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Thinking Eternity

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 16/09/2016  -  livre
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Thinking Eternity

Les éditions Mnémos rééditent en petit format Thinking Eternity, publié en 2014, le second roman SF de Raphaël Granier de Cassagnac. Un second qui aurait pu être le premier, puisqu’il se situe avant son précédent roman post-apocalyptique Eternity Incorporated (2011), où l’humanité s’était réfugiée dans une ville-bulle. Dans ce nouveau tome, l’auteur nous décrit le cataclysme qui conduit tout droit l’Homo sapiens du XXIe siècle vers la catastrophe.

L’auteur, directeur de recherche en physique des particules, ne nous noie pas du tout dans l’antimatière, ni dans un plasma de quarks et de gluons, il propose plutôt de la hard science convaincante, en convoquant aussi bien les derniers avatars de l’intelligence artificielle, des immersions virtuelles que de l’économie numérique.


Science avec ou sans conscience…


La fratrie Eckard est douée pour la recherche : Adrian est un éminent biologiste et Diane une experte en neuro-informatique. Pourtant leurs destins vont basculer quand Adrian est victime d’un attentat chimique dans le métro parisien. Il en réchappe de justesse, mais il perd ses yeux et se remet totalement en question. Il peut heureusement bénéficier d’une greffe oculaire cybernétique, qui lui permet de retrouver une vie normale. Il décide alors de parcourir l’Afrique pour enseigner la science à des populations qui n’ont pas accès au savoir scientifique. Son prosélytisme a un effet inattendu : en prêchant la bonne parole du savoir, il crée sans le vouloir un mouvement, le Thinking, qui va se répandre dans le monde entier. Il s’accommode mal de ses traits religieux et d’un certain culte de la personnalité, mais cet élan conceptuel et spirituel va révolutionner la perception des sciences dans le monde.

De son côté, Diane présente sa thèse et travaille à l’évolution de son intelligence artificielle virtuelle, Artémis. Elle se voit aussitôt recrutée par la société philanthropique Eternity Incorporated (cf. l’autre tome de l’auteur), pour accélérer certaines recherches pour le bien-être de l’humanité et notamment sur l’immortalité. En dépit de quelques obstacles théoriques, ces travaux débouchent sur les progrès rapides dans l’évolution des I.A. et sur l’émergence de consciences artificielles. Elle ne sait pas encore tout ce qui se cache derrière Eternity Incorporated, mais son ascension dans la société va lui faire découvrir des avancées technologiques qu’elle ne soupçonnait pas.

Elle aura, dès lors, besoin de son frère pour déjouer certains plans machiavéliques qui menacent l’humanité. Oui, mais voilà, il est mort…

Thinking Transhumanism

Voici un roman qui fleure bon son transhumanisme : les progrès dans les technologies de l’intelligence (biologie du cerveau comprise) provoquent un changement radical, une rupture dans le rythme de croissance des technologies (la singularité) qui transforment l’humain. Ou qui le détruisent. Nous assistons, en accéléré, sur plusieurs années, à la progression de ces technologies et à leur emprise progressive sur l’humanité. Progression d’autant plus rapide que la fièvre du Thinking s’est répandue sur la Terre, y compris dans les pays les plus pauvres.

Or, que nous dit Raphaël Granier de Cassagnac ? Que la science, toujours menacée de nos jours par l’obscurantisme, est un des lauriers de l’intelligence humaine, que son développement est inéluctable si elle trouve ses vrais pédagogues et si l’humanité est éclairée. Mais que cette science est une source de destruction, d’auto-destruction en quelque sorte, si elle est pratiquée par de petits (mais richissimes) groupes occultes. Il suffit, en effet, d’une percée technologique (intelligences artificielles, consciences artificielles, hommes augmentés, doubles numériques ou hybridations homme-machine) pour que les détenteurs de ce pouvoir, humains ou non, l’utilisent contre l’humanité. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, c’est la leçon qu’avait tirée la SF du potentiel de destruction nucléaire (une majorité d’apocalypses étant résolument nucléaire). Ce qui change aujourd’hui (cf. le best-seller de Dan Brown, Inferno, où un virus ciblé rend les hommes infertiles, mais les biotechnologies permettraient d’atteindre et de supprimer n’importe quelle cible privilégiée sur le plan génétique), c’est que l’apocalypse technologique (non naturel) peut venir de partout. Pour Raphaël Granier de Cassagnac, dans ce roman, il peut venir des progrès dans l’intelligence synthétique.

Mais l’ouvrage serait moins intéressant s’il ne nous proposait pas des pistes de solution : la transparence et la diffusion de la science. Moins l’humanité sera « éveillée aux sciences », plus elle pourra être manipulée. Plus les sociétés à haute intensité technologique seront dirigées par un petit cercle fermé et cacheront leurs objectifs au public, plus elles pourront tirer parti d’une percée technologique majeure, au détriment de l’humanité. Les références à Google, Facebook, etc. sont explicites : ces « sociétats » pourraient à l’avenir réclamer un territoire, leur indépendance et un siège à l’ONU. Il y a donc urgence, en des temps où des laboratoires ou des groupes industriels ou technologiques peuvent semer le bien-être comme la terreur, à réformer notre société. Même Diane, au cœur du dispositif de recherche d’Eternity Incorporated, est impuissante à endiguer le pire.
L’autre débat fructueux du roman est celui du dépassement de l’humain par les êtres artificiels (le terme de machines n’est pas adapté, car les I.A. sont pour la plupart virtuelles). L’auteur n’est pas le seul à pronostiquer la défaite de l’intelligence humaine (qui est aussi, ironie du sort, sa victoire). Les récentes performances d’Alphago (DeepMind) contre le champion du monde de go sont à elles seules édifiantes. D’un point de vue post-humain, ce qu’il conjecture, c’est que l’humanité sera dépassée avant de s’être hybridée. Les prothèses, comme celles d’Adrian, ou la connexion directe de Diane à ses mondes virtuels de recherche ne permettent pas de transformer le cerveau humain assez vite. Les intelligences artificielles, dotées de possibles consciences, iront trop vite pour nous. Et notre sort sera donc confié à l’intelligence électronique avant que notre propre intelligence ne s’étende. En témoignent les formidables capacités d’apprentissage des I.A. actuelles, acquises à la tétine du big data et du traitement parallèle des processeurs…

Sur le plan SF, un roman contemporain, documenté, intelligent, où le rythme d’évolution des technologies devient le métronome de la fin du monde.

Sur le plan littéraire, le récit est construit comme une mosaïque de témoignages, où chaque personnage s’exprime à la première personne. Chaque chapitre, court, est organisé autour d’un lieu, en général, d’une ville. L’ensemble des chapitres couvre une bonne partie du globe (la science est mondialisée). Au-delà des deux héros, plusieurs personnages se greffent autour du frère et de la sœur : les compagnons de route d’Adrian, qui construisent le Thinking dans son sillage, les employeurs de Diane ou des journalistes. C’est leur point de vue qui est privilégié. Ce kaléidoscope ne fait pas perdre le fil de l’histoire au lecteur. Les phrases sont simples. La narration est limitée à des monologues ou des dialogues. Pas de grand talent littéraire, donc, mais un récit efficace. À la fin du roman, comme dans les best-sellers américains, le rythme s’accélère.

Un bon roman sur la marche accélérée de l’humanité vers les technologies de l’intelligence et vers sa propre perte. Un coût élevé à payer pour l’immortalité… 

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