Présenter Norman Spinrad relève d’une gageure pour le critique qui se souvient du jeune fan qu’il a été et qui ne jurait que par l’auteur de Jack Barron et l’éternité. Iconoclaste (il a ainsi écrit un roman de fantasy en imaginant qu’Hitler en était l’auteur), critique acéré de l’Amérique et de ses travers, fou de rock (on lui Rock Machine), dialoguiste extrêmement savoureux, Norman Spinrad sait aussi aller là où on ne l’attend pas : on lui doit ainsi L’enfant de la fortune, un space opera très réussi. Son dernier opus, Police du peuple est situé en Louisiane, pays natal du Jazz et du Zydeco, après Katrina et après la montée du dollar (c’est dans combien de temps ?). Spinrad, disons-le tout de suite, sera fidèle à lui-même.
Vaudou et flic story
Le climat se détériore, le dollar monte, les financiers de Wall Street ordonnent des saisies immobilières… Et la Nouvelle-Orléans rechigne : les flics de la ville (réputés pour être les plus corrompus et les plus inefficaces de tous les États-Unis) refusent de procéder aux expulsions : ils choisissent comme porte-parole un officier nommé Luke Martin, issu des quartiers très pauvres du marais. Parallèlement, une chanteuse de rue nommée Marylou se sent de plus en plus possédée par les loas, les esprits vaudou de la ville : ceux-ci veulent sauver la ville où les esclaves africains les ont amenés. Arrive un tenancier de bar, souteneur à ses heures, Jean-Baptiste Lafitte, qui saura à terme fédérer ces énergies contre les pisse-froid de Bâton-rouge et surtout les grands financiers de Wall Street : la police du peuple est née et les esprits vaudou sont avec elle… jusqu’à quand ?
Power to the people !
Norman Spinrad n’est jamais autant à son aise que lorsqu’il associe les contraires, ici les flics et les macs (voire les sorcières) contre l’ordre établi. En cela, il reste un héritier de la contre-culture des années 1960, fidèle aussi à une certaine fibre populaire (mais jamais populiste) et prêt à se dresser contre des élites puritaines et pisse-froid, même si l’individu recèle toujours des surprises (ainsi du personnage du colonel Terrence Hathaway, chrétien plutôt fondamentaliste mais bon au fond de lui). Ainsi Spinrad ne sera jamais l’homme d’un système (il a toujours rejeté toutes les idéologies en –isme) mais sera toujours l’homme de la révolte, tranquille et joyeuse (sans exclure la colère) : elle transparaît ici dans sa description d’une Louisiane "éternelle" (incluant ses esprits vaudou, c’est très savoureux) meurtrie par les crises économiques et la rapacité des financiers de Wall Street. Police du peuple constitue donc une réussite, loin de l’ennui de certains des ouvrages de l’auteur (comme par exemple Deus ex et une bonne moitié d’En direct) et prouve l’intérêt de l’anticipation spinradienne, qui nous interroge avec une pertinence jamais démentie sur notre présent.