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Janua Vera

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2009  -  livre
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Janua Vera

Jean-Philippe Jaworksi, né en 1969, est professeur de lettres dans un lycée à Nancy. Fervent rôliste, il a collaboré au magazine spécialisé Casus Belli et créé le jeu de rôle gratuit Tiers Âge sis dans l'univers de Tolkien et Te Deum pour un massacre qui a pour contexte les guerres de religion françaises du XVIème siècle. Avant son premier roman Gagner la guerre, qui vient de paraître chez Les Moutons électriques, Jaworski avait déjà publié la nouvelle Celles qui marchent dans l'ombre dans l'anthologie Mythophages aux éditions de l'Oxymore, ainsi que le présent recueil. Janua Vera, paru chez Les Moutons électriques en 2007, salué par la critique et récompensé par le prix du Cafard cosmique l'année dernière, nous revient chez Folio SF augmenté de la nouvelle inédite Un amour dévorant, mais heureusement débarrassé de l'affreux tampon fantasy qui a durant un temps défiguré la collection.

Le fait est suffisamment rare pour être souligné : Janua Vera est un recueil de nouvelles de fantasy. Contrairement à la grande majorité des parutions actuelles dans le domaine (dont le roman de Jaworski, Gagner la guerre), où les gros pavés s'enchaînent, parfois au sein de sagas fleuves qui peuvent dépasser la dizaine de tomes, Jean-Philippe Jaworski a privilégié ici la forme courte. Bien que toutes ces nouvelles prennent place dans le même univers et renvoient les unes aux autres au fil des rappels historiques, chacune peut se lire indépendamment. Janua Vera peut, selon la préférence du lecteur, se dévorer comme un livre de fantasy ou se picorer comme un recueil de contes : dans tous les cas, Jaworski réussit à déployer un univers cohérent, à poser un décor crédible, mêlant réalisme historique et merveilleux magique.
   

Aloe Vera

Le recueil s'ouvre sur la nouvelle qui lui donne son titre, Janua Vera, et qui est aussi l'une des plus marquantes du recueil : pour qui n'est pas familier avec la plume de Jaworski, c'est la claque assurée. Le Roi-Dieu Leodegar, profondément troublé par un rêve récurrent, néglige les affaires du royaume. Sur ce pitch très simple, Jaworski déploie une verve envoûtante, narrant sur le ton de la légende mais au présent de narration les errances du Roi-Dieu. Sans grande originalité, ni très ambitieux, ce premier texte n'en est pas moins une très bonne introduction au recueil. Grâce à son talent de conteur - qui n'est pas sans rappeler celui d'un Laurent Kloetzer - l'auteur nous immerge immédiatement dans son univers ; on est littéralement avec Leodagan, face à ses conseillers desespérés, face à la prêtresse qu'il décide de consulter, jusqu'au dénouement.

Clairement le texte le plus ambitieux du roman, la nouvelle - presque une novella - Mauvaise donne suit immédiatement. Ce n'est qu'avec ce texte que l'on découvre véritablement l'ampleur et la précision de l'univers imaginé par Jaworski et le talent de l'auteur pour nouer des intrigues complexes. L'assassin Benvenuto Gesufal nous narre à la première personne une de ses aventures : un meurtre dont la guilde des Chuchoteurs lui a confié la charge, un travail de routine en somme, tourne terriblement mal : a-t-on cherché à le piéger ? Jaworski réussit ici la prouesse de rendre attachant un personnage tout à fait ignoble, cynique à souhait. Mêlant scène d'action dans les ruelles de Cidulia, enquête, séquences de dialogue astucieuses, intrigue politique complexe, la nouvelle déjà bien plus longue que les autres nous semble trop courte tant elle est prenante. On aurait envie de connaître mieux l'assassin, de le suivre dans d'autres aventures... et ça tombe bien, puisque Mauvaise donne n'est qu'un prologue au roman Gagner la guerre dans lequel on retrouvera avec bonheur Benvenuto Gesufal.

Les nouvelles suivantes, un peu plus faibles, donneront peut-être parfois à l'initié le sentiment d'être des comptes-rendu de parties de jeu de rôle ; ceci dit, faible dans un recueil de cette qualité, c'est tout de même déjà très bien. Jaworksi continue l'exploration de son univers au travers d'une galerie de personnages d'origines et de classes sociales variées dont il fait le portrait. C'est ainsi la noblesse qui est le sujet de la nouvelle Au service des dames - détournement astucieux du roman courtois, où Jaworski fait montre de son talent pour les dialogues à plusieurs niveaux - et les guerriers des hordes barbares qui sont celui de Une offrande très précieuse, variation sur le thème du deuil. Dans Le conte de Suzelle, nouvelle émouvante, l'auteur revisite l'archétype du prince charmant en nous contant la vie d'une femme du peuple, de sa petite enfance jusqu'à sa mort, et comment celle-ci aura été marquée par une rencontre avec un mystérieux personnage. Contrepoint rafraîchissant, Jour de guigne narre les péripéties d'un petit fonctionnaire atteint par une malédiction invraisemblable, preuve que Jaworski sait aussi manier l'humour et faire preuve de légèreté. Enfin, le recueil se clôt sur Le confident, nouvelle glaçante qui rapporte les pensées d'un membre du clergé du Desséché, divinité rattachée à la mort, qui a fait le choix d'être enterré vivant pour se consacrer à son culte : frissons garantis...

Attardons-nous sur l'avant-dernier texte, Un amour dévorant, « bonus »  exclusif propre à la réédition du recueil en poche, qui est aussi une excellente surprise. Jaworski y aborde le seul genre qui faisait défaut à Janua Vera : celui de l'intrigue policière, bien évidemment ici teintée de merveilleux. On y suit donc l'enquête du gyrovague Phasma, également membre du clergé du Desséché, qui cherche à comprendre pourquoi les appeleurs, deux êtres fantomatiques qui se poursuivent sans relâche, hantent les futaies de Noant-le-vieux et pourquoi les habitants de la région sont les seuls à entendre leurs appels. Comme dans une enquête policière, le gyrovague interrogent les uns après les autres les témoins de ces apparitions, relevant peu à peu les indices qui mèneront au dénouement final, auquel on est presque surpris d'avoir le droit, tant on s'attend à une fin en queue de poisson. Une nouvelle à chute très astucieuse, jusque dans son titre, dont on ne découvrira les tenants et les aboutissants que dans les toutes dernières lignes.


Gagner la guerre

Ce qui frappe en lisant les nouvelles de ce recueil, c'est avant tout la langue de l'auteur, l'élégance du style et l'habileté dans le choix des mots, qui en fait une écriture agréable, fluide et très prenante. L'extrême précision du vocabulaire fait peur à voir, et une bonne partie du champ lexical propre à l'univers échappera probablement à tous ceux qui ignorent le nom de chacune des pièces composant une arbalète ; mais peu importe : Jaworski n'en abuse pas, et le texte est suffisamment malin pour que l'on devine le sens de ces mots par rapport à leur contexte, sans qu'il soit en permanence nécessaire de recourir au dictionnaire.

On referme Janua Vera avec, comme pour les romans de Laurent Kloetzer ou ceux de Georges Foveau, le sentiment salvateur qu'une autre fantasy est possible. Loin des structures narratives et des archétypes usés jusqu'à la moelle de la big commercial fantasy, ces auteurs de la « nouvelle scène française » méritent qu'on les mettent en lumière et qu'on les défendent. On recommandera donc Janua Vera à tous ceux qui aiment la fantasy, recherchent quelque chose de rafraichissant et sont las de la fantasy à la papa Eddings mais aussi, et surtout, à tout ceux qui, comme votre serviteur, n'aiment pas la fantasy.

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