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L’Arme soeur

David Bischoff (Coloriste), Jacques Collin (Traducteur), Pat Mills (Scénariste), Adrian Smith (Dessinateur, Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/2005  -  bd
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L’Arme soeur

Il y a des signes qui ne trompent pas. Des événements que la contingence historique amène sans doute à se produire sur des tas d’univers parallèles au nôtre. Parmi ces événements, la venue d’Adrian Smith chez Nickel a la saveur d’un gros cake à la fatalité (avec des tas de cerises sanguinolentes dessus).

Si vous ne connaissez par encore Adrian Smith (honte à vous !) c’est peut-être parce que vous n’avez pas passé votre jeunesse boutonneuse à peindre et faire avancer des soldats de plomb sur un tapis vert gazon rehaussé de quelques ruines et d’une végétation de lichens séchés. J’en vois qui ricanent derrière leur écran… Adrian Smith s’est fait connaître (d’abord outre-Manche, puis dans le monde entier) comme l’illustrateur-maître de la garnison Games Workshop, la maison qui édite les jeux barbaresques tels Warhammer et son jumeau futuriste Warhammer 40k. Fin anatomiste, esprit baroque et torturé, Smith a plus qu’imposé son style : il a créé cortège de suiveurs qui n’ont que rarement atteint la finesse de ses travaux, notamment de ses planches en noir et blanc illustrant les différents codex de la marque. Autant vous dire que du barbare, il en a dessiné. Du guerrier taillé dans le muscle et l’armure, il a en peint, de toutes les couleurs, et de toutes les morphologies les plus exotiques, avec comme point commun, un esprit complètement excessif. Pas vraiment étonnant alors de le voir débouler dans la maison d’édition d’Olivier Ledroit et de l’y voir associé à l’intarissable Pat Mills, qui lui aussi, en mesure de muscle taillé à la hache, sait de quoi il parle pour avoir scénarisé Slaine.

"Un alchimiste l'a jadis façonnée pour que deux âmes puissent l'employer. Deux âmes réunies par la destinée devront pour elle se rassembler. Et par l'insensé fracas de son tir, exercer leur vengeance contre l'Empire !"

Au retour de la bataille, il semble bien qu’il n’y ait personne parmi les troupes défaites de l’alliance pour éclairer Nectar, sur le sort de leur commandant en chef : Broz, rejeton mi-ancien mi-humain. Une défaite largement influencée par la trahison de Borba l’Ancien et de sa garnison qui avaient rejoint les rangs de l’Empire. Brisant son épée et plongeant dans les chutes de la Draka, Broz a pourtant échappé au déshonneur de la capture. Et il n’a pas encore accompli son destin : tuer Raspad et rétablir la liberté pour les cinq royaumes. Mais voilà : Raspad s’est allié aux Shlyme et pis encore : son corps en héberge un qui le rend invulnérable aux armes conventionnelles.

En parlant d’armes non conventionnelles, il existe bien une prophétie, celle qui prévoit que deux individus sauront mettre à bas l’empire en usant de l’arme-sœur de l’alchimiste Metalzalim. Une légende sans fondement pour beaucoup. D’autres comme Roza et Dreevo n’ont même jamais entendu parler de cette fable. Et quand ils mettent la main sur un mousquet d’argent dans les quartiers de Metalzalim, c’est en monnaie sonnante et trébuchante que les monte-en-l’air la voient s’incarner, pas en instrument du destin. Bien mal leur en prend...

Liberté pour les cinq royaumes

Il faut lire Broz plusieurs fois avant de mesurer tout son plaisir. C’est souvent le cas quand cela foisonne autant. Pat Mills s’en donne à cœur joie dans un registre d’heroic fantasy au classicisme apparent, mais où son esprit effervescent trouve encore de la place pour la nouveauté et l’humour. Alors on s’amuse du lyrisme de Blago le troubadour, des réparties des uns et des autres, des erreurs de jugement de Shabalyzer l’artificier. On retrouve le souffle épique qui animait Les Chroniques de la lune noire au temps jadis où Ledroit les dessinait encore. Alors nécessairement, l’histoire n’échappe pas à un certain nombre de clichés, Broz tirant insensiblement vers Wismerhill par exemple. Mais on se réjouit pourtant du bestiaire des cinq royaumes : les anciens avec leur allure élancée d’elfes, les mycoïdes avec leur tête de champignon (et leurs "chuintements"), les floraux et leurs attributs arbustifs, les dreevos à la peau d’écorce et aux larmes d’ambre ni les redoutables skazaks aux airs de démons, les gleevas à l’aspect spectrale et aux mortelles spores, etc...

De quoi mettre à l’épreuve les talents graphiques d’un Adrian Smith qui se révèle, dans un cadre BD, beaucoup plus instinctif et fou que dans la "propreté" presque chirurgicale de ses illustrations. On en prend évidemment plein les yeux : les contrées boréales de Smith sont pleines de brume, d’arbres aussi noueux et décharnés que les dreevos qu’ils dissimulent à nos yeux. Les personnages et les scènes de bataille sont rendus avec une énergie inouïe qui fait plaisir à voir. Les pinceaux de Smith dessinent des pages entières de couleurs aux contrastes saisissants et aux tonalités rares.

Seul point regrettable à ce sujet : la qualité de la production des livres eux-mêmes. Contrairement aux couleurs flamboyantes de la plaquette de presse, les couleurs de la couverture et des pages intérieures de l’album sont étrangement fades, presque voilées par une brume bleutée. Il semble bien que la mise au point des couleurs et des tons demeure ce qui pose le plus de problème aux éditions Nickel qui avaient déjà connu des déboires comparables pour le premier tome de Requiem. Gageons que, comme précédemment, ils sauront rectifier le tir au prochain tome.

Le découpage électronique des cases au blanc, comme par des ronces givrées, est un choix original, même si je ne suis pas complètement emballé : quand je vois la qualité des planches de Smith, je me dis que ce genre d’effet était peut-être superfétatoire. Mais on est ici dans le régime de l’excès permanent, alors pourquoi pas ? Une bien belle entrée en matière en tout cas pour ce maître incontesté de l’illustration de fantasy.

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