- le  

Nous allons tous très bien, merci

Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 14/09/2017  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

Nous allons tous très bien, merci

Daryl Gregory

Daryl Gregory est un auteur américain né à Chicago, auteur de nouvelles, de romans, de bandes dessinées, croisant SF, fantasy, genre horrifique. Ses scénarios de comics ont pour sur sujet Dracula, la Planète des Singes…

We Are All Completely Fine
(Nous allons tous très bien, merci) a été publié aux États-Unis chez Tachyon Publications en 2014, obtient le Prix Shirley Jackson du meilleur roman court 2014 et le prix World Fantasy du meilleur roman court 2015. Au moment de l’écriture, Daryl Gregory partageait la vie d’une psychologue qui lui a fait découvrir les romans d’Irvin Yalom, expert en thérapie de groupes. Dans ce court roman, Daryl Gregory mêle horreur et fantastique, références à de grands films, mythes ou romans du genre, montre « le processus thérapeutique » appliqué à des « victimes de traumas surnaturels ».

En France, nous lui devons :
L’Éducation de Stony Mayhall [Raising Stony Mayhall, 2011] (Le Bélial’, 2014)
Nous allons tous très bien, merci [We Are All Completely Fine, 2014] (Le Bélial’, 2015)
After Party [2014] (Le Bélial’, 2016)
Harrison au carré [Harrison Squared, 2015] (Le Bélial’, prévu pour 2018).

Site de l'auteur 

Une thérapie après un traumatisme ancien

Cinq personnages réunis dans une salle de thérapie, les regards se croisent, des gestes maladroits sur les chaises, les lèvres hésitent. Un médecin psychiatre, Dr Sayer, écoute et attend que chacun parle de ce dont il a été victime. Ils sont tous des rescapés de l’horreur : un vieillard mutilé en fauteuil roulant, une femme qui a subi les excentricités créatrices d’un certain Scrimshander, un homme dont l’histoire sinistre a fait l’objet d’un roman, une femme étrange que le plus jeune du groupe soupçonne d’être un intrus. Ils vont prendre la parole un à un, dévoiler à leur rythme des pans de leur passé, reconstituer les lambeaux pour leur donner un sens et accéder à une vérité qui les relie tous. Ils ont chacun des secrets à révéler, un cauchemar à surmonter ensemble. Ils ne sont pas assis sur ces cinq chaises par hasard.

Une chaise à part : une écoute intense 
 
Avec moins de deux cents petites pages, Nous allons tous très bien, merci est un roman court mais intense. Confortablement (ou non) assis sur une chaise en bordure de salle, le lecteur pénètre aisément dans cette histoire qui évoque horreurs indicibles et terribles sévices passés, sans être lui-même projeté dans une horreur qui donnerait la nausée.

C’est là un des traits remarquables du roman. Parler de grands traumatismes sans jamais rien faire subir au lecteur. Si les personnages ont vécu, dans le passé, l’insoutenable, la lecture n’a elle absolument rien d’insoutenable, ni même de véritablement angoissant. Le lecteur adopte naturellement le point de vue extérieur, presque professionnel, et attentif du Dr Sayer. Le style lui-même est sobre, efficace, les évocations du passé sont subtiles, l’auteur (et l’on en remercie) préfère suggérer les événements. Un point à souligner : nul besoin d’aimer les films d’horreur ou d’être coutumier du genre pour apprécier le livre.

Les personnages ne parlent pas d’un traumatisme récent. Le temps aidant, ils ont pu se reconstituer en partie, apprendre à recouvrer la parole, parfois faire la paix, du moins en apparence, avec ce qu’ils ont subi. La réserve de chacun est assez rapidement surmontée, les histoires nous sont vite révélées par bribes. Comme le confie Daryl Gregory à la fin du livre lors d’un entretien, il s’intéresse aux conséquences du traumatisme. Et pas seulement, car l’après revivifie un avant qui resurgit réellement au cours du livre.

Subtilité, immersion dans le récit

L’auteur parvient avec subtilité à dévoiler la psychologie des personnages et à laisser entrevoir leur passé. Des fragments de souvenirs à reconstituer qui ne s’emboîtent pas tout à fait, un passé de  nature indicible qui conserve ses mystères. L’expérience des personnages est si peu commune qu’elle frôle à plusieurs reprises le surnaturel (celui-ci prenant le dessus vers la fin). Certains d’entre eux semblent perdus dans une forme de fiction de la réalité et ont développé une vision complètement hallucinée du monde (Martin, avec ses lunettes si particulières ; les Sœurs et Greta). Les noms aussi sont dotés d’un sens métaphorique : le Dr Sayer, les Weaver…

Une autre force du roman : l’immersion. Moins de deux cents pages, l’impression d’en lire plus. Les fragments manquants du puzzle sont à lire entre les lignes, font l’objet de suppositions et d’une histoire sous-jacente imaginée par le lecteur. L’attention du lecteur est maintenue car Daryl Gregory suggère, sans jamais développer jusqu’au bout.

Le roman est fondé sur une alternance de points de vue avec un usage assez récurrent d’un « nous » désignant le groupe de thérapie. Un moyen également d’inscrire la thérapie dans un questionnement universel et d’inclure le lecteur dans l’expérience.

Une seconde partie moins satisfaisante

La fin du roman, qui bascule dans un versant plus fantastique, est un peu décevante compte tenu des promesses initiales. Au lieu de s’ouvrir sur une menace universelle comme le suggérait la quatrième de couverture (éditions Pocket, 2017), l’histoire s’enferme dans le cercle restreint des personnages. Psychologie et mystère dans un premier temps, action et faits concrets dans un second : le premier couple était plus intéressant. La révélation du lien qui unit les personnages ne produit pas tout à fait l’effet voulu. Elle signe le début d’une déception qui persistera jusqu’à la fin du roman. Sans compter le trop grand nombre de questions qui restent en suspens et beaucoup de détails prometteurs qui s’avèrent finalement assez anecdotiques. Le personnage d’Harrison en particulier aurait mérité un plus ample développement. Premier personnage individuel que le lecteur suit, il reste le plus mystérieux des cinq. L’auteur envisage d’écrire d’autres romans à son sujet, outre le Harrison Squared (Harrison au carré) publié en 2015 pour un public de neuf à douze ans (Harrison adolescent qui part à la recherche de sa mère et rencontre des créatures surnaturelles dans un monde lovecraftien).

Une fois la dernière page tournée, on risque de fermer le livre avec une certaine distance : la force du récit ne nous aura retenu que le temps de la lecture.

Quoi qu’il en soit, l’entretien final avec l’auteur est riche d’informations et achève de mettre un point final à l’« expérience ». Le lecteur a un peu le sentiment d’avoir vu les coulisses d’une mise en scène, mais quitte le roman avec un sourire.

La couverture

Que ce soit en grand format (2015) ou en poche aux éditions Pocket (2017), la représentation des chaises de la salle de thérapie correspond à l’idée originale de Daryl Gregory. Une couverture efficace et distincte de l’édition américaine (centrée sur un fragment de visage vu de profil) [Tachyon Publications]. Si la couverture des éditions Pocket est plus inquiétante et réaliste, on appréciera dans la couverture grand format (Le Bélial’, 2015), la présence de racines évoquant une toile ou un filet, rappelant métaphoriquement la nature insidieuse du carcan traumatique, mais aussi la tâche du Dr Sayer qui essaie de tirer les fils du passé, étroitement liés à l’histoire des Weaver…  

Nous allons tous très bien, merci est donc un roman court mais dense, à lire pour quiconque cherche une expérience intense le temps de la lecture. Il suffit simplement de tirer une chaise.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?

{{insert_module::18}}