaire admiré et très respecté. Le succès est venu sur le tard. Pour Lovecraft, il est même venu longtemps après sa disparition en 1937. Enfin, l’un et l’autre sont aujourd’hui de véritables icones de la culture occidentale. Mais pour des raisons différentes et leur "changement de statut" s’est fait, pour l’un et l’autre, selon des mécanismes différents
 
Actusf : Ils sont nés à quelques mois d’intervalle à la fin du XIXème siècle. Est-ce qu’ils ont des influences ou un terreau littéraire en commun ?
Francis Valéry : Lovecraft est né en 1890 à Providence, dans l’état du Rhode Island, aux Etats-Unis. Tolkien est né en 1892, à Bloemfontein, dans l’Etat libre d’Orange, en Afrique du Sud. Mais Tolkien publie sa première œuvre littéraire d’importance, The Hobbit, en 1937, année de la mort de Lovecraft. De ce point de vue, ils ne sont en rien contemporains et leurs œuvres respectives n’entretiennent aucun rapport l’une avec l’autre. Il en va de même de leurs éventuelles influences. L’étude de l’œuvre de Lovecraft et de son évolution permet de mettre en évidence quelques influences qui me paraissent peu contestables : Edgar Poe, tout d’abord, pour son esthétique et l’atmosphère qui se dégage de ses récits ; Lord Dunsany, ensuite, un écrivain d’origine irlandaise très prolifique dont l’œuvre la plus connue est La fille du Roi des Elfes, publiée en 1924, et dont l’importance dans l’émergence de la fantasy moderne est sous-évaluée en France ; et enfin Arthur Machen, écrivain gallois également sous-estimé chez nous, et dont Le grand Dieu Pan, publié en 1894, a très certainement influencé Lovecraft. De son côté, Tolkien a été fasciné dès le plus jeune âge par les diverses cultures, les langues et les récits, de l’Europe du Nord. Il apprend le norrois, une langue scandinave médiévale qui a été parlée sur l’Île de Man et sur plusieurs îles écossaises ; il étudie le gotique, la plus ancienne des langues germaniques qui nous soit parvenue, parlée par les Goths au Moyen âge, et la seule à disposer d’un corpus textuel conséquent. Il se passionne ensuite pour le Kalevala, une épopée publiée en 1835, inspirée par la mythologie finnoise et basée sur du collectage de littérature orale. Ce ne sont pas du tout les mêmes influences que Lovecraft !
 
Actusf : Qu’est-ce qui, selon toi, a fait que leurs œuvres ont connu ce succès immense ? Y a-t-il quelque chose d’explicable là-dedans ?
Francis Valéry : Le succès d’une œuvre littéraire, c’est simplement la rencontre entre cette œuvre et un lectorat en nombre significatif. Il faut arriver au bon moment, s’inscrire dans l’air du temps, dire ce que les gens ont envie d’entendre à ce moment-là, proposer des réponses à des questions que les gens se posent, consciemment ou pas. C’est une question d’harmonie. Le côté magique, s’il y en un, il est là. Un exemple qui me vient à l’esprit est La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm, publié en 1997, qui est un petit recueil de textes plutôt courts sur les petits plaisirs de la vie, au quotidien. Cet ouvrage a été publié à petit tirage mais le bouche-à-oreille s’est mis à fonctionner à toute allure et, au final, le livre s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. Philippe Delerm était un écrivain aussi discret que sympathique, peu connu, qui avait déjà publié pas mal de livres mais dans l’indifférence quasi générale. Et soudain, il est devenu une référence populaire. Le livre est arrivé pile quand il fallait, et ce qu’il disait était ce que les gens avaient envie d’entendre. Ca s’est fait comme ça. Il n’y avait rien de prémédité ou de construit là-dedans. D’ailleurs, personne n’a rien compris, même pas l’éditeur qui s’est contenté de procéder à des dizaines de réimpressions, à chaque fois relativement faibles, comme s’il était persuadé que le succès allait d’arrêter du jour au lendemain, alors qu’il s’agissait d’une lame de fond. Après coup, on peut expliquer. Ou au moins essayer de le faire, de manière je dirais "intellectuelle", en faisant appel à tout l’arsenal des sciences humaines. Que les explications soient convaincantes ou pas, c’est un autre débat. Dans le cas de Delerm, le livre parlait de l’ici et maintenant, mais aussi du temps d’avant – de l’époque où "c’était mieux qu’aujourd’hui". Le livre jouait beaucoup sur la nostalgie de l’enfance et sur une forme de retour à l’enfance comme phénomène de protection, de mise à l’abri.
 
 
Actusf : A partir de quel moment leurs œuvres ont commencé à connaitre un réel succès ?
Francis Valéry : En ce qui concerne Tolkien, j’avance dans mon livre une hypothèse que je n’ai jamais vu proposée ailleurs. Elle demande d’être resituée dans un contexte historique particulier : celui du début des années soixante. On assiste alors à l’émergence de ce que l’on a appelé par la suite la « Contre-culture ». Une partie importante de la génération du baby boom rejette la société de consommation, le fameux « American Way of Life ». D’autres modes de vie sont expérimentés, nourris par des valeurs ancestrales, souvent fantasmées, empruntées aussi bien aux premiers colons venus d’Europe qu’aux Amérindiens, ou inspirées par les philosophies et religions importées du sous-continent indien (Hindouisme) ou du Japon (Zen). On redécouvre les écrits des socialistes utopiques européens ainsi que l’œuvre singulière d’Henry David Thoreau dont Désobéissance civile (1849) devient un ouvrage de référence. On revendique aussi l’héritage des grands frères de la Beat Generation, en particulier de Jack Kérouac et de son livre culte Sur la route (1957), compte-rendu d’une quête ontologique ininterrompue. La parution de Printemps silencieux (1962) de Rachel Carson, un brûlot contre l’industrie chimique et l’atmosphère de désinformation dans laquelle les lobbies de l’agroalimentaire empoisonnent peu à peu la planète, a des répercussions considérables. Le livre est d’emblée un bestseller, vendu à plus de deux millions d’exemplaires. C’est toute une jeunesse qui prône le respect de la nature, un rejet des fausses valeurs, une fraternité universelle… sur fond de recherche d’états de conscience altérés – condition de l’ouverture des « portes de la perception » pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Aldous Huxley, devenu un des gourous de cette révolution culturelle. En 1965, alors que de nombreux hippies commencent à s’installer à San Francisco, en particulier dans le quartier de Haight-Ashbury, Ace Books sort la première édition au format poche du Seigneur des Anneaux. Le succès est immédiat et considérable. La génération du « Flower Power » se reconnaît dans cette œuvre et dans les valeurs qu’elle y discerne : fraternité universelle, importance de la quête (celle d’un objet se confondant avec celle de soi-même), nécessaire harmonie entre les diverses formes de vie, reconnaissance d’une forme de conscience aux créatures végétales, etc. Le Seigneur des Anneaux va désormais se vendre, aux États-Unis, par centaines de milliers d’exemplaires chaque année. Ballantine en reprend l’édition – en septembre 1968, après seulement trois années d’exploitation, paraît la  vingtième réimpression. Le Seigneur des Anneaux est la bible d’une génération toute entière.
 
Pour Lovecraft, le processus est très différent. C’est d’abord en France qu’il est reconnu comme un écrivain essentiel, grâce au travail inlassable de Jacques Bergier et de Michel Pilotin. A l’automne 1954 paraissent coup sur coup La Couleur tombée du ciel et Dans l’Abîme du Temps, portant les numéros quatre et cinq de la jeune collection Présence du Futur. Le succès auprès du public sera immédiat et n’ira qu’en progressant au cours des dix années suivantes. Au cours de l’été 1963, sort aux États-Unis le nouveau film de Roger Corman : The Haunted Palace, sur un scénario de Charles Beaumont, auteur de science-fiction et scénariste pour le cinéma et la télévision (on lui doit plusieurs épisodes de The Twilight Zone). Le titre du film renvoie à un poème d’Edgar Allan Poe, mais il s’agit pour l’essentiel d’une adaptation de L’Affaire Charles Dexter Ward. Les producteurs ont imposé ce titre, afin que le film s’inscrive dans la veine des précédentes réalisations de Corman, consacrées effectivement à l’œuvre de Poe, et qui ont été des succès. Ce qui montre bien qu’aux États-Unis, à l’époque, le nom de Lovecraft ne signifie pas grand-chose ! Deux nouveaux longs métrages sont bientôt réalisés, cette fois en Grande-Bretagne, par D. Heller : Die Monster… Die (1967), d’après La Couleur tombée du ciel, et The Dunwich Horror (1969), d’après L’Abomination de Dunwich. L’année 1969 sera, en France, l’année Lovecraft ! Le film de Corman sort sous le titre La Malédiction d’Arkham, ce qui l’identifie immédiatement comme relevant de la mythologie lovecraftienne – et non pas comme une nouvelle variation autour de l’œuvre de Poe. L’anecdote est significative quant à la différence de perception de l’auteur et de son œuvre, de part et d’autre de l’Atlantique. En librairie, une nouvelle édition de Par-delà le mur du sommeil (recueil dans lequel figure L’Affaire Charles Dexter Ward) paraît en mai, ornée d’une jaquette retitrée La Malédiction d’Arkham et illustrée d’une photo extraite du film de Corman. En octobre, les éditions Belfond publient Dagon et autres récits de terreur, un recueil de trente nouvelles inédites préfacé par un essai de François Truchaud : « H. P. Lovecraft, ou dire l’indicible ». Et pour finir, les Cahiers de l’Herne consacrent à Lovecraft leur douzième livraison, une somme critique de premier ordre, qui restera longtemps sans équivalent dans le monde anglo-saxon. Alors que Lovecraft reste un auteur marginal dans son pays d’origine, un nouveau chapitre est en train de s’écrire en France, quant à la reconnaissance d’une œuvre en définitive majeure. En 1972 paraissent les deux premiers ouvrages consacrés à l’auteur : Lovecraft ou du fantastique, par Maurice Lévy, réécriture d’un travail universitaire antérieur, et Lovecraft : A Look behind the Cthulhu Mythos de Lin Carter. Maurice Lévy montre bien comment l’œuvre de Lovecraft s’inscrit dans la tradition du fantastique européen, un genre littéraire enraciné dans une culture homogène et plusieurs fois séculaire – et comment son auteur tente de doter le Nouveau Monde d’un fond légendaire comparable, en s’appuyant sur une mythologie amérindienne « augmentée » de mythes modernes et en inventant des lieux où il se passe « des choses ». Stephen King et les scénaristes des séries TV retiendront la leçon ! Lin Carter, de son côté, a écrit un livre de « fan » et joue la carte du Mythe de Cthulhu en tant qu’univers littéraire partagé – Lovecraft a sinon encouragé, pour le moins laissé faire, de son vivant, cette « exploitation » de certains motifs de son œuvre : Le Mythe de Cthulhu est une invention de ses continuateurs qui va grandement contribuer au renom de Lovecraft. On connaît la suite. En 1976, Paul et Marc Michaud fondent Necronomicon Press. Cet éditeur spécialisé va publier plusieurs périodiques de haute tenue, comme Lovecraft Studies et Crypt of Cthulhu ainsi que les travaux d’une jeune génération d’universitaires talentueux comme Stefan R. Dziemianowicz ou S. T. Joshi. Tandis que se développe enfin une brillante exégèse de l’œuvre littéraire de Lovecraft, enfin considérée à sa juste valeur, le monde du jeu de rôle, alors encore à ses balbutiements, s’en empare à son tour. En 1981, Sandy Petersen crée L’Appel de Cthulhu pour l’éditeur Chaosium. À l’origine, il s’agissait simplement de proposer un supplément au jeu RuneQuest, mettant en scène les « Contrées du Rêve » imaginées par Lovecraft. Le succès est immédiat et finira par rivaliser avec celui de Donjons et Dragons, alors la référence en la matière. On peut donc dire, en ce qui concerne Lovecraft, que le mécanisme de fameux changement de statut est autrement plus complexe que pour Tolkien. Le travail des éditeurs français vient en premier, dès le début des années cinquante. Puis le cinéma populaire anglo-saxon s’empare de l’œuvre, dans les années soixante. Editeurs et critiques étasuniens procèdent enfin à un travail de réévaluation, dans les années soixante-dix. Et le monde du jeu de rôle en fait une référence incontournable, dans les années quatre-vingt.
 
 
Actusf : Un petit mot sur la réception critique de leurs œuvres. Est-ce qu’on peut dire qu’ils ont connu un succès critique de leur vivant à la sortie de leurs livres ?
Francis Valéry : Lovecraft n’a eu aucune reconnaissance critique de son vivant. Et après sa mort, il restera longtemps ignoré, ou pire incompris, tant par les critiques que par les rares universitaires qui le citent, à l’occasion. Ainsi Edmund Wilson, critique littéraire au très influent New Yorker signe un article au titre explicite : « Tales of the Marvellous and the Ridiculous » (1947). Ainsi le britannique Kingsley Amis qui, dans L’Univers de la science-fiction (New Maps of Hell, 1960), un ouvrage qui fit autorité en son temps, retient de l’œuvre de Lovecraft trois nouvelles qu’il présente ainsi : « “L’abomination de Dunwich” donne nettement le frisson (…) “Les rats dans les murs” passe la frontière qui sépare le fantastique de l’histoire de fantômes, et une autre, “La couleur tombée du ciel”, se fraie parfois un chemin dans les collections de science-fiction, à cause de son titre, j’imagine ». Avant de conclure : « L’importance intrinsèque de Lovecraft est assez réduite, mais il faut avouer qu’il donne l’impression d’être plus que mûr pour la psychanalyse, impression qui se dégage souvent du fantastique ou de la science-fiction à ses débuts ». Incompréhension, moquerie, raillerie facile. En fait, la seule analyse pertinente et vraiment argumentée de l’univers de Lovecraft est celle de J. O. Bayley, dans son remarquable Pilgrims Through Space and Time. A History and Analysis of Scientific Fiction. Cet essai est paru en 1947, mais il est une extension de deux travaux universitaires soutenus en 1927 et 1934 à l’Université de Caroline du Nord. Hélas, en raison des frontières esthétiques assez strictes qu’il impose lui-même à son corpus, Bayley s’intéresse uniquement à deux textes à ses yeux clairement ancrés dans la science-fiction : « Les montagnes hallucinées » et « Dans l’abîme du temps ». Mais cela suffit pour qu’il voit en Lovecraft « un des écrivains les plus sensibles et puissants de sa génération, dans le domaine de l’histoire de terreur quasi-scientifique » et regrette le manque de reconnaissance littéraire de son œuvre, due au fait, selon lui, qu’elle a été publiée à l’origine dans des magazines populaires.
 
En ce qui concerne Tolkien, la critique ne s’est jamais beaucoup intéressé à lui. Jusqu’au milieu des années soixante, Tolkien est un écrivain marginal. Son œuvre commence doucement à dépasser le simple succès d’estime, mais sans pour autant être vraiment connue ailleurs qu’en Grande-Bretagne. La parution du Seigneur des Anneaux n’a suscité qu’un nombre limité de critiques, au-delà du cercle des amis et admirateurs de longue date. Telle Naomi Mitchison, poétesse et romancière écossaise, qui y voit « un livre au-delà du temps et qui vivra éternellement ; tel l’irlandais C. S. Lewis, collègue de Tolkien à Oxford, qui écrira : « Aucun monde imaginaire qui soit aussi multiple et aussi fidèle à ses propres lois intérieures n’a jamais été inventé » – commentaire d’un connaisseur, lui-même créateur de l’univers de Narnia dont la publication est antérieure à celle de la trilogie. A mon sens, le plus bel essai qui a été consacré à Tolkien est celui paru en 1958 par Louis Bouyer, alias le Révérend Père Bouyer de l’Oratoire, dans la revue française La Tour Saint-Jacques. En fait, la critique a pris le train en marche après qu’il soit devenu un des auteurs les plus populaires du monde occidental, peu de temps avant sa mort en 1973. Quarante ans plus tard, certaines élites autoproclamées, ces gens qui n’étaient pas nés lorsque nous lisions et aimions déjà ces auteurs appartenant à ce qui a longtemps été considéré comme une « sous-culture », dissertent de lui sur France-Culture et sur Arte, ou dans des colloques universitaires. C’est la vie.
 
Actusf : La troisième partie est consacrée aux nouveaux médias. Lovecraft et Tolkien ont changé de statut, notamment grâce au cinéma pour le second. Comment ces nouveaux médias se sont emparés des deux auteurs et de leurs livres ?
Francis Valéry : Les adaptations cinématographiques récentes du Seigneur des Anneaux et du Hobbit ont certainement conféré un supplément de notoriété à l’œuvre de Tolkien, en la présentant à un nouveau public, de manière plus facilement consommable que l’œuvre originale dont la lecture demande tout de même un certain souffle. Mais c’est voler au secours de la victoire ! Tolkien est directement responsable du succès planétaire d’un des genres littéraires majeurs au sein de la culture de masse : la fantasy. Les films n’ajoutent rien à la gloire de Tolkien. Tolkien a acquis la place qui est la sienne par la seule force de son œuvre littéraire, par l’impact qu’elle a eu sur des millions de lecteurs.
 
Le cas de Lovecraft est différent. Je crois que son succès actuel vient effectivement, pour une part majeure, par les adaptations en films et par la dimension supplémentaire que lui a conféré le jeu de rôle. Mais il ne faut négliger le travail des écrivains qui se sont réclamés de son œuvre et placés dans une filiation thématique directe – en particulier Lin Carter et August Derleth, avec la création du Mythe de Cthulhu. Ce phénomène me semble unique dans l’histoire de la littérature : une œuvre sauvée de l’oubli après le décès de son auteur, par le travail de continuateurs se présentant comme des sortes de gardiens du temple !
 
Actusf : Est-ce qu’ils sont toujours aussi présents aujourd’hui et toujours aussi lus ?
Francis Valéry : Toujours aussi présents, oui : c’est une évidence. Ce sont des icones culturelles. Bilbo et Cthulhu sont aussi connus que Marylin Monroe ou Mick Jagger. Toujours aussi lus ? Je n’ai pas accès à la comptabilité de leurs éditeurs… mais je le suppose. Lovecraft étant tombé dans le domaine public, il est devenu un bestseller sur les plateformes de téléchargement. Tout le monde possède aujourd’hui l’intégrale de son œuvre, en version originale, sur un coin de disque dur ! Tolkien est sans doute toujours lu avec passion. Pour l’un et l’autre, on assiste régulièrement à la parution de nouvelles traductions, preuve que des gens continuent de vouloir servir leur mémoire au mieux. Je trouve cela plutôt bien. 

Pour en savoir plus : De H.P.Lovecraft à J.R.R.Tolkien

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?