ActuSF : Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs d'ActuSF ?
Stéphane Michaka : J'ai commencé par écrire des pièces de théâtre, notamment pour la jeunesse : Le Cinquième archet publié par L'Avant-Scène Théâtre, Les Enfants du docteur Mistletoe chez Espaces 34.
Stéphane Michaka : J'ai commencé par écrire des pièces de théâtre, notamment pour la jeunesse : Le Cinquième archet publié par L'Avant-Scène Théâtre, Les Enfants du docteur Mistletoe chez Espaces 34.
Une de mes pièces pour adultes, qui était en fait un film noir imaginé pour la scène, a attiré l'attention de François Guérif, le directeur de Rivages/Noir. Il m'a proposé d'en faire un roman et c'est devenu La Fille de Carnegie, paru directement en poche.
Ciseaux, mon troisième roman, n'était pas un polar mais un récit de vie inspiré du nouvelliste américain Raymond Carver. En parallèle à mes romans, j'écris pour la radio, tantôt des textes originaux et tantôt des adaptations, dont celle du Château de Kafka, un auteur que j'aime beaucoup. Kafka est inclassable, tout en se rattachant par anticipation au roman noir des années 20 mais aussi à la littérature fantastique, avec une touche de burlesque.
Je tiens beaucoup à cette idée de passage d'un genre à l'autre, de carrefours et de zones limites. Bien plus que dans un genre spécifique, c'est dans ces croisements-là — j'ai envie de dire « ces enchevêtrements » — que je me reconnais.

Stéphane Michaka : J'ai l'impression que le Young Adult est aujourd'hui un espace de liberté, dans un paysage éditorial par ailleurs ultra labelisé. Si on enlève l'étiquette Young Adult — un oxymore, soit dit en passant — on se retrouve avec un tas de livres qu'on ne pourrait décrire qu'en croisant trois, parfois cinq genres différents.
Ce qui est pour les auteurs une nécessité vitale depuis L'Iliade et L'Odyssée (croiser les genres) est en revanche un casse-tête pour les éditeurs et les libraires. Faustine, l'héroïne de Cité 19, débute ses aventures dans une atmosphère de roman noir, se retrouve très vite plongée dans un roman historique situé au dix-neuvième siècle, et alterne ensuite entre l'anticipation et le fantastique. Publier ce roman en Young Adult était une évidence, et pas seulement parce que l'héroïne a dix-sept ans.
ActuSF : En combien de tomes avez-vous prévu de réaliser votre saga ?
Stéphane Michaka : Cité 19 comprend deux tomes. Il s'agit en fait d'un seul livre coupé en deux. Mais je tenais à cette interruption, ce cliffhanger au milieu de l'intrigue — « la suite à demain », comme disaient les romans feuilletons au XIXe siècle. J'ai aussi voulu marquer le point de passage où l'héroïne et les lecteurs passent de l'autre côté du miroir. Ce qui advient véritablement à la fin du tome 1.

Stéphane Michaka : Pour le lecteur plongé dans Cité 19, ces bascules de genre peuvent paraître abruptes. Elles le sont d'ailleurs pour l'héroïne elle-même.
C'est une expérience de lecture particulière, déroutante au premier abord et que j'ai surtout essayé de rendre stimulante (l'écriture du roman était souvent très stimulante pour moi, je devais aller sans cesse au-delà de mes limites d'écrivain).
Je ne veux pas dévoiler les éléments de l'intrigue, mais évidemment tout est relié. Si le Livre 1 — Ville noire — est conçu comme une entrée dans un tunnel, avec un obscurcissement progressif, le Livre 2 — Zone blanche — procède de façon inverse : on sort du tunnel avec Faustine, et la vérité surgit de façon aveuglante.
Il est vrai que les strates sont nombreuses dans Cité 19, mais l'écriture, le style, ne varient pas tellement d'un chapitre à l'autre (quelques mots d'argot pour le XIXe siècle, quelques termes scientifiques pour le laboratoire de Zapruder).
Je tenais à ce que le roman puisse être lu par des adolescents de treize ans, aussi peu familiers de Zola que de Philip K. Dick. J'ai rêvé Cité 19 comme un roman d'initiation au XIXe siècle, et aussi, de façon oblique, à aujourd'hui. C'est d'ailleurs la question qui est au cœur du roman : qu'est-ce qui a vraiment changé en 150 ans, et ne faut-il pas recommencer à chaque époque la même lutte pour l'émancipation ?
ActuSF : Comment se déroule une journée-type d'écriture pour vous ?
Stéphane Michaka : Dans le cas de Cité 19, et pour continuer de répondre à la question précédente, je commençais souvent la journée par une plongée dans mes sources (notamment Le Livre des Passages de Walter Benjamin, une somme inégalée sur Paris au XIXe siècle).
La plupart des lieux arpentés par Faustine — passages parisiens, ruelles de la Cité, boulevards haussmanniens, Exposition universelle, égouts et souterrains... — ont leur entrée dans le livre de Benjamin.
Pour les scènes du laboratoire, j'avais en tête tantôt Philip K. Dick, tantôt des romans comme Simulacron 3 de Daniel F. Galouye, Le maître des rêves de Zelazny ou encore Neuromancien de William Gibson. En fait la plupart des œuvres de SF qui ont été pillées par les films Matrix. Mais je dois moins aux frères Wachowski qu'aux auteurs que j'ai cités. Ensuite, j'essaie d'oublier tout ce que j'ai arpenté avec délice (Zola comme la SF) pour écrire mon propre livre.
Ce qui consiste, comme disait quelqu'un, à brûler ceux des autres ! L'essentiel de mon travail d'écriture consiste à enfouir ma documentation entre les lignes. Pour que l'on reste à hauteur du regard de Faustine, celui d'une adolescente d'aujourd'hui sur une époque révolue. Mais pas tout à fait révolue, comme elle va le découvrir.
ActuSF : Comment l'idée originale de Cité 19 vous est-elle venue ?
Stéphane Michaka : Au départ, tout commence par un lieu étrange qui était autrefois une gare (lieu de passage, potentiellement de déraillement, en tout cas d'aiguillages divers) et qui est devenu un musée consacré au XIXe siècle, je veux parler du musée d'Orsay.
J'ai été frappé de voir ce décor gigantesque et désaffecté, assez effrayant, dans le film qu'Orson Welles a tiré du Procès de Kafka. Le film est tourné dans les années 60 et la gare d'Orsay, qui n'était pas encore le musée chic qu'on connaît, y apparaît comme un lieu cauchemardesque.
En voyant ce film, je repensais à mes promenades dans la galerie des impressionnistes et je me mettais à voir le XIXe siècle comme une féérie qui tourne au cauchemar (c'est d'ailleurs cette ambivalence qui le caractérise, en particulier sous le Second Empire). Il ne manquait plus que le personnage de Faustine, une ado un peu androgyne, faite en quelque sorte pour les passages en tous genres. Elle s'est très vite glissée dans ce décor, cette gare-musée, en devenant la fille du gardien-chef. Cité 19 pouvait alors commencer.
ActuSF : Cela fait-il longtemps que cette histoire était dans votre esprit ?
Stéphane Michaka : Je pense qu'elle était là, potentiellement, depuis mon adolescence (puisque c'est l'époque où je découvrais le musée d'Orsay) mais elle s'est cristallisée en voyant le film de Welles il y a quelques années.
ActuSF : Avez-vous lu quelques ouvrages destinés aux adolescents avant de vous lancer dans l'écriture du vôtre ?
Stéphane Michaka : Dans les parutions récentes, je me suis intéressé à Belle époque d'Elizabeth Ross, qui met très bien en scène les années qui suivent celles où Faustine se retrouve.
Et bien sûr, des auteurs françaises comme Marie-Aude Murail ou Marie Desplechin ont écrit de très bons romans jeunesse qui se déroulent au XIXe siècle. Comme je le disais, je n'ai pas imaginé Cité 19 comme un roman spécifiquement Young Adult, ni tenté de l'écrire selon les canons du genre (qui encore une fois n'en est pas un). J'ai cherché à y mettre tout ce qui me fascine dans le XIXe siècle, l'architecture comme la mode, la cruauté comme l'esprit d'aventure. Un bouillonnement qui n'est pas propre à l'adolescence, même s'il surgit pour la première fois à cet âge de la vie.
ActuSF : Les couvertures des deux ouvrages parus sont magnifiques, avez-vous participé à leur réalisation ?
Stéphane Michaka : Elles sont signées Laurent Besson. PKJ me les a montrées pour avis et j'étais enchanté d'y retrouver de la rêverie (toujours cette féérie propre au XIXe siècle) et des touches plus inquiétantes qui font écho à l'histoire — à la fois l'intrigue du roman et « l'Histoire avec sa grande hache », comme disait Perec, un autre amoureux de Paris et du XIXe siècle.