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Interview Tommaso Pincio
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Interview Tommaso Pincio

Actusf : Les Fleurs du karma a été publié en Italie 2005. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce roman ?
Tommaso Pincio : Mon point de départ était l’idée d’écrire quelque chose du point de vue d’une fille. Je venais juste de me rendre compte qu’aucun de mes précédents romans ne se terminait bien – leurs personnages sont tous masculins et, d’une façon ou d’une autre, ils se suicident tous. Comme je ne prépare jamais de scénario avant de commencer à travailler sur un roman, je me suis demandé si quelque chose clochait chez moi. Pourquoi tout ce que j’avais écrit jusqu’à présent possédait une fin négative ? Est-ce que j’avais une attirance inavouée pour le suicide ? Voilà les questions inquiétantes que j’avais à l’esprit. Alors je me suis dit : Essayons de rebattre les cartes et voyons ce qui va se passer. J’ai décidé d’écrire une histoire avec un protagoniste d’un genre complètement différent, quelqu’un d’opposé à moi : un personnage positif, lumineux, une belle jeune femme. Je l’ai mise dans une sale situation, la pire que l’on puisse imaginer, afin de voir ce qu’elle ferait, si elle allait se suicider ou non. Pour le dire autrement, le roman a été comme un laboratoire, pour tester mes dispositions pessimistes. 
 
 
 
Actusf : On pense tout de suite à Philip K. Dick, avec ces différentes réalités qui se superposent. Est-ce une référence assumée ? Quelle est l'importance de cet auteur pour vous ?
Tommaso Pincio : J’ai commence à lire Philip K. Dick quand j’étais encore enfant. Ça a été une expérience épiphanique, une révélation. Sa vision du monde m’a frappé, en effet j’ai toujours détesté ce concept, ce mot : réalité. Pour moi, la réalité était une invention, une supercherie conçue pour contrôler les gens, et Philipp K. Dick m’a montré que le monde fonctionnait exactement comme je le sentais. J’étais fasciné par sa vie, aussi, sa façon d’être un loser. Il a eu un fort impact sur moi alors que j’étais très jeune. Je pense qu’une grande part de lui est toujours en moi mais je ne le considère plus comme un modèle. Je n’ai pas non plus pensé à lui pendant l’écriture des Fleurs du karma. Pas de manière consciente en tous cas, je ne peux pas en mettre ma main à couper pour ce qui est de l’inconscient, bien entendu.
 
 
Actusf : Pourquoi avoir choisi d'écrire sur les années 1960 et les hippies ?
Tommaso Pincio : Je vais vous donner trois bonnes raisons. D’abord, je suis né dans les années 1960. L’un des thèmes du roman est l’éternel conflit entre parents et enfants – la façon dont les rêves et les erreurs se transmettent de génération en génération comme un virus – et comme je me considère comme un enfant de la génération hippie, les sixties m’ont semblé un excellent cadre possible.
Ensuite, les années 1960 ont été une décennie de rêves, pendant laquelle l’impossible a paru possible et c’est une autre chose que je voulais explorer : le pouvoir et les dangers des croyances– croyances en des choses qui peuvent être réelles ou qui ne le sont pas encore 
La dernière raison, c’est mon profond intérêt pour la culture et les expériences psychédéliques. 
 
 
Actusf : On assiste à une dégradation continue de la société : le mouvement hippie puis la société individualiste des années 1990 et enfin le monde où se retrouve Laïka, qui ne semble fait que de poussière et d'excréments. Êtes-vous aussi pessimiste concernant le futur ?
Tommaso Pincio : En général, je ne le suis pas. C’est vrai que je suis de nature mélancolique, mais en même temps je suis plutôt positif pour ce qui concerne le futur des gens, même si nous faisons face à des jours difficiles. 
Dans tous les cas, le futur n’est pas le sujet de mon roman. Je pense que ce n’est même le sujet d’aucun roman, même ceux de SF. Le passé est la substance de la littérature. Même quand écrivain semble considérer le futur ou essayer de prévoir ce qui va arriver, il s’occupe en fait du passé, ou du présent. Comme je l’ai expliqué, mon point de départ était d’explorer une facette lugubre de moi-même et c’est probablement la raison pour laquelle le roman a un aspect sombre. 
Mais c’est aussi un livre très sincère, c’est vraiment ce que je voulais : être le plus sincère possible. Cette sincérité m’a beaucoup coûté. J’ai fais une crise de nerfs lorsque j’ai terminé le roman. En dépit de son cadre surréel, c’est probablement le roman le plus autobiographique que j’aie jamais écrit. Je sais que ce n’est pas un livre parfait. Je le savais, même pendant que je travaillais dessus, mais j’ai préféré tout garder, comme c’est venu. J’ai conservé toutes les imperfections parce que ces imperfections étaient exactement ce que je recherchais, et j’aime toujours ce livre, justement à cause de ces imperfections. 
 
 
Actusf : La musique est encore très présente dans ce roman. Est-elle indissociable de votre écriture ?
Tommaso Pincio : J’ai écouté beaucoup de musique à cette période. Surtout de la musique psychédélique, de toute sorte : des Pink Floyd jusqu’à la trance-Goa. Les choses dont je parle dans la dernière partie du roman – les épisodes qui se passent en Thaïlande – ne sont pas de la fiction mais des choses qui me sont réellement arrivées. J’ai changé quelques détails pour des raisons de narration, mais l’essentiel vient d’une vraie expérience que j’ai vécue.
 
 
Actusf : Ce n’est pas votre premier livre qui se déroule aux États-Unis : qu'est-ce qui vous attire dans ce pays ?
Tommaso Pincio : Ce n’est pas une question d’attirance. C’est parce que la culture américaine tient une grande place dans ma propre vie. De façon très basique, vous écrivez sur ce que vous connaissez ou sur ce que vous avez envie de connaître.
De 1988 à 2005, j’ai travaillé dans une galerie d’art contemporain qui avait ses bureaux à New York. Le fait que mes romans se passent aux États-Unis était donc un choix normal pour moi. Dans les dernières années, mes relations avec ce pays sont devenues moins directes et, de fait, je me suis mis à écrire sur d’autres lieux. Vous pouvez d’ailleurs remarquer ce changement dans Les Fleurs du karma : beaucoup de parties du roman ne se passent pas aux États-Unis.
 
 
Actusf : Est-ce plus difficile de choisir comme cadre l’Italie ?
Tommaso Pincio : Cela dépend du roman que vous voulez écrire. Même s’il fait écho à celui d’un écrivain américain, mon pseudonyme Pincio est un hommage à Rome. Écrire un roman sur la ville où je suis né a été une de mes grandes ambitions au début de ma carrière. La raison pour laquelle j’ai pris pas mal de temps pour y parvenir – pour arriver à un résultat comme Cinacittà (paru chez Asphalte en 2011) – est que Rome est un lieu de stratification complexe. C’est très difficile de prendre cela en compte, surtout pour les Romains.
 
 
 
Actusf : Votre dernier roman, Hotel a zero stelle. Inferni e paradisi di uno scrittore senza fissa dimora, est paru en 2011. De quoi parle-t-il ?
Tommaso Pincio : J’aime les hôtels. J’adore les hôtels et les motels, tout comme j’adore les autres lieux dévolus aux séjours temporaires. Le livre parle de cette attirance, et l’idée est en quelque sorte venue des Fleurs du karma, je dirais. Quand ce roman a été publié en Italie, quelqu’un a écrit une chronique à son sujet que je n’ai pas appréciée. Le type déclarait que le roman était mauvais parce qu’il était beaucoup question d’hôtels dedans. Apparemment, il considérait l’hôtel comme le symbole d’une narration sans intérêt. Au début, j’étais en colère, bien sûr. Mais ensuite, je me suis rendu compte que jusqu’alors je n’avais jamais vraiment accordé d’attention à mon intérêt pour les hôtels, et je me suis demandé : Pourquoi les hôtels ? D’où me vient cette attirance ? L’hôtel sans étoiles (Hotel a zero stelle) dont je parle est inspiré d’un endroit réel à Tel Aviv, un hôtel minable, une horrible cahute que j’ai profondément aimée. J’ai aimé aussi son gérant, qui foutait les jetons. Dans mon livre, j’ai transformé ce lieu existant en un endroit métaphorique pour un voyage dantesque à travers la littérature. Au premier étage, vous rencontrez une forêt sombre, une selva oscura. Puis vous allez au deuxième étage où se trouve l’enfer, etc. Le troisième étage est le purgatoire et le quatrième est le paradis. A la fin, vous arrivez au toit, d’où vous voyez les étoiles briller dans le ciel. Chaque étage possède ses propres clients et chacun d’eux sont des écrivains – des écrivains qui ont été importants pour moi, des écrivains qui ont enseigné quelque chose sur le fait d’écrire et bien d’autres choses. Donc, en un mot, ce livre traite de ce que j’ai appris sur l’écriture et la vie à partir des écrits et de la vie d’autres gens.
 
 
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos projets ? 
Tommaso Pincio : J’ai un nouveau livre en cours, un roman, d’une étrange façon. Il parle de Michelangelo Merisi, ce peintre qu’on appelle Le Caravage, tout particulièrement des nombreuses années qu’il a passées à Rome. La chose étrange, c’est que dans le roman, sa vie et la mienne sont emmêlées et ne forment presque plus qu’un. J’ai une raison précise pour faire ça, mais je préférerais ne pas la révéler maintenant. En parallèle, je travaille aussi sur un projet artistique, une installation de peinture qui devrait, je l’espère, devenir bientôt une exposition. Et puis je rêve aussi de faire un roman graphique. Un de mes vieux rêves, en fait.

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