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Interview de Maïa Mazaurette
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Interview de Maïa Mazaurette

A l'occasion des 20 ans d'Actusf en 2020, on vous propose nos plus belles archives. Aujourd'hui une interview de Maïa Mazaurette, réalisée par Eric Holstein au moment de la sortie de son roman Dehors, les chiens, les infidèles en 2008.

ActuSF : Quand on est l'une des principales animatrices du blog sexactu, franchement, écrire un roman où tous les héros sont vierges, c'est pas un peu de la provoc' ?
Maïa Mazaurette : Au contraire, c’est complémentaire ! À force de parler de sexe toute la journée, il faut bien que l’écriture me serve de « vacances ». Mon exutoire à moi, paradoxalement, c’est un monde sans sexualité. Et sans Internet.

ActuSF : Plus sérieusement, comment en es-tu venue à l'écriture et pourquoi la fantasy ?
Maïa Mazaurette : Je suis venue à l’écriture parce que je voulais écrire de la fantasy, même si ce n’est pas évident quand on lit mon CV. Avant de publier mon premier roman, j’avais déjà eu deux manuscrits rejetés en fantasy… C’est marrant d’y revenir tant de temps après. Je crois que j’avais 17 ans quand j’ai écrit mon premier bouquin, et c’était de la fantasy. Finalement il aura fallu attendre « seulement » treize ans pour réussir à être publiée dans ce domaine. J’espère que ça encouragera les écrivains potentiels ! Mais bon, je suis particulièrement têtue.

ActuSF : Es-tu une grosse lectrice de genre ?
Maïa Mazaurette : Absolument, je lis moitié de documents, moitié de romans, et parmi les romans, une bonne moitié de fantasy. Je voue un culte à George Martin, dont le talent me reste totalement en travers de la gorge. Sinon, un peu comme tout le monde, j’ai commencé avec Tolkien, que mon père me lisait (environ douze secondes) avant que je ne m’endorme. J’ai bouffé pas mal de mauvaise fantasy à l’adolescence, genre Lancedragon ou Elric… Les auteurs sont vachement meilleurs maintenant, mais c’est pas grave, tu me mets des guerriers et des épées, je suis contente.

ActuSF : Comment t'es venue l'idée de Dehors, les chiens, les infidèles ?
Maïa Mazaurette : J’avais 19 ans (si), et je rêvais d’un monde sans soleil, notamment parce que je suis fascinée par les grands fonds marins. C’est une idée tellement basique que je ne comprends pas qu’on l’ait si peu exploitée… Ensuite, en écrivant, j’ai compris que c’était surtout une grosse galère ! Surtout pour les descriptions. Mais j’ai gardé cette trame pendant tout ce temps, testé plusieurs options de scénario, récupéré Spérance (mon héroïne) dans une autre de mes histoires, écrit trois fois intégralement ce roman, et c’était bon. Ce qui doit faire quelques milliers d’heures de boulot. Pour le coup, même en tant qu’athée, j’étais bien obligée d’avoir la foi !

ActuSF : On est à mille lieues de l'écriture légère que tu déploies sur sexactu. Ça a été un plaisir pour toi que de travailler une langue plus dense et plus fouillée ?
Maïa Mazaurette : Je ne suis pas sûre que la langue soit dense et fouillée  Je ne suis pas une très bonne écrivain, objectivement, je suis plutôt dans le fond que dans la forme. Je me laisse facilement entraîner par mon idée. Alors c’est sûr, par rapport à Sexactu, on rigole moins. Mais on reste dans le divertissement, avec plein de capes et d’épées. Une autre forme de légèreté.

ActuSF : Tes personnages ont des noms particulièrement signifiants. Tu peux nous en parler un peu plus ?
Maïa Mazaurette : Un personnage sans nom intéressant, surtout dans un monde religieux, ç’aurait été dommage. J’avais envie de noms médiévaux réalistes, loin de Torgvul ou des Ingwermar qu’on retrouve un peu facilement en fantasy. J’ai travaillé sur deux axes : soit mes héros ont un nom qui veut dire quelque chose, comme Vaast et Astasie, soit il faut rajouter une syllabe, comme pour Spérance. Ensuite, pas mal de personnages secondaires ont des noms d’hérésie, comme un clin d’œil aux lecteurs.

ActuSF : L'une des grandes forces de Dehors, les chiens, les infidèles réside dans la dimension humaine de ses protagonistes, que tu confrontes à l'idée de sainteté. C'est quelque chose qui te parle tout spécialement ?
Maïa Mazaurette : La différence entre la sainteté et la foi, c’est la même qu’entre un superhéros et un héros. Certains de mes personnages penchent plus fort d’un côté que de l’autre. Ils ont pour obligation d’être exceptionnels, et on n’est pas à égalité devant l’exception, d’où des interrogations finalement très actuelles : pourquoi certains sont-ils en état de grâce, et pas moi ? Aujourd’hui on parlerait de karma, ou d’énergie, mais c’est la même idée. La grâce est quelque chose de très injuste.

ActuSF : La vision de la religion que tu donnes dans le livre est tour à tour apaisante et angoissante. C'est un sujet qui toi-même t'angoisse ?
Maïa Mazaurette : Je suis athée par atavisme, mes parents ont un rejet très fort (et très fondé) du catholicisme, d’ailleurs ils ont toujours refusé de se marier… évidemment, il n’était pas question que je sois baptisée. Mais je peux rarement entrer dans une église sans y trouver de la sérénité (n’imprime pas ça trop fort ou je me fais déshériter). Je m’y planque quand j’ai besoin de silence. En même temps, même en faisant semblant de toutes mes forces, je ne me verrais pas croire en dieu. C’est tout simplement trop absurde. La pensée magique ne rentre pas dans mon système ultra-rationnel. Mais je ne compte pas nier que le catholicisme est un fondement de mon identité culturelle, et je ne jetterai pas le bébé avec l’eau du bain (même si des fois j’ai envie, surtout quand je bosse sur Sexactu). Par exemple je suis une athée qui n’hésite pas à répéter des prières avant de s’endormir, juste parce que je ne connais pas de meilleure solution pour éloigner les pensées insupportables. J’imagine que c’est exactement pour ça qu’ont été inventées les litanies. Être athée permet de se servir de la religion comme on veut : la liberté ultime, c’est ça.

Pour compléter cette réponse, j’ajoute que je n’en ai pas fini avec la religion. Ma prochaine idée de fantasy repose sur une confrontation à l’islam, et j’ai dans mes projets un roman moderne sur (encore) le catholicisme. Quel autre thème permet de se frotter au sublime et à l’irrationnel ?

ActuSF : Le monde que tu décris correspondrait assez bien à celui dont les prêcheurs du Moyen-Âge redoutaient l'avènement au moment de l'An Mil. Est-ce qu'on est dans une tentation d'uchronie ?
Maïa Mazaurette : On n’est clairement pas loin de l’uchronie – un genre que j’adore, surtout quand on le croise avec la religion comme Moorcock ou Morrow. Il y a la peur de l’apocalypse mais aussi le rejet de toute la pensée moderne… Mais je ne vais pas jusqu’au bout de l’uchronie, même si j’aurais pu.

ActuSF : À certains égards, Dehors, les chiens, les infidèles est un livre dur. Certains passages sont d'un réalisme douloureux. Tu avais besoin d'évacuer cette noirceur ?
Maïa Mazaurette : La noirceur est tout l’univers de ce livre, c’était donc compliqué de faire de l’humour sur fond de famine et de guerre. Mais pour le reste, j’avais surtout envie d’un bon scénario. C’est difficile d’être crédible en tant qu’auteur si tu ne mets pas tes menaces contre tes héros à exécution. Je voulais que le lecteur sente mes personnages en danger, parce qu’ils le sont. D’où des scènes difficiles.

ActuSF : Est-ce que c'était un one-shot, ou tu penses revenir à cet univers ?
Maïa Mazaurette : Les portes sont ouvertes, mais j’ai conçu ce roman comme un one-shot. Commencer une trilogie quand on est encore débutante en fantasy, c’était trop ambitieux, sauf que la première réaction des lecteurs est toujours de me demander si je vais écrire une suite ! C’est la preuve que je n’ai pas tué assez de héros, je crois…

ActuSF : Dehors, les chiens, les infidèles est ton troisième roman, le précédent Le Pire est avenir va être réédité chez Mnémos, est-ce que tu l'as retravaillé ?
Maïa Mazaurette : Joker……… (Mais s’il sort vraiment, oui. J’ai appris plein de choses sur les techniques de scénario depuis, et je compte le rendre infiniment plus efficace.)

ActuSF : Entre l'anticipation et la fantasy, ton cœur balance ?
Maïa Mazaurette : Je ne sens pas de grosse différence entre les deux. Il y a des bons ou des mauvais scénarios, et les deux faces d’un même imaginaire. Je ne suis pas sûre que la distinction fasse vraiment sens, aujourd’hui.

ActuSF : Tu te verrais bien t'essayant à d'autres genres de l'imaginaire ? La science fiction ? Le cyberpunk ?
Maïa Mazaurette : Alors le cyberpunk non, pas du tout, je déteste ça. Peut-être que je n’ai pas lu les bons bouquins. La science-fiction, ce serait effectivement une option. J’ai relu du K. Dick récemment et je suis scotchée par sa liberté absolue. En tant qu’auteure, ça fait envie. Enfin, on verra bien ! Maintenant que je constate qu’il me faut trois ans minimum pour écrire un livre, je t’avoue que je prends le temps de réfléchir.

ActuSF : Quels sont tes projets ?
Maïa Mazaurette :
Beaucoup de bande-dessinée, en ce moment, avec Fluide Glacial : des collaborations avec des super dessinateurs, des projets terminés dans l’urgence à trois heures du matin surtout ! C’est quelque chose que je commence à peine, mais ça m’amuse beaucoup (même si je devrais me mettre au café pour tenir la distance). Côté bouquins, encore de la sexologie pour la Musardine (un guide en janvier, un essai sur le pénis plus tard), et donc très certainement de la fantasy et de l’anticipation. Ce n’est pas l’envie qui manque. Maintenant, il faut que j’assure un peu, sinon ce n’est pas la peine. Je veux faire de bons livres plutôt que des livres tout court. Il me reste plein, plein de progrès à faire. J’espère juste que je vais dans le bon sens.

 

Propos recueillis par Eric Holstein.

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