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Interview Francis Berthelot
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Interview Francis Berthelot

ActuSF : Dans Carnaval sans roi, tu fais évoluer des personnes rencontrées dans les précédents tomes. Comment travailles-tu sur ce cycle ? As-tu une idée du destin de tous les personnages jusqu'à la fin ? Et comment construit chaque tome ? Choisis-tu les passages de leur vie que tu souhaites rencontrer ?
Francis Berthelot : Je fonctionne d’une double manière : instinctive et déductive. D’une part, certaines idées me viennent spontanément, sans que je puisse dire exactement ce qui les a engendrées. D’autre part, divers choix antérieurs ont des conséquences dont je tâche de tirer le meilleur parti.
Quand le cycle s’est précisé dans mon esprit, je n’avais pas forcément le destin de tous les personnages en tête. Par exemple, j’ai choisi de prolonger l’histoire d’Iris, parce que plusieurs de mes lectrices n’étaient pas satisfaites du destin que je lui avais donné dans Nuit de colère. Je me suis dit qu’en effet, elle méritait mieux, et je le lui ai accordé une seconde chance.
Chaque tome est construit en fonction de l’histoire qu’il raconte, laquelle m’impose de le découper en un certain nombre de parties et de chapitres, mais aussi de choisir un ou plusieurs modes narratifs. De surcroît, je suis un obsessionnel de la forme, et le nombre de chapitres de chaque partie doit répondre à des règles comme la symétrie, ou la répartition des modes narratifs.
Quant aux personnages, bien sûr, je ne raconte que les épisodes de leur vie qui me semblent en valoir la peine, selon le modèle « exposition, conflit, résolution du conflit ». La tension dramatique reste un élément primordial dans un roman.

ActuSF : Parle-nous un peu de tes personnages. Comment vois-tu Alvar et Kantor ?
Francis Berthelot : De tout le cycle, Kantor est sans doute mon personnage préféré. Mais j’ai aussi beaucoup d’affection pour Alvar. S’ils ne me ressemblent pas, ils me fascinent par leur côté séducteur vénéneux. L’un comme l’autre, sont exposés à la tentation du mal, y succombent par goût ou par contrainte, puis, au terme d’une série d’épreuves, parviennent à la surmonter. Leurs conflits intérieurs et les problèmes qu’ils posent à leur entourage en font des héros à la fois romantiques et modernes.

ActuSF : Peut-on dire que c'est un tome sur la rédemption ? Celle de Kantor (quoiqu'elle était déjà avancée) qui va sauver Alvar, et celle d'Alvar qui doit être sauvé ?
Francis Berthelot : Entre autres, oui. Kantor, une fois son pouvoir retrouvé, achève la démarche entreprise dans Nuit de colère en secourant un homme en qui il reconnaît une sorte de double dans le malheur. Pour Alvar, c’est encore plus net : jouisseur sans scrupule dans Le Petit Cabaret des morts, il a sombré dans la folie. Il lui faut donc d’abord en sortir, puis se reconstruire entièrement : trouver ce qu’il y a de bon en lui et le laisser s’exprimer. Pour cela, il a besoin d’accepter qu’on l’aide. Et, bien sûr, Kantor est sans doute celui qui le comprend le mieux. D’où l’amitié qui se dessine entre eux à la fin du roman.

ActuSF : On a l'impression avec Carnaval sans roi que tu règles en quelque sorte certaines situations. Est-ce ton sentiment ?
Francis Berthelot : C’est même un peu plus que cela. Je boucle la trajectoire des personnages principaux du cycle : du moins ceux dont la destinée restait encore incertaine. Des huit romans parus jusqu’à présent, c’est clairement celui dont la fin est la plus optimiste. Hommes ou femmes, vivants ou morts,  homos ou hétéros, ils parviennent tous à une forme d’équilibre affectif – si bizarre soit-il dans certains cas.

ActuSF : Les sentiments justement... Il y a dans Carnaval sans roi bon nombre de situations amoureuses, certaines étant même étonnantes. Tu explores de nombreuses possibilités. Le rapport à l'autre, la dimension amoureuse, sont-ils les véritables moteurs de ce tome et de ton cycle ? Et s'imposent-ils au fil de l'écriture ou as-tu dès le départ à chaque tome une idée précise de qui aime qui ?
Francis Berthelot : Il y a dans ce tome et dans l’ensemble du cycle de nombreux thèmes récurrents ou moteurs. La diversité des relations amoureuses est sans doute un des principaux. À partir du jour où j’ai accepté ma propre singularité – être gay et de quelle façon – j’ai accepté celles des autres même si elles m’étaient étrangères.
En général, quand je commence à écrire un roman, j’ai déjà fixé sa structure et les rapports entre les personnages. Mais il peut arriver que l’écriture m’ouvre une piste que je n’avais pas envisagée au départ ; là, c’est la logique des événements et des affects qui me guide.
Parfois aussi, j’ai du mal à comprendre ce qui se joue exactement entre deux ou trois personnages, et c’est en me mettant à leur écoute que j’arrive à le comprendre.  Par exemple, la configuration qui s’établit entre Kantor, Octave et Aurélie à la fin de Carnaval sans roi est très singulière. Je ne l’avais pas clairement posée au départ, mais elle s’est imposée à moi à mesure que j’approfondissait les désirs et les besoins de chacun d’eux.

ActuSF : Comment est née cette idée de construire des "paysages" pour représenter l'esprit de tes personnages ?
Francis Berthelot : Elle est apparue au moment de Nuit de colère, et je n’ai fait ici que lui donner une dimension plus importante. Elle vient d’une observation de Tzvetan Todorov dans Introduction à la littérature fantastique : le fantastique est souvent obtenu en prenant une métaphore au pied de la lettre. En l’occurrence, je suis simplement parti de l’expression courante de « paysage mental », et je lui ai donnée une réalité sensible : à la fois visuelle, auditive, tactile, etc.
Ceci étant, dans Carnaval sans roi, on assiste à quelque chose de plus complexe : l’affrontement souvent violent de plusieurs paysages mentaux à l’intérieur d’un même crâne. C’est là qu’apparaît la dimension de la folie.

ActuSF : Cela veut-il dire que l'on approche la fin du cycle ? Ou as-tu encore de nombreux tomes et de nombreuses histoires à raconter aux lecteurs ?
Francis Berthelot : On arrive en effet à la fin du cycle. Les aventures de mes personnages, tels que je les ai présentés, sont terminées. Pourtant, le cycle comprend un neuvième tome, Abîme du Rêve, dont j’ai achevé la première rédaction et que je dois maintenant corriger. On y retrouvera la plupart d’entre eux, mais sous un éclairage totalement différent.

ActuSF : Quel est ton rapport au Rêve du Démiurge ? Comment vois-tu ce cycle qui t'a pris plusieurs années ? Et comment a-t-il évolué pour toi au fil des années ? Est-il devenu ce que tu pensais au début qu'il serait ?
Francis Berthelot : En fait, je suis assez étonné d’avoir écrit un cycle de cette ampleur. Au départ, je n’y songeais absolument pas. Mais après les deux premiers romans, L’Ombre d’un soldat et Le Jongleur interrompu, j’ai eu envie de regrouper certains des personnages dans une suite commune. Là dessus, la dimension surnaturelle a pris de l’importance, et j’ai voulu l’explorer davantage. De proche en proche, j’ai continué à accumuler les volumes. Arrivé au 5ème, Nuit de colère, je me suis demandé combien il m’en fallait encore pour boucler l’histoire et lui donner un sens. Je suis arrivé à un schéma d’ensemble qui en comprend neuf en tout : une nonalogie selon les uns, une ennealogie selon les autres. Abîme du rêve sera donc le dernier.

ActuSF : Parle nous un peu de son aventure éditoriale... Quel est ton sentiment là dessus ? Et comment vois-tu cette nouvelle aventure numérique ? En ayant un éditeur papier et un éditeur numérique, as-tu l'impression d'être un cas d'école pour l'avenir des auteurs :-) ?
Francis Berthelot : Cette aventure éditoriale a été une catastrophe à répétition. Je suis de nature très sédentaire et n’aime pas changer de lieu. Que, par la force des choses, ce cycle soit réparti chez cinq éditeurs différents (Denoël, Fayard, Flammarion, Le Bélial’, Rivière Blanche) est une aberration totale. Presque personne, actuellement, ne peut en avoir une vision d’ensemble. Le dernier épisode (double édition papier/numérique) achève de rendre cette situation délirante. Mais bon. Je n’ai pas toujours eu le choix, et l’essentiel est que tous les volumes aient pu paraître.
Cela dit, je ne serai vraiment satisfait que lorsque Le Rêve du démiurge sera réédité dans son intégralité (tome 9 inclus) en deux gros volumes (respectivement 5 romans et 4 romans + annexes), projet qui devrait se réaliser au Bélial’ en 2012.

ActuSF : De quoi parlera le prochain tome ?
Francis Berthelot : Le neuvième tome, Abîme du rêve, raconte l’histoire de l’auteur des huit précédents, qui a des problèmes éditoriaux et risque de voir son œuvre mise au pilon – ce qui l’anéantirait. Moyennant quoi, ses personnages sortent des Limbes de la Fiction pour venir, selon la manière dont il les a traités, lui prêter main forte ou au contraire l’enfoncer.
En même temps, c’est une réflexion sur Le Rêve du démiurge lui-même et sur  les rapports entre réalité et fiction, réel et imaginaire. Il fait donc basculer l’ensemble du cycle – qui est déjà passé du réalisme au fantastique – dans un autre niveau narratif, où la question de l’intrusion de la fiction et du surnaturel dans la vie réelle est posée en tant que telle.
Et bien sûr, comme les huit premiers romans, il parle aussi de l’amour, de la vie, de la mort et de tout un tas d’autres choses !

ActuSF : Sur quoi travailles-tu ? Quels sont tes projets ?
Francis Berthelot : En ce moment, j’entame les corrections d’Abîme du rêve, qui vont m’occuper encore quelques mois. En même temps, je compose des chansons – paroles, musique, instrumentation par ordinateur – dans le but d’en faire un CD.
J’ai également l’intention de reprendre quelques personnages et situations de mon tout premier roman, jamais publié, et de les intégrer à une histoire tout à fait différente, dont le résultat sera un roman de vampires. Non parce que c’est à la mode, mais parce que j’ai toujours adoré les vampires !

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