Actusf : Parlez-nous un peu de vous pour commencer. Comment avez-vous découvert la fantasy et les littératures de l’Imaginaire ? Quels sont vos auteurs préférés ?
Régis Goddyn : Il n'y a pas grand-chose de particulier à dire en ce qui me concerne, sinon que je mène la vie assez standard d'un père de famille qui travaille à temps plein, rien de très original.
En général, les auteurs de 45 ans parlent de leurs précédentes publications, de leurs nominations, des projets qui n'ont pas vu le jour, mais qui ont marqué des étapes importantes de leur maturation. Mon dernier écrit d'invention remonte à 1983 alors que je commençais ma classe de troisième au collège de Villers-Bocage (Somme), c'est donc un chapitre vierge que j'aurais à vous offrir à ce sujet.
En fait, je n'étais plus lecteur depuis les années de lycée, ou occasionnellement pendant les vacances. Vingt ans plus tard, mon épouse m'a offert Le Seigneur des Anneaux. C'était pour mon anniversaire en décembre 2003, au moment de la sortie du troisième volet de l'adaptation de Peter Jackson. J'ai été conquis par le livre et son univers, et j'ai repris la lecture avant de l'abandonner de nouveau pour préparer un concours qui m'a pris tout mon temps et toute mon énergie jusqu'en juin 2006. Je ne suis vraiment redevenu lecteur qu'à cette date, au bénéfice d'un changement d'emploi qui m'a imposé de nombreuses heures de train.
J'ai été rapidement attiré par les très longs récits, trop frustré par les formats courts qu'on termine toujours trop vite. On peut donc citer en premier lieu les auteurs qui adoptent le format du marathon littéraire, comme Robin Hobb, G.R.R Martin, Fritz Leiber, Wolfgang Hohlbein, Robert Jordan, Orson Scott Card, Dan Simmons... Je ne sais pas si ce sont mes auteurs préférés, mais c'est assurément mon format préféré, et chacun d'entre eux a contribué à m'éveiller à la fantasy sous des jours singuliers.
Actusf : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ?
Régis Goddyn : La lecture, incontestablement. À lire de la fantasy cinq heures par jours pendant quatre ans, je me suis surpris à penser les ouvrages comme des assemblages de briques narratives élémentaires, plus ou moins habilement disposées. Je prenais un vif plaisir à les identifier et à voir comment l'auteur allait nous fabriquer un monde, posant des variantes, un univers en sautant de clin d'oeil en clin d'oeil. Ça devenait comme une espèce de jeu.
Puis je me suis posé la question de ce que je pourrais bien faire avec le même matériel en reconsidérant ces archétypes. Pourquoi le héros serait-il un enfant ou un adolescent ? Pourquoi orphelin ? Pourquoi la quête du héros serait-elle la trame de l'histoire ? Pourquoi un roman de fantasy ne serait-il pas un road-movie ? Pourquoi les elfes ne seraient-ils pas des salauds ? Quels sont leurs points communs avec les vampires ? Pourquoi les animaux seraient-ils magiques ? Peu à peu, un schéma s'est dégagé, dans l'adhésion, mais aussi la remise en question ludique de la littérature de l'imaginaire telle que je la lisais.
Quand on est un tant soit peu joueur, on prend des notes. J'avais une pochette dans mon cartable dans laquelle je collectionnais les feuilles gribouillées, au cas où, un jour... Mais ce n'était pas sérieux, je n'avais jamais rien écrit du tout. J'ai toujours eu des pochettes pour noter des idées, pour des projets divers qui ne verraient jamais le jour.
Un mercredi de l'année 2010, j'ai sorti de la bibliothèque un mauvais bouquin dont je ne me souviens plus du titre. J'ai tenté de le retrouver, mais sans succès, il me fuit. Un livre en deux tomes assez caricaturaux pour que la mise en oeuvre des « briques » me mette en colère et que le style m'expulse de l'histoire. Passé la moitié du premier volume, je l'ai fermé et l'ai rangé dans mon sac, ce qui ne m'arrivait jamais. J'allais toujours au bout d'un livre, ne serait-ce que parce que le voyage n'était pas fini. Du coup, je n'avais plus rien à lire, alors j'ai sorti ma pochette... Quoi qu'il arrive, je ne pouvais pas faire pire.
C'est sans conteste le train et le voyage quotidien qui ont fait germer Tolkien dans le terreau de mes lectures d'enfance (Verne, Dumas...). Je bricole par ailleurs dans d'autres domaines artistiques depuis toujours : arts appliqués, arts plastiques, musique, artisanats d'art. Au regard de ma vie, je suis surpris que l'écriture soit devenue mon mode d'expression.
Actusf : Comment est née l’idée du Sang des 7 rois ?
Régis Goddyn : Je ne crois pas à l'inspiration, mais plutôt qu'on s'autorise à avoir des idées, ou pas. Avoir des idées, c'est un acte d'émancipation personnel dans une société dépoétisée qui nous en dissuade à tout prix, où il faut être rationnel et rentable jusque dans les actes créatifs. Il faut pouvoir se mettre en danger, accepter de renégocier son image face aux divers entourages de nos vies.
S'agissant du sang des 7 rois, et pour recentrer sur la question que vous m'avez posée, il est difficile de comprendre comment viennent les idées. En quarante-trois ans de curiosité, on engrange peu à peu des intuitions, des connaissances, le plus souvent merveilleusement superficielles, des rêves, des révoltes, des utopies, des doutes et des questions... Ces éléments d'origines diverses se lient en nous à notre insu pour construire qui nous sommes. Si nous brisons le tabou et décidons qu'on a le droit d'avoir une idée, on secoue tout ça et des choses se dégagent. L'idée du roman est venue ainsi, comme une sorte d'intuition. Les sous-éléments de l'histoire sont remontés à la surface, simultanément et fragmentés. Restait à les observer et à les assembler à la manière d'un mosaïste.
Actusf : Comment avez-vous conçu cet univers des 7 royaumes ? S’est-il imposé d’emblée ou s’est-il construit petit à petit ?
Régis Goddyn : L'univers du Sang des 7 rois est une construction inachevée, par nature et dans son projet. Il n'a pas de nom, les royaumes n'ont pas de noms. Les mers et océans n'ont que la toponymie de leur localisation. C'est un monde décrit plus que nommé et les personnages y inventent les modèles sociaux à mesure qu'ils font progresser l'histoire, ils construisent dans l'errance. Le monde que nous connaissons n'est-il pas fait ainsi ? Pour moi, l'univers des 7 rois est plus une trajectoire qu'un lieu.
Actusf : Votre intrigue tourne autour du sang, du « sang bleu » même, que certains individus possèdent et qui leur donne certaines capacités extraordinaires. L’idée est porteuse de bien des thématiques (réflexions sur l’altérité etc). Aviez-vous ces réflexions en tête en commençant à écrire votre roman ?
Régis Goddyn : Cette idée de sang est typiquement une figure récurrente de la fantasy, comme de la littérature en général. Qu'elle soit comprise comme métaphore de l'hérédité, comme le sang versé des innocents, le sang de la défloraison des femmes, le sang des hommes versé pour la gloire, le sang bu par une espèce au détriment d'une autre, le sang corrompu de l'épidémie..., dans la nature de la narration, le sang transmet, le sang unit ou oppose, et le sang se verse. Il fait circuler l'énergie dans la littérature comme le dioxygène dans le corps. C'est universel, banal, donc fascinant. Le nombre 7 comme l'idée de monarchie sont tout aussi banals dans les littératures de l'imaginaire. C'est l'usage qu'on fait de ces banalités qui, me semble-t-il, peut contribuer à définir le projet littéraire.
Par ailleurs, on dit tant de choses sur le sang bleu qui est effectivement une des clés du récit. On nous raconte que le sang des rois espagnols aurait pris cette couleur du fait de la station assise prolongée, ou que la peau protégée du soleil des nobles dames faisait apparaître leurs veines bleues au travers de leur peau blanche d'oisives... Franchement, qui peut croire en de pareilles affabulations ? Moi-même, je passe mon temps assis devant mon ordinateur à écrire et j'habite en Picardie. Pourtant, mon sang est toujours aussi rouge.
Donc, si les nobles éprouvent le besoin de raconter des sornettes au sujet du sang bleu qui coulerait dans leurs veines et dont ils sont si fiers, s'ils se marient entre eux et suivent de si près leurs arbres généalogiques, c'est probablement qu'ils ont quelque chose à cacher à ce sujet. En faut-il plus pour démarrer une histoire ?
Actusf : Orville est lancé à la poursuite de ceux qui ont enlevé deux enfants au sang bleu. Il va devoir énormément changer pendant sa quête. Comment le voyez-vous ? Comment le présenteriez-vous ?
Régis Goddyn : Pourquoi Orville devrait-il changer ? Il ne change pas, il s'adapte, ce n'est pas du tout la même chose. Cette question du changement d'Orville est pourtant une des questions centrales de l'histoire. C'est un homme à priori très ordinaire à qui on demande, finalement, une tâche assez ordinaire de filature, à ceci près que ce début d'intrigue n'est pas posé dans un roman noir. Je le vois au début comme un homme assez superficiel, mais concentré sur sa tâche, obstiné, un homme qui se cache de lui-même et qui se dissimule donc à nos yeux. C'est son obstination qui le rend singulier et c'est au travers de ses écrits qu'on perçoit son intériorité, pas par ses actes ou ses paroles. Quand il découvrira ses étranges possibilités, il n'aura pour seul but que d'en évaluer les atouts qu'il peut en tirer pour la mission qu'il poursuit. Orville, c'est plus une question de dévoilement que de changement.
Actusf : Même question pour Rosa ?
Régis Goddyn : Alors qu'Orville est un prédateur, Rosa est une proie, mais elle possède cette même capacité d'adaptation. C'est une proie pétrie d'intuition, de logique et de sang-froid, et dont on peut se demander ce qui reste en elle d'une fugitive. Les passés respectifs d'Orville et de Rosa leur ont conféré les valeurs absolues inverses du même trait de caractère : l'éducation d'un guerrier et l'enfance d'une victime. On ne sait d'ailleurs pas plus que pour Orville qui elle est vraiment, et du fait qu'elle ne sait pas écrire, nous n'avons pas accès à ses pensées.
Je vois Rosa comme un animal à sang-froid qui dégage une telle chaleur qu'elle irradie du texte. Pour être tout à fait honnête avec vous, Rosa est un accident d'écriture, une maladresse d'auteur débutant, une génération spontanée qui a imposé sa présence dans la durée. Comme Lambret qu'elle emmène dans son sillage, elle ne devait vivre que l'espace d'un long paragraphe, juste pour illustrer la cruauté des capitaines-ambassadeurs-militaires et du clergé. Une fois mise en mouvement, une parcelle de son pouvoir m'a empêché de refermer la parenthèse et la figurante a pris un rôle principal. Ces imprévus sont plus de la moitié du plaisir d'écrire, en ce qui me concerne.
Actusf : Que pourrons-nous lire dans le deuxième tome ?
Régis Goddyn : La suite de l'histoire. Le sang des 7 rois est un roman que je veux très classique dans sa forme, de manière à ce que l'écriture ou la structure ne parasite pas la lecture en s'exhibant en tant qu'objet. Ce qui m'intéresse le plus ne se trouve pas là, mais dans l'architecture générale du récit qui ne fait que commencer. Pour le reste, je cherche la fluidité, et je trouve d'ailleurs que c'est un exercice très difficile. Pour le contenu du deuxième tome, il m'est difficile d'aller très loin sans dévoiler l'action et gâcher le plaisir des futurs lecteurs. Donc, il raconte la suite de l'histoire, l'île du Goulet, Gradlyn, l'archipel, le désert du Jourd...
Actusf : Sur quoi travaillez-vous ? (la suite j'imagine). Quels sont vos projets au-delà de ce cycle ? Ou vos envies ?
Régis Goddyn : Vous imaginez bien. Je viens de terminer le premier jet du quatrième tome. Je vais donc logiquement travailler de front sur les corrections de ce quatrième volume, sur les corrections approfondies du second qui sortira le 22 août et sur l'écriture du cinquième, le troisième opus restant en jachère en attendant que la date de sa sortie se précise.
À plus long terme, j'ai un projet dont les racines s'enfoncent au fil des volumes dans Le sang des 7 rois », un projet qui devrait courir sur... disons..., sept tomes. C'est un peu tôt pour le définir. Et je voudrais retrouver un peu de temps pour lire.
Régis Goddyn : Il n'y a pas grand-chose de particulier à dire en ce qui me concerne, sinon que je mène la vie assez standard d'un père de famille qui travaille à temps plein, rien de très original.
En général, les auteurs de 45 ans parlent de leurs précédentes publications, de leurs nominations, des projets qui n'ont pas vu le jour, mais qui ont marqué des étapes importantes de leur maturation. Mon dernier écrit d'invention remonte à 1983 alors que je commençais ma classe de troisième au collège de Villers-Bocage (Somme), c'est donc un chapitre vierge que j'aurais à vous offrir à ce sujet.
En fait, je n'étais plus lecteur depuis les années de lycée, ou occasionnellement pendant les vacances. Vingt ans plus tard, mon épouse m'a offert Le Seigneur des Anneaux. C'était pour mon anniversaire en décembre 2003, au moment de la sortie du troisième volet de l'adaptation de Peter Jackson. J'ai été conquis par le livre et son univers, et j'ai repris la lecture avant de l'abandonner de nouveau pour préparer un concours qui m'a pris tout mon temps et toute mon énergie jusqu'en juin 2006. Je ne suis vraiment redevenu lecteur qu'à cette date, au bénéfice d'un changement d'emploi qui m'a imposé de nombreuses heures de train.
J'ai été rapidement attiré par les très longs récits, trop frustré par les formats courts qu'on termine toujours trop vite. On peut donc citer en premier lieu les auteurs qui adoptent le format du marathon littéraire, comme Robin Hobb, G.R.R Martin, Fritz Leiber, Wolfgang Hohlbein, Robert Jordan, Orson Scott Card, Dan Simmons... Je ne sais pas si ce sont mes auteurs préférés, mais c'est assurément mon format préféré, et chacun d'entre eux a contribué à m'éveiller à la fantasy sous des jours singuliers.

Régis Goddyn : La lecture, incontestablement. À lire de la fantasy cinq heures par jours pendant quatre ans, je me suis surpris à penser les ouvrages comme des assemblages de briques narratives élémentaires, plus ou moins habilement disposées. Je prenais un vif plaisir à les identifier et à voir comment l'auteur allait nous fabriquer un monde, posant des variantes, un univers en sautant de clin d'oeil en clin d'oeil. Ça devenait comme une espèce de jeu.
Puis je me suis posé la question de ce que je pourrais bien faire avec le même matériel en reconsidérant ces archétypes. Pourquoi le héros serait-il un enfant ou un adolescent ? Pourquoi orphelin ? Pourquoi la quête du héros serait-elle la trame de l'histoire ? Pourquoi un roman de fantasy ne serait-il pas un road-movie ? Pourquoi les elfes ne seraient-ils pas des salauds ? Quels sont leurs points communs avec les vampires ? Pourquoi les animaux seraient-ils magiques ? Peu à peu, un schéma s'est dégagé, dans l'adhésion, mais aussi la remise en question ludique de la littérature de l'imaginaire telle que je la lisais.
Quand on est un tant soit peu joueur, on prend des notes. J'avais une pochette dans mon cartable dans laquelle je collectionnais les feuilles gribouillées, au cas où, un jour... Mais ce n'était pas sérieux, je n'avais jamais rien écrit du tout. J'ai toujours eu des pochettes pour noter des idées, pour des projets divers qui ne verraient jamais le jour.
Un mercredi de l'année 2010, j'ai sorti de la bibliothèque un mauvais bouquin dont je ne me souviens plus du titre. J'ai tenté de le retrouver, mais sans succès, il me fuit. Un livre en deux tomes assez caricaturaux pour que la mise en oeuvre des « briques » me mette en colère et que le style m'expulse de l'histoire. Passé la moitié du premier volume, je l'ai fermé et l'ai rangé dans mon sac, ce qui ne m'arrivait jamais. J'allais toujours au bout d'un livre, ne serait-ce que parce que le voyage n'était pas fini. Du coup, je n'avais plus rien à lire, alors j'ai sorti ma pochette... Quoi qu'il arrive, je ne pouvais pas faire pire.
C'est sans conteste le train et le voyage quotidien qui ont fait germer Tolkien dans le terreau de mes lectures d'enfance (Verne, Dumas...). Je bricole par ailleurs dans d'autres domaines artistiques depuis toujours : arts appliqués, arts plastiques, musique, artisanats d'art. Au regard de ma vie, je suis surpris que l'écriture soit devenue mon mode d'expression.
Actusf : Comment est née l’idée du Sang des 7 rois ?
Régis Goddyn : Je ne crois pas à l'inspiration, mais plutôt qu'on s'autorise à avoir des idées, ou pas. Avoir des idées, c'est un acte d'émancipation personnel dans une société dépoétisée qui nous en dissuade à tout prix, où il faut être rationnel et rentable jusque dans les actes créatifs. Il faut pouvoir se mettre en danger, accepter de renégocier son image face aux divers entourages de nos vies.
S'agissant du sang des 7 rois, et pour recentrer sur la question que vous m'avez posée, il est difficile de comprendre comment viennent les idées. En quarante-trois ans de curiosité, on engrange peu à peu des intuitions, des connaissances, le plus souvent merveilleusement superficielles, des rêves, des révoltes, des utopies, des doutes et des questions... Ces éléments d'origines diverses se lient en nous à notre insu pour construire qui nous sommes. Si nous brisons le tabou et décidons qu'on a le droit d'avoir une idée, on secoue tout ça et des choses se dégagent. L'idée du roman est venue ainsi, comme une sorte d'intuition. Les sous-éléments de l'histoire sont remontés à la surface, simultanément et fragmentés. Restait à les observer et à les assembler à la manière d'un mosaïste.
Actusf : Comment avez-vous conçu cet univers des 7 royaumes ? S’est-il imposé d’emblée ou s’est-il construit petit à petit ?
Régis Goddyn : L'univers du Sang des 7 rois est une construction inachevée, par nature et dans son projet. Il n'a pas de nom, les royaumes n'ont pas de noms. Les mers et océans n'ont que la toponymie de leur localisation. C'est un monde décrit plus que nommé et les personnages y inventent les modèles sociaux à mesure qu'ils font progresser l'histoire, ils construisent dans l'errance. Le monde que nous connaissons n'est-il pas fait ainsi ? Pour moi, l'univers des 7 rois est plus une trajectoire qu'un lieu.
Actusf : Votre intrigue tourne autour du sang, du « sang bleu » même, que certains individus possèdent et qui leur donne certaines capacités extraordinaires. L’idée est porteuse de bien des thématiques (réflexions sur l’altérité etc). Aviez-vous ces réflexions en tête en commençant à écrire votre roman ?
Régis Goddyn : Cette idée de sang est typiquement une figure récurrente de la fantasy, comme de la littérature en général. Qu'elle soit comprise comme métaphore de l'hérédité, comme le sang versé des innocents, le sang de la défloraison des femmes, le sang des hommes versé pour la gloire, le sang bu par une espèce au détriment d'une autre, le sang corrompu de l'épidémie..., dans la nature de la narration, le sang transmet, le sang unit ou oppose, et le sang se verse. Il fait circuler l'énergie dans la littérature comme le dioxygène dans le corps. C'est universel, banal, donc fascinant. Le nombre 7 comme l'idée de monarchie sont tout aussi banals dans les littératures de l'imaginaire. C'est l'usage qu'on fait de ces banalités qui, me semble-t-il, peut contribuer à définir le projet littéraire.
Par ailleurs, on dit tant de choses sur le sang bleu qui est effectivement une des clés du récit. On nous raconte que le sang des rois espagnols aurait pris cette couleur du fait de la station assise prolongée, ou que la peau protégée du soleil des nobles dames faisait apparaître leurs veines bleues au travers de leur peau blanche d'oisives... Franchement, qui peut croire en de pareilles affabulations ? Moi-même, je passe mon temps assis devant mon ordinateur à écrire et j'habite en Picardie. Pourtant, mon sang est toujours aussi rouge.
Donc, si les nobles éprouvent le besoin de raconter des sornettes au sujet du sang bleu qui coulerait dans leurs veines et dont ils sont si fiers, s'ils se marient entre eux et suivent de si près leurs arbres généalogiques, c'est probablement qu'ils ont quelque chose à cacher à ce sujet. En faut-il plus pour démarrer une histoire ?
Actusf : Orville est lancé à la poursuite de ceux qui ont enlevé deux enfants au sang bleu. Il va devoir énormément changer pendant sa quête. Comment le voyez-vous ? Comment le présenteriez-vous ?
Régis Goddyn : Pourquoi Orville devrait-il changer ? Il ne change pas, il s'adapte, ce n'est pas du tout la même chose. Cette question du changement d'Orville est pourtant une des questions centrales de l'histoire. C'est un homme à priori très ordinaire à qui on demande, finalement, une tâche assez ordinaire de filature, à ceci près que ce début d'intrigue n'est pas posé dans un roman noir. Je le vois au début comme un homme assez superficiel, mais concentré sur sa tâche, obstiné, un homme qui se cache de lui-même et qui se dissimule donc à nos yeux. C'est son obstination qui le rend singulier et c'est au travers de ses écrits qu'on perçoit son intériorité, pas par ses actes ou ses paroles. Quand il découvrira ses étranges possibilités, il n'aura pour seul but que d'en évaluer les atouts qu'il peut en tirer pour la mission qu'il poursuit. Orville, c'est plus une question de dévoilement que de changement.
Actusf : Même question pour Rosa ?
Régis Goddyn : Alors qu'Orville est un prédateur, Rosa est une proie, mais elle possède cette même capacité d'adaptation. C'est une proie pétrie d'intuition, de logique et de sang-froid, et dont on peut se demander ce qui reste en elle d'une fugitive. Les passés respectifs d'Orville et de Rosa leur ont conféré les valeurs absolues inverses du même trait de caractère : l'éducation d'un guerrier et l'enfance d'une victime. On ne sait d'ailleurs pas plus que pour Orville qui elle est vraiment, et du fait qu'elle ne sait pas écrire, nous n'avons pas accès à ses pensées.
Je vois Rosa comme un animal à sang-froid qui dégage une telle chaleur qu'elle irradie du texte. Pour être tout à fait honnête avec vous, Rosa est un accident d'écriture, une maladresse d'auteur débutant, une génération spontanée qui a imposé sa présence dans la durée. Comme Lambret qu'elle emmène dans son sillage, elle ne devait vivre que l'espace d'un long paragraphe, juste pour illustrer la cruauté des capitaines-ambassadeurs-militaires et du clergé. Une fois mise en mouvement, une parcelle de son pouvoir m'a empêché de refermer la parenthèse et la figurante a pris un rôle principal. Ces imprévus sont plus de la moitié du plaisir d'écrire, en ce qui me concerne.
Actusf : Que pourrons-nous lire dans le deuxième tome ?
Régis Goddyn : La suite de l'histoire. Le sang des 7 rois est un roman que je veux très classique dans sa forme, de manière à ce que l'écriture ou la structure ne parasite pas la lecture en s'exhibant en tant qu'objet. Ce qui m'intéresse le plus ne se trouve pas là, mais dans l'architecture générale du récit qui ne fait que commencer. Pour le reste, je cherche la fluidité, et je trouve d'ailleurs que c'est un exercice très difficile. Pour le contenu du deuxième tome, il m'est difficile d'aller très loin sans dévoiler l'action et gâcher le plaisir des futurs lecteurs. Donc, il raconte la suite de l'histoire, l'île du Goulet, Gradlyn, l'archipel, le désert du Jourd...
Actusf : Sur quoi travaillez-vous ? (la suite j'imagine). Quels sont vos projets au-delà de ce cycle ? Ou vos envies ?
Régis Goddyn : Vous imaginez bien. Je viens de terminer le premier jet du quatrième tome. Je vais donc logiquement travailler de front sur les corrections de ce quatrième volume, sur les corrections approfondies du second qui sortira le 22 août et sur l'écriture du cinquième, le troisième opus restant en jachère en attendant que la date de sa sortie se précise.
À plus long terme, j'ai un projet dont les racines s'enfoncent au fil des volumes dans Le sang des 7 rois », un projet qui devrait courir sur... disons..., sept tomes. C'est un peu tôt pour le définir. Et je voudrais retrouver un peu de temps pour lire.