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Nous disparaissons

Olivier Fontvieille (Illustrateur de couverture), Scott Heim ( Auteur), Christophe Grosdidier (Traducteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 15/01/2009  -  livre
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Nous disparaissons

Natif du Kansas (Hutchinson) et né en 1966, Scott Heim avait impressionné son monde avec Mysterious Skins (Au Diable Vauvert, 2005 [1995], adapté à l’écran en 2004 par Gregg Araki), récit, dont on sortait abasourdi, des destins croisés de deux garçons victimes d’un entraîneur de baseball pédophile. Également publié aux éditions du Diable Vauvert, Nous disparaissons est son troisième roman (In Awe, 1997, est toujours inédit en français).

Scott, gay new-yorkais et trentenaire, écrivain pour enfants chez Pen and Ink et accro à la méthamphétamine (et aux somnifères), retourne dans son Kansas natal pour s’occuper de sa mère atteinte d’un lymphome en phase terminale, et dont l’obsession pour les disparitions d’enfants, qu’il partageait jadis avec elle, prend des proportions qui ne laissent pas d’inquiéter pour sa santé mentale. Donna prétend en effet avoir disparu une semaine complète au cours de son enfance. À la stupeur de ses proches incrédules, elle affirme aujourd’hui savoir ce qui s’est passé… Mais pourquoi donner de cette histoire plusieurs versions, selon qu’elle est évoquée avec son fils ou son amie Dolorès ?... Qui est cet adolescent, séquestré volontaire, découvert dans sa cave ? Et pourquoi les visages, sur les photos d’enfants disparus collectionnées par Donna, ressemblent-ils-ils tant à Scott ou à elle-même au même âge ?... Sans en connaître les règles, et parce qu’il sait, quoi qu’elle en dise, qu’elle n’a plus que quelques semaines à vivre, Scott va néanmoins rentrer dans le jeu de Donna, comme autrefois, et tenter de découvrir la vérité.

À peine moins plombant que Mysterious Skin, Nous disparaissons ressasse les mêmes thématiques (absence du père, enfance volée, poids du passé, drogue, homosexualité…), et en reproduit même certains motifs (la région d’Hutchinson ; la mère, employée au pénitencier ; le départ de la sœur pour l’université, la prostitution au parc Carey). Mais le personnage de la mère et sa mort annoncée écartent peu à peu en périphérie ces ruminations complaisantes (exhibition des plus sordides aspects de la vie américaine, auto-apitoiement du narrateur, alter ego de l’auteur), jusqu’à les occulter et les dépasser dans un final réussi qui sauve in extremis le roman, jusque là tristounet et sans surprise, de l’indifférence.

La mort n’est pas la fin

C’est aux derniers instants de sa mère, lorsque, miné par le chagrin, la fatigue et le manque, Scott voit le réel et l’imaginaire s’interpénétrer en d’étranges hallucinations (le garçon aux identités multiples du parc), qu’il paraît enfin entrevoir le sens de ses extraordinaires et improbables aveux : ce qui importe vraiment (et l’on pense aux romans de Fabrice Colin, Kathleen ou La Mémoire du vautour) n’est pas que Donna ait été kidnappée ou pas par un couple de vieux fermiers. L’important n’est pas que ce soit réel. L’important, c’est que ce soit vrai. L’important, c’est qu’au crépuscule de sa vie cette histoire lui survive, qu’elle se mue en personnage, fût-ce de fiction, pour exister encore et résister à l’effacement… L’important, puisque les enfants que nous étions tous disparaissent irrémédiablement dans les limbes du temps, c’est de les faire renaître, comme autrefois, quand ensemble Scott et Donna réinventaient la vie quotidienne des jeunes disparus… L’important, c’est que cette révélation pourrait bien arracher Scott, lui aussi, à une déchéance apparemment inéluctable – autant dire à son propre effacement.

Dommage alors qu’il ait fallu attendre les ultimes chapitres pour que l’imagination, cet enjeu crucial, reprenne véritablement ses droits et transfigure l’événement – la mort d’un proche. Mais l’on devine enfin quel lien indéfectible unissait la mère et le fils, mutuellement sauvés de l’oubli. Sans doute était-ce d’ailleurs le projet même de ce livre, dédié à la mère de l’auteur : lui rendre le plus bel hommage qui soit, la métamorphose romanesque. Semblable, à bien des égards, à Mysterious Skin, lui aussi construit autour d’un événement enfoui dans les recoins obscurs de la mémoire d’un personnage, Nous disparaissons s’en démarque ainsi pleinement : si dans le premier il s’agissait pour Brian d’ôter le voile (comprendre qu’il n’avait pas été enlevé par des extraterrestres, mais abusé par un homme pervers), d’accepter son passé dans sa réalité la plus crue pour enfin devenir adulte, il s’agit cette fois, au contraire – en dépit des derniers mots du roman, très ambigus (« Comme ça serait réconfortant, après toutes ces années, de connaître la vérité. La délivrance. La paix absolue qui l’accompagne. »)  –, de jeter de nouveaux voiles, afin de renaître et d’exister encore un peu. Dépressifs s’abstenir.

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