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Les Clichés de l’histoire - Sacrées sorcières ! par Mélaine Blondin
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Les Clichés de l’histoire - Sacrées sorcières ! par Mélaine Blondin

Diplômée d’un Master en Histoire du haut Moyen Âge à Paris 1, Mélaine Blondin a également une double licence en Histoire et Histoire de l’art. Elle s’est toujours passionnée pour le Moyen Âge et surtout pour ses légendes. Son intérêt se porte notamment sur c’est le médiévalisme, c’est-à-dire la perception du Moyen Âge par les époques postérieures. Sa passion du Moyen Âge se porte également sur tous les aspects de l’époque : elle est consultante pour la startup Médimoinsquart, dans le domaine de la cuisine historique. Elle fait aussi de l’escrime médiévale et de la reconstitution, XVe siècle, Saxons et Vikings !

Elle répond à nos questions sur son article Sacrées sorcières ! dans Les Clichés de l’histoire, les actes du colloque du festival Fest’Ain d’histoire, publiés par l’association Didaskalie, en cours de financement sur Ulule.

Actusf : Qu’est-ce qu’une « sorcière » ? Quels sont les attributs qui la caractérise généralement ?

Mélaine Blondin : Lors des procès de sorcellerie, la définition d’une sorcière peut changer selon les accusateurs : participer au sabbat, l’adoration du diable en sont certains critères. Elle se démarque à la fois physiquement et psychiquement. Au Moyen Âge elle n’est pas toujours marquée physiquement, à l’inverse des siècles suivants qui chercheront des traces de la sorcellerie dans l’apparence, conception gardée ensuite : nez crochu, verrues, vieille, bossue parfois… Elle est aussi habillée différemment : vêtements noirs et chapeau pointu. Des caractéristiques qui empruntent à l’antisémitisme. Elle peut aussi être très belle ou inversement très laide. Enfin psychiquement car elle est dotée de pouvoirs magiques mais aussi d’un esprit mauvais : la sorcière est cupide, méchante, motivée par la colère ou l’envie.

Actusf : À quel moment apparaît pour la première fois cette figure de la sorcière ?

Mélaine Blondin : la figure telle qu’on la connaît (vieille, laide etc.) apparaît au XVIe siècle et dans les productions des siècles postérieurs. Il y a des traces de magiciennes dès l’Antiquité (Circé, Morgane…) et des rituels magiques existent (par exemple chez les Romains avec des prêtresses), mais ils s’inscrivent dans une pratique normalisée de la religion, alors que la sorcière s’inscrit en dehors. Cicéron critique la sorcellerie comme pratique magique qui s’inscrit hors du cadre ritualisé et qui peut nuire à la société. Au Haut Moyen Age, Hincmar de Reims propose l’annulation du mariage sous prétexte de sorcellerie, sans pour autant qu’une figure propre à la sorcière ressurgisse.

Actusf : Quand on dit « sorcière », on pense au moyen-âge ? Qu’est-ce qui fait que l’on associe tout de suite ce terme avec cette période ?

Mélaine Blondin : La sorcière est liée au Moyen Âge, ou plutôt à l’idée que l’on s’en fait. Le Moyen Âge est une période très vaste de presque mille ans, très marquée sur le plan architectural, stylistique aussi, qui a inspiré au XIXe siècle différents courants : l’Art Nouveau, l’Arts and Craft, le romantisme…. C’est une période avec de nombreux clichés, notamment celui des Âges Sombres, terme qui désigne le début du Moyen Âge comme une période fortement marquée par l’obscurantisme. Or il faut être bien imprégné d’obscurantisme pour croire aux sorcières… Certaines œuvres ont aussi ancré les sorcières au Moyen Âge, comme Macbeth et ses sorcières qui évoquent les Nornes. Le Moyen Âge est devenu une période fourre-tout, où l’on peut situer une histoire de fantasy, assez vaste pour que l’on y croit.

Actusf : On pense également aux fameuses chasses aux sorcières. Comment sont-elles apparues ? Qu’est-ce qui les a initiées ?

Mélaine Blondin : Les premières accusations où l’on retrouve les aspects typiques des procès apparaissent dès le XIIIe en Italie du nord. Il s’agit d’un phénomène complexe, l’expression de « chasse aux sorcières » apparaissant facilement dans l’historiographie, mais s’applique plus fin XVIe début XVIIe pour Maxime Gelly-Perbellini car la répression est alors systématique, globalisée, et il y a beaucoup de procès. Elles ne sont pas seulement initiées par l’Église, mais aussi par des tribunaux laïcs qui reprennent la procédure inquisitoire de l’Eglise. Certaines zones sont plus marquées par des procès laïcs, d’autres ecclésiastiques.
J’en profite pour rappeler que les bûchers n’ont pas été systématiques mais qu’ils ont été sur-représentés au cinéma.

Actusf : Et ces chasses aux sorcières ont très vite ciblées exclusivement des femmes. Une façon de les écarter du pouvoir et / ou de raffermir celui des hommes ?

Mélaine Blondin : Oui. Les droits des femmes varient beaucoup au cours de l’Histoire. Dans sa thèse, Maxime Gelly-Perbellini nuance en expliquant que les deux genres ont été visés, certaines régions se focalisant plus que d’autres sur les hommes ou les femmes. On accusait les personnes qui nous gênait : le voisin avec qui on se disputait une parcelle de champs, la femme avec qui on soupçonnait son mari d’adultère. Cependant les livres sur les sorcières, comme le Malleus Maleficarum, qui se veut un manuel du parfait chasseur de sorcière, vise particulièrement les femmes. Et parce que la société est patriarcale, les femmes sont des victimes de choix dans ces procès et les procès de sorcellerie s’inscrivent ainsi dans une logique de domination patriarcale et de moyens de répression et de domination. La femme vieille, isolée, incapable de procréer (donc inutile) était la candidate parfaite.

Actusf : Quand le XIXe siècle arrive, la représentation de la sorcière semble changer un peu.

Mélaine Blondin : Elle change à plusieurs niveaux : on a d’un côté la belle sorcière qui use de ses charmes pour mieux sévir (Morgane) et la repoussante des contes de fées (celle d’Hansel et Gretel). Elle devient plus présente dans la littérature (notamment avec l’écriture de contes, comme ceux d’Andersen ou des Grimm) et la peinture : les tableaux de Waterhouse, la sorcière dans la Reine des Neiges d’Andersen, dans le cycle Le Monde de Narnia de C S Lewis… La Sorcière de Michelet a aussi contribué à caractériser la figure de la sorcière et à l’ancrer dans un imaginaire médiévalisant.

Actusf : Aujourd’hui, l’image de la sorcière a encore évolué. Elle est revendiquée par des courants féministes par exemple.

Mélaine Blondin : de façon plus large, elle est réutilisée dans des courants lifestyle centrés autour de la nature. On en revient de plus en plus au bio : faire pousser son potager, faire ses produits de beauté… autant de gestes qui correspondraient à de la sorcellerie moderne. Des femmes se retrouvent ainsi dans ces gestes, sans pour autant se revendiquer féministes, bien que ce soient les mouvements de luttes pour les droits des femmes qui aient d’abord repris la sorcière comme symbole de la lutte contre le patriarcat. On peut penser au W.I.T.C.H bloc par exemple. Des mouvements queer/LGBT utilisent aussi la sorcière. Cependant il est intéressant de remarquer que la religion de « sorcières » modernes le plus connu, la WICCA, a été créée par un homme, et est aujourd’hui critiquée pour son manque d’inclusivité. Il y a aussi un mouvement pour réhabiliter les « méchantes sorcières », qui deviennent des femmes victimes d’une société patriarcale : notamment Morgane dans les Brumes d’Avalon de Marion Zimmer-Bradley, et Circé dans le livre éponyme de Madeleine Miller.

Actusf : Comment peut-on lutter contre les clichés autour de la sorcière - la réhabiliter ?

Mélaine Blondin : En lisant Les Clichés de l’histoire ! Les clichés viennent de la méconnaissance d’un sujet et de la surabondance de stéréotypes sur ce sujet. Se renseigner, apprendre et déconstruire les stéréotypes petit à petit serait la meilleure façon d’aider la sorcière à avoir meilleure figure. La sorcière est un cliché qui pose particulièrement problème quand on vient à considérer les femmes aujourd’hui comme des sorcières lorsqu’elles ne se conforment pas à la société. Rappelons au passage que dans de nombreux pays des femmes et des hommes sont toujours jugés et condamnés pour sorcellerie : au Burundi, en Inde, au Cameroun…

Vous pouvez commander Les Clichés de l’histoire par ici.

Et vous pouvez réécouter la conférence de Mélaine Blondin, Sacrées sorcières ! Ou comment remiser les vieux balais au placard, pendant l'édition 2018 du festival Fest'Ain d'Histoire.

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