Scientifique de formation, un temps exilé au Japon où la vocation du grand format lui est venue, Jean-Philippe Depotte est la nouvelle pêche miraculeuse de Gilles Dumay. Une divine surprise arrivée sur son bureau par la poste et sur laquelle il parie gros. Car c'est dans un climat de marasme annoncé pour Denoël, que ce premier roman se retrouve propulsé fer de lance de la nouvelle stratégie commerciale de l'auguste maison de la rue du Cherche-Midi. Une sortie hors collection qui a valeur de test et un positionnement qui se trouve matérialisé par cette couverture de Daylon, à l'élégante sobriété. Un véritable exercice d'équilibriste, destiné à séduire l'aficionado tout en décomplexant le mudane, qui doit pouvoir sortir son livre dans le métro sans se faire l'effet d'être un gogol. On sait, hélas, que ces gesticulations marketings s'imposent aujourd'hui, et que les qualités intrinsèques d'un roman ne suffisent plus à lui faire passer le cap de la viabilité commerciale. Et pourtant, de qualités, Les démons de Paris, n'en manque pas.
Silence, on meurt !
C'est dans le silence froid de la morgue de l'Hôtel-Dieu qu'officie Joseph Sterbing. Séminariste à deux doigt de l'ordination, il se consacre déjà à son étrange sacerdoce sous la bienveillante tutelle des sœurs Augustines et la houlette embarrassée de Monseigneur Grabœuf, l'archevêque de Paris. Embarrassée, car la popularité de son jeune protégé est tout à la fois une bénédiction et un danger dans cette France qui vient d'affirmer sa laïcité républicaine. Mais celui que la presse a déjà baptisé "Saint-Joseph des Morts", n'en a cure. Il se contente de cultiver ce pouvoir qui lui a été accordé et d'apporter aux trépassés un dernier réconfort avant le grand voyage. Joseph Sterbing parle aux morts, c'est sa fierté et sa mission, et aujourd'hui, c'est aux victimes de l'attentat du Bazar de l'Hôtel de Ville, qu'il se doit d'apporter son secours. Une douzaine de femmes, tombées sous les balles de ce mitraillage en règle, dernière exaction en date du Grand Khan.
Voilà près de vingt ans que cette énigmatique présence à la main mise sur la pègre parisienne. Insaisissable, confit dans un orientalisme de pacotille, il contrôle les ombres de la capitale, tire les ficelles des moindres trafics et étend son emprise jusque dans les plus hautes sphères de la société, achetant à bon prix une impunité que la populace n'est plus encline à supporter. Ce massacre aveugle à la sortie du grand magasin de la rive droite n'en est que la dernière manifestation, et elle est des plus inopportunes pour la présidente Desnoyelles.
Femme de tête à l'ascension fulgurante, elle s'est hissée contre toute une époque jusqu'aux ors de la République. Elle n'ignore rien des émois suscités par les trafics du Grand Khan, mais pour l'heure, elle doit composer avec la visite surprise du tsar Nicolas II. Le grand ami de la France est désireux de visiter le métropolitain, la flamboyante réussite de l'ingénierie française. Un caprice flatteur, qui n'est pourtant guère dans les manières de ce souverain paranoïaque, menacé par une révolution justement exilée à Paris et qui pousse sa police secrète à imposer à la présidente des conditions de sécurité drastiques. Victoire Desnoyelles le sait, il y a d'autres enjeux. D'autres forces en présence. Ignorées du commun des mortels, infiniment plus dangereuses. Occultes. Des forces qui s'affrontent pour accéder au monde des hommes et poursuivre au grand jour, sous les feux de l'histoire, la lutte séculaire du Bien contre le Mal.
Histoire occulte
Nous sommes ici au cœur de ce que Serge Lehman appelle la "parachronie". Une France parallèle, où les rapports de force se sont insensiblement déplacés pour redéfinir les enjeux ; les décaler juste assez pour ouvrir la voie à l'Imaginaire et au fantastique. Et Jean-Philippe Depotte parvient à merveille à nous emmener dans cet autre début du XXème siècle. On y croise tout ce que le Paris d'alors comptait de personnalités hors-normes : de Papus à Lénine en passant par Fulgence Bienvenüe ou le fameux préfet Lépine, loin ici de ses bonnes œuvres aux fabricants de jouets.
Mais ce défilé de célébrités ne doit pas masquer la formidable inventivité d'une galerie de personnages aux pouvoirs étranges, qui se meuvent dans ce Paris inquiétant. Et c'est là une des grandes forces de Depotte : parvenir à restituer cette atmosphère de merveilleux entre chiens et loups qui colle si bien à l'imaginaire parisien.
Une ambiance savamment crépusculaire, entre parfum à la violette, ozone et souffre. Une belle réussite due essentiellement au sens de l'image qui fait mouche, comme avec cette scène d'introduction, vue par les yeux de deux pandores à pèlerines, factionnaires débordés de l'Hôtel-Dieu, qui nous plongent instantanément dans l'univers du roman. Et si la langue de Jean-Philippe Depotte reste parfois sage comme un bon élève de la Communale, elle est aussi capable de très belles envolées et de trouvailles tout à fait remarquables qui éclipsent sans mal quelques maladresses ou stéréotypes pardonnables. D'autant plus qu'il s'agit ici d'un premier roman. Un premier roman bluffant de maîtrise et riche de promesses pour une future carrière dont on attend beaucoup.
Entre le roman-feuilleton, les errances nocturnes d'un Paris qui se réinvente et l'ambiance délétère d'un début de siècle qui porte déjà en lui les bouleversements qui le traverseront, Les démons de Paris est une réussite incontestable, qui a les épaules pour supporter les risques pris sur son nom par Denoël. Roman populaire et intelligent, direct et bien mené, incontestablement une très agréable surprise dont la morosité ambiante des sorties actuelles ne doit en rien diminuer le mérite.
Silence, on meurt !
C'est dans le silence froid de la morgue de l'Hôtel-Dieu qu'officie Joseph Sterbing. Séminariste à deux doigt de l'ordination, il se consacre déjà à son étrange sacerdoce sous la bienveillante tutelle des sœurs Augustines et la houlette embarrassée de Monseigneur Grabœuf, l'archevêque de Paris. Embarrassée, car la popularité de son jeune protégé est tout à la fois une bénédiction et un danger dans cette France qui vient d'affirmer sa laïcité républicaine. Mais celui que la presse a déjà baptisé "Saint-Joseph des Morts", n'en a cure. Il se contente de cultiver ce pouvoir qui lui a été accordé et d'apporter aux trépassés un dernier réconfort avant le grand voyage. Joseph Sterbing parle aux morts, c'est sa fierté et sa mission, et aujourd'hui, c'est aux victimes de l'attentat du Bazar de l'Hôtel de Ville, qu'il se doit d'apporter son secours. Une douzaine de femmes, tombées sous les balles de ce mitraillage en règle, dernière exaction en date du Grand Khan.
Voilà près de vingt ans que cette énigmatique présence à la main mise sur la pègre parisienne. Insaisissable, confit dans un orientalisme de pacotille, il contrôle les ombres de la capitale, tire les ficelles des moindres trafics et étend son emprise jusque dans les plus hautes sphères de la société, achetant à bon prix une impunité que la populace n'est plus encline à supporter. Ce massacre aveugle à la sortie du grand magasin de la rive droite n'en est que la dernière manifestation, et elle est des plus inopportunes pour la présidente Desnoyelles.
Femme de tête à l'ascension fulgurante, elle s'est hissée contre toute une époque jusqu'aux ors de la République. Elle n'ignore rien des émois suscités par les trafics du Grand Khan, mais pour l'heure, elle doit composer avec la visite surprise du tsar Nicolas II. Le grand ami de la France est désireux de visiter le métropolitain, la flamboyante réussite de l'ingénierie française. Un caprice flatteur, qui n'est pourtant guère dans les manières de ce souverain paranoïaque, menacé par une révolution justement exilée à Paris et qui pousse sa police secrète à imposer à la présidente des conditions de sécurité drastiques. Victoire Desnoyelles le sait, il y a d'autres enjeux. D'autres forces en présence. Ignorées du commun des mortels, infiniment plus dangereuses. Occultes. Des forces qui s'affrontent pour accéder au monde des hommes et poursuivre au grand jour, sous les feux de l'histoire, la lutte séculaire du Bien contre le Mal.
Histoire occulte
Nous sommes ici au cœur de ce que Serge Lehman appelle la "parachronie". Une France parallèle, où les rapports de force se sont insensiblement déplacés pour redéfinir les enjeux ; les décaler juste assez pour ouvrir la voie à l'Imaginaire et au fantastique. Et Jean-Philippe Depotte parvient à merveille à nous emmener dans cet autre début du XXème siècle. On y croise tout ce que le Paris d'alors comptait de personnalités hors-normes : de Papus à Lénine en passant par Fulgence Bienvenüe ou le fameux préfet Lépine, loin ici de ses bonnes œuvres aux fabricants de jouets.
Mais ce défilé de célébrités ne doit pas masquer la formidable inventivité d'une galerie de personnages aux pouvoirs étranges, qui se meuvent dans ce Paris inquiétant. Et c'est là une des grandes forces de Depotte : parvenir à restituer cette atmosphère de merveilleux entre chiens et loups qui colle si bien à l'imaginaire parisien.
Une ambiance savamment crépusculaire, entre parfum à la violette, ozone et souffre. Une belle réussite due essentiellement au sens de l'image qui fait mouche, comme avec cette scène d'introduction, vue par les yeux de deux pandores à pèlerines, factionnaires débordés de l'Hôtel-Dieu, qui nous plongent instantanément dans l'univers du roman. Et si la langue de Jean-Philippe Depotte reste parfois sage comme un bon élève de la Communale, elle est aussi capable de très belles envolées et de trouvailles tout à fait remarquables qui éclipsent sans mal quelques maladresses ou stéréotypes pardonnables. D'autant plus qu'il s'agit ici d'un premier roman. Un premier roman bluffant de maîtrise et riche de promesses pour une future carrière dont on attend beaucoup.
Entre le roman-feuilleton, les errances nocturnes d'un Paris qui se réinvente et l'ambiance délétère d'un début de siècle qui porte déjà en lui les bouleversements qui le traverseront, Les démons de Paris est une réussite incontestable, qui a les épaules pour supporter les risques pris sur son nom par Denoël. Roman populaire et intelligent, direct et bien mené, incontestablement une très agréable surprise dont la morosité ambiante des sorties actuelles ne doit en rien diminuer le mérite.