- le  

L’Accroissement mathématique du plaisir

Catherine Dufour ( Auteur), Brian Stableford (Préface), Philippe Caza (Illustrateur de couverture), Richard Comballot (Préface)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 25/09/2008  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

L'Accroissement mathématique du plaisir

On ne présente plus Catherine Dufour, nouvelle voix de l’imaginaire français désormais bien installée. En quelques romans, elle s’est forgé une solide réputation auprès d’un lectorat varié, touchant à la fantasy déjantée (la série Quand les dieux buvaient chez Nestiveqnen), au fantastique (Délires d’Orphée, roman du Club Van Helsing chez Baleine) ou à la science-fiction (Le Goût de l’immortalité, chez Mnémos puis au Livre de poche, roman multi primé). Sans oublier un certain nombre de nouvelles parues dans les revues des genres de l’imaginaire. Grâce à Richard Comballot et aux éditions du Bélial, la plupart de ces textes éparpillés de-ci de-là sont désormais regroupés, avec quelques inédits, en un recueil au titre intriguant, L’Accroissement mathématique du plaisir. L’occasion de découvrir ce dont Catherine Dufour est capable sur le format court.

Le logarithme n’est pas rien

Après une préface de l’anthologiste Richard Comballot et une autre de Brian Stableford (rien que ça !), cette (presque) intégrale s’ouvre sur Je ne suis pas une légende, parue initialement dans Bifrost 30. Nous n’allons pas détailler chaque nouvelle mais celle-ci mérite le détour et son placement en première position est inspiré : un employé de bureau banal échappe à une épidémie de vampirisme et tente d’y survivre, comme l’illustre héros de Richard Matheson. Mais justement, n’est pas héros qui veut… Sur fond de critique virulente du monde du travail et de ses contradictions, Dufour écrit une histoire qui prend à revers les clichés du genre. Ce texte introduit les qualités principales de l’auteur, qui se retrouveront quasiment dans tous les autres : un style très imagé ; un ton humoristique et décalé, souvent ironique, derrière lequel frappe toujours la cruauté des situations comme le claquement d’un fouet ; l’absence de jubilation devant cette cruauté, juste un désir d’expliquer, de comprendre, pour peut-être mieux l’accepter.

Suivent Le Sourire cruel des trois petits cochons, texte de fantasy burlesque, et L’Immaculée conception, nouvelle primée par le Grand Prix de l’Imaginaire 2008, qui voit une femme quelconque (encore une anti-héroïne…) tomber enceinte sans avoir été fécondée. Suit pour elle un calvaire inimaginable, entre les complications de santé et les regards méfiants de son entourage, qui découragerait n’importe quelle future maman… À éviter si vous attendez un enfant ! Car cette nouvelle est très dure, très réaliste, et l’argument fantastique ne sert finalement qu’à appuyer la détresse de cette femme qui nous touche profondément.

Après ce démarrage en force, le plaisir de lecture augmente plus lentement en suivant une courbe logarithmique : entre fantasy classique et fantastique référencé, Dufour offre quelques récits qui satisferont les amateurs du genre mais qui, il faut bien l’avouer, manquent parfois d’originalité. Ils ne sont toutefois pas à négliger, car ils assoient un style et placent le lecteur dans un certain état d’esprit. Notamment, l’utilisation fréquente de la narration à la première personne permet de ne pas avoir un regard objectif sur les événements, laissant un doute sur la réalité des faits. Car le centre de gravité des textes de Catherine Dufour se déplace entre l’imaginaire et la réalité, deux espaces tantôt parallèles, tantôt sécants. L’auteur laisse même tomber complètement l’imaginaire dans deux nouvelles (Valaam et Le Cygne de Bukowski), superbement écrites et qui relancent l’accroissement de notre plaisir.

Démentielle exponentielle

Accroissement qui ne s’arrêtera plus car, après deux récits humoristiques autour de Peter Pan et d’Alice au pays des merveilles qui dénotent un grand amusement à jouer avec les références, le recueil prend un virage à angle droit pour entrer de plein fouet dans la science-fiction. Dès lors, notre ravissement devient exponentiel, avec L’Accroissement mathématique du plaisir, La Liste des souffrances autorisées, L’Amour au temps de l’hormonothérapie génique, Un soleil fauve sur l’oreiller (Catherine Dufour aime les titres longs !) et enfin Mémoires mortes, cinq nouvelles excellentes qui montrent que l’auteur est aussi à l’aise avec la technique et le futur qu’avec les légendes anciennes. On y trouvera, entre autres, l’omniprésence du virtuel (pour échapper à la pourriture du monde ?), des interrogations sur la vie et sur la mort, mais surtout, derrière un humour de façade, un profond humanisme et un hymne à l’amour que nous approfondirons plus loin. Bref, un bouquet final impressionnant qui prouve, une fois de plus, la perspicacité de Richard Comballot en tant qu’anthologiste.

Maintenant que nous avons parcouru cette fonction non linéaire qu’est le recueil de Dufour, dérivons sur quelques développements pas si limités…

Projections orthogonales sur papier couché

Catherine Dufour a un véritable talent pour évoquer des images ou des ambiances avec une grande finesse. Elle parvient à nous faire ressentir la même chose que ses personnages comme si nous nous trouvions à leur place. Par exemple, par deux fois elle cristallise devant nos yeux un concept aussi fuyant que la Beauté, dans La Lumière des elfes et L’Accroissement mathématique du plaisir, à travers la description d’œuvres d’art qui va au-delà de la simple retranscription d’image. On devine l’auteur sensible à l’art en général, à son côté précieux et éphémère, et sans doute ce goût n’est-il pas étranger à son talent d’écrivain. Que ce soit avec des phrases poétiques et imagées pour les lieux (Rhume des foins, Le Jardin de Charlith) ou des portraits composés à coups de morceaux de quotidien pour les personnages, Dufour cultive l’art de la formule et projette dans notre esprit, comme sur un écran à géométrie variable, ses propres visions et sensations.

Elle construit ainsi la matrice au sein de laquelle s’épanouissent des thématiques que l’on avait déjà aperçues dans ses romans. Ce recueil contribue à consolider l’unité d’une œuvre qui ne cesse de s’enrichir.

L’espace des réels, un monde cruel

Nous l’avons déjà dit, presque tous les textes du livre transpirent la cruauté d’un monde qui semble avoir une sérieuse dent contre ses habitants. Dufour a beau utiliser l’imaginaire pour raconter ses histoires, elle revient presque systématiquement à une réalité dont la dureté contrebalance le ton détaché de l’écrivain. L’Immaculée conception en est le plus parfait exemple. Mater clamorosum, Confession d’un mort ou La Liste des souffrances autorisées, dans la même veine, nous soufflent que, à côté des spectres, des fées ou des progrès technologiques, il y a des hommes qui souffrent et qui meurent de toutes les façons imaginables. La mort, une constante de l’équation Dufour, que le rêve peine à éloigner.

Car même lorsque l’imaginaire parvient à s’immiscer dans le réel, il traîne avec lui sa cruauté propre que seule l’innocence parvient à combattre (Le Sourire cruel des trois petits cochons), pour autant qu’on lui laisse la liberté de s’épanouir, ce qui n’est pas toujours le cas (La Perruque du juge, belle prolongation du Peter Pan de Barrie). Et les solutions virtuelles que peut nous apporter le futur ne sont pas forcément une échappatoire appropriée, comme en témoigne Mémoires mortes, dernière nouvelle du recueil et sans doute la plus poignante.

L’amour, ma thématique (© -M-)

Heureusement, tout n’est pas noir dans l’univers de Dufour. Outre quelques nouvelles légères qui mettent un peu de baume au cœur, l’amour est au centre des préoccupations de l’écrivain, comme un phare dans l’obscurité. Alors certes, l’amour est très souvent accompagné de souffrances, plongeant ses victimes dans la tristesse (Une troll d'histoire) ou dans un état de manque, au même titre qu'une drogue (L’Accroissement mathématique du plaisir). Ou bien il est une arme de manipulation, qu’elle soit psychologique ou physique (L’Amour au temps de l’hormonothérapie génique, La Liste des souffrances autorisées). Mais pour peu qu’on parvienne à en garder le contrôle et à suivre son instinct, il est une béquille sur laquelle les êtres humains peuvent s’appuyer pour apprendre à marcher.

Une forme particulière d’amour est mise à l’honneur dans ce recueil : celui naissant des relations mère/enfant. Si L’Immaculée conception présente un tableau peu engageant, et si Mater clamorosum nous montre cet amour, encore une fois, sous l’angle de la souffrance, Un soleil fauve sur l’oreiller revient à quelque chose de moins manichéen et de plus instinctif. Cette nouvelle parle des difficultés d’éduquer un enfant, de percevoir la limite, en tant que mère, entre son rôle d’amie, de protectrice et d’instructrice. Et nous dit que l’amour est fragile et nécessite une attention de tous les instants.

La théorie d’être ensemble

L’Accroissement mathématique du plaisir est à l’image de son auteur : éclectique, drôle, inspiré, admirablement évocateur, et surtout centré sur l’humain. Tous les textes ne sont pas des bijoux, mais la composition du recueil nous entraîne dans une progression arithmétique vers un final brillant. Les fans de Dufour trouveront là un prolongement de ses romans, que ce soit dans le ton ou dans les thématiques. Les non connaisseurs obtiendront un aperçu de son univers, qui sans aucun doute les incitera à se plonger rapidement dans ses autres livres.

Un univers qui n’est pas si délimité que l’on pourrait le penser, naviguant aux limites des genres et s’intéressant plus au contenu qu’au contenant. Finalement, le choix de l’imaginaire (fantastique, fantasy ou SF) par Catherine Dufour n’est qu’un moyen de rappeler que, quelle que soit l’époque ou l’environnement, les relations humaines ont été, sont et seront toujours au centre du monde, et que rien, ni institutions ni croyances, ne pourront prétendre les diriger et se substituer à l’instinct qui nous pousse à vivre ensemble.
Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?

{{insert_module::18}}