Actusf : Un changement de diffuseur, un nouveau site Internet, le changement c'est maintenant chez vous :-) Pourquoi avoir changé de diffuseur ? L'arrivée d'un livre en librairie dépend-il de l'équipe commerciale qui le défend ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Nous étions de plus en plus mécontents de notre diffuseur, qui était toujours plus fort pour nous donner des leçons que pour faire le boulot, et du distributeur, de plus en plus coûteux et administratif, bref deux entreprises qui vivent surtout sur le dos des petits éditeurs mais ne donnaient plus guère de résultats. Il était vraiment grand temps que nous changions d'air.
Oui, l'arrivée d'un livre en librairie dépend absolument du travail de la "force de vente", c'est-à-dire l'équipe de représentants. Un livre, il est en premier lieu vendu aux libraires : encore faut-il pour cela que l'équipe commerciale soit motivée et compétente. Sans quoi on peut perdre pied très vite.
Actusf : Parlons de votre programme. L'un de vos premiers titres en cette rentrée, c'est Hercule Poirot, une vie que tu cosignes avec Xavier Mauméjean. Comment est née l'idée de ce livre ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Cette collection, la "bibliothèque rouge", arrivait un peu en fin de projet et Mauméjean a eu l'idée d'une formule encore plus fermement ancrée dans le contexte historique, géographique et littéraire : vraiment de "vraies" biographies. On a ainsi totalement réécrit notre Sherlock Holmes, j'ai refait mon Arsène Lupin, et fort logiquement il restait à revenir chez Hercule Poirot. L'idée est donc d'inscrire le détective dans son temps, afin de peindre un portrait à la fois d'Hercule Poirot et de son monde, en particulier l'Angleterre de l'entre-deux-guerres. Nous nous tenons de cette manière autant dans l'étude littéraire que dans le panorama historique.
Actusf : Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce personnage au point d'avoir envie de faire une sorte de biographie ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Les grands héros, on a vraiment l’impression qu'ils existent. Lorsque nous avions travaillé sur Hercule Poirot une première fois, il y a quelques années, sa présence, son réalisme nous avaient sidérés. Il y a chez ce personnage exactement ce qui est nécessaire à cet "effet de réel" que nous cultivons.
Actusf : Qu'est-ce qui le distingue des autres détectives de la littérature ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Il est rond ! Net, entier, à la fois bon et implacable, mais aussi d'une immense solitude, il ne ressemble à aucun autre. Nous développons un peu dans le livre ce qui en fait un personnage aussi à part...
Actusf : Autre ouvrage, Créatures ! d'Amandine Prié & Joël Bassaget. Les deux auteurs se sont intéressés à l'univers de la télévision. Qu'est-ce qui vous a séduit aux Moutons dans le projet ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Après Génériques ! qui abordaient l'industrie de la production sérielle par la bande, nous avions envie de développer d'autres titres du même type. En attendant Joypads ! qui abordera, avec une démarche similaire, le monde des jeux vidéos à travers une étude de l'évolution des manettes, Créatures ! s'intéresse aux monstres des séries télé. L'occasion, au gré d'une quinzaine de portraits (des fantômes aux zombies, en passant par les vampires, les robots ou les extraterrestres), de (re)découvrir des séries cultes ou oubliées, tout en réfléchissant à la manière dont la télévision a adopté ces êtres inquiétants, les a adaptés à ses besoins, objectifs, moyens et méthodes. Replacées dans leur contexte de productions, ces créatures témoignent des mentalités d'une époque et de leur évolution. On y comprendra par exemple que, malgré les apparences, Ma sorcière bien aimée est une série foncièrement féministe...
Actusf : Le 15e numéro de la revue Fiction arrivera en librairie fin octobre. Comment se porte la revue ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Elle est stable, ce qui signifie qu'elle n'enregistre pas d'érosion particulière mais demeure trop chère à produire, un peu trop luxueuse pour son niveau de vente. Nous allons donc lancer une autre formule à partir du tome 16, qui marquera le soixantième anniversaire de la revue. Une formule textuellement plus touffue encore, mais en abandonnant la partie graphique, qui migre vers un très beau volet web en cours de construction.
Actusf : Que pourra-t-on trouver au sommaire ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Du beau linge, bien sûr ! Sylvie Denis, Sara Doke, Cédric Ferrand et Tim Rey pour les francophones ; et notamment, dans les Anglo-saxons, le retour de notre "chouchou" Jeffrey Ford, et puis Paolo Bacigalupi, Alex Irvine, un fort étrange Peter S. Beagle, Geoff Ryman... Le sommaire est plein à craquer !
Actusf : À la poursuite de Dracula est un ouvrage dont on a beaucoup parlé en raison de l'opération de financement du voyage des deux auteurs. Comment est née cette aventure ? Et est-ce que cela vous a apporté un plus en tant qu'éditeur, ne serait-ce qu'en terme de visibilité ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Cette opération de financement provenait des deux auteurs, qui avaient nécessité de couvrir leurs importants frais de voyage. Il m'est donc difficile de savoir si cela nous a servis, en tant qu'éditeur, niveau visibilité, mais en tout cas je suis épaté par une telle réussite ! Et notre nouveau diffuseur, Harmonia Mundi, a bien mis en avant ce titre donc nous espérons qu'il va séduire beaucoup de monde. Au moment où je tape ces lignes, je viens de recevoir le tout premier exemplaire et, franchement, il est encore plus beau que nous le pensions (l'imprimeur ayant réalisé un ravissant gaufrage sur le carton de couverture, qui n'était pas prévu - la surprise aurait pu être désastreuse, elle s'avère au contraire délicieuse).
Actusf : En janvier sort Porcelaine d'Estelle Faye. Qui est cette jeune auteure et quoi parle son livre ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Estelle Faye a été découverte par Xavier Mauméjean, qui devait publier ce roman chez Mango. Cet éditeur ayant abandonné plusieurs collections, Xavier nous a proposé le manuscrit — et nous sommes un peu tombés en pâmoison : c'est un grand, très grand début d'auteur ! Elle va publier en novembre son premier titre jeunesse, chez le Pré aux Clercs, et pour notre part nous sommes aux anges de publier cette belle Légende du tigre et de la tisseuse, une fantasy qui se déploie dans la Chine ancienne... Tiens, je vais citer un mot d'appréciation de la directrice de notre diffuseur, ça vous donnera une idée du talent d'Estelle Faye, et de l'enthousiasme qu'elle soulève : "Je suis envoûtée par l’ampleur de l’histoire et du style de cette jeune écrivaine. Elle a le don des mots, une écriture à la fois lyrique et modeste, c’est un plaisir."
Actusf : Quels sont vos autres titres à venir ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Eh bien, entre autres, un essai impertinent, érudit et drôle d'Alex Nikolavitch sur les Apocalypses ! (en novembre). Un recueil de onze nouvelles de western fantastique, Lee Winters, shérif de l'étrange par Lon T. Williams, du pulp tardif jamais réunit en VO, aussi réjouissant que des épisodes des Mystères de l'Ouest (en février). Deux gros "bibliothèque rouge" consacrés à des portraits de Londres et de Paris à travers leur littérature et leurs héros (en mars)... Plein de belles et bonnes choses, quoi. Et fin août, le nouveau roman de Jean-Philippe Jaworski, premier tome d'une trilogie !
Actusf : Un petit mot sur le numérique. Vous lancez vos premiers titres en cette rentrée avec l'idée d'en avoir une quinzaine à la fin d'année. Quelle sera votre politique et quels seront vos premiers titres diffusés ?
André-François Ruaud et Julien Bétan : Nous avons étudié de très près la fabrication des epubs, pour obtenir des fichiers compatibles au maximum et d'une propreté aussi irréprochable que possible. Et nous allons peu à peu numériser notre catalogue, à commencer par Janua Vera et Gagner la guerre de Jaworski, Monty Python ! de Patrick Marcel, Wastburg de Cédric Ferrand, Tancrède d'Ugo Bellagamba, et une compilation de trois petits polars médiévaux de Nicolas Le Breton, La Geste de Lyon. Tout cela est déjà disponible, et nous voulons maintenir des prix pas trop élevés – en moyenne vers les 6 euros.
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