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ITW Etienne Barillier
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ITW Etienne Barillier

Actusf : Comment avez-vous rencontré ce genre et qu’est-ce qui vous attire dans le Steampunk ?
Etienne Barillier : C’est une question que je me suis posée à de multiples reprises ! Je pense que comme ceux de ma génération, j’ai découvert le steampunk bien avant que l’on sache que c’était du steampunk ! Comment ne pas penser aux Mystères de l’ouest ? Mais aussi à son adaptation en bande dessinée qui paraissait dans Télé Junior ! Ou encore la seule série télévisée qui est la digne héritière des aventures de James West et Artemus Gordon, Les aventures de Brisco County, avec l’inénarrable Bruce Campbell. Bien évidemment, j’ai lu les Voies d’Anubis de Tim Powers, les premiers romans de Fabrice Colin et Johan Heliot.

Le steampunk m’attire aussi bien pour son esthétique que pour le rythme de l’aventure qu’il autorise. J’y retrouve aussi bien le plaisir du sens of wonder que le pétillement de l’uchronie. Le steampunk est également une forme suffisamment souple pour accueillir des variations passionnantes, allant de la fantasy à la science-fiction.  
 
Actusf : Comment avez-vous conçu et travaillé sur le livre ? Pourquoi l’avoir fait ?
Etienne Barillier : Le livre est publié dans la « Bibliothèque des miroirs » des Moutons électriques. La collection regroupe des essais thématiques. Il est né d’une conversation avec André-François Ruaud. Le but était de réaliser un ouvrage assez dense en références pour plaire à l’amateur exigeant tout en étant accessible au lecteur curieux. Une démarche chronologique était alors le choix le plus logique. Une fois que le manuscrit est entré en phase de finalisation, Raphaël Colson et André-François Ruaud ont ajouté leur grain de sel !
 
Actusf : Quels sont les racines du genre ? D’où vient-il ?
Etienne Barillier : Les racines sont multiples et profondes : Tim Powers, James Blaylock et K. W. Jeter, trois jeunes auteurs californiens,  se lancent dans l’écriture de romans joyeusement iconoclastes, particulièrement originaux et allant à rebours du reste de la production. Les années 1980 sont quand même les années du cyberpunk ! Dans une lettre publiée en avril 1987, K. W. Jeter baptise leur production « steampunk. » Le terme est à la fois ironique et provocant. Il est surtout marquant. Jeter ne pouvait prévoir que sa boutade baptiserait un genre littéraire ayant largement contaminé l’ensemble des médias trente années plus tard.

Actusf : Qu’est-ce que le rétro-futurisme ?
Etienne Barillier : Disons que le rétro-futurisme s’applique à reprendre l’imaginaire du futur tel qu’il a été rêvé par la culture populaire. De là, il est possible d’inventer d’autres lignes uchroniques. Je ne peux pas penser au rétro-futurisme sans avoir à l’esprit le Rocketeer de Dave Stevens. Le rétro-futurisme et le steampunk suivent tous les deux des chemins qui passent par la tangente de l’histoire.

Actusf : Quels sont les romans que l’on appelle proto-steampunk et pourquoi ce nom ?
Etienne Barillier : Comme l’indique le préfixe « proto », premier en grec, ce sont les romans qui ont précédé le steampunk, des romans qui auraient pu eux aussi donner naissance au genre, mais qui sont restés en leur temps des tentatives isolées. On peut évoquer Frankenstein délivré de Brian Aldiss, La machine à explorer l’espace de Christopher Priest ou encore les aventures d’Oswald Bastable telles que les a racontées Michael Moorcock. On sent là tout un frémissement, un ensemble d’oeuvres éparses, qui nous mènent au début des années 1980, où, cette fois, toutes les conditions seront réunies pour que le steampunk naisse. Pourquoi à ce moment et pas plus tôt ? Personne ne peut le dire.

Actusf : Parmi les romans dits fondateurs, on évoque souvent La Machine à différences de William Gibson et Bruce Sterling. Qu’est-ce qui a poussé ces deux auteurs plutôt cyberpunk à faire un roman Steampunk ?
Etienne Barillier : Tout est dans le titre : la machine à différence, elle-même. Les deux hommes étaient fascinés par Charles Babbage et par ses travaux. De leurs conversations a surgi un roman qui, s’il est souvent cité comme une référence du steampunk, est surtout un roman de Gibson et Sterling. On n’y retrouve pas les aventures débridées des romans de Powers, Blaylock ou Jeter mais bel et bien leurs préoccupations autour de l’homme, la machine et la technologie. Il est un parfait exemple de steampunk sérieux et ambitieux.

Actusf : On a un débat au sein d’Actusf sur les Voies d’Anubis de Tim Powers. Est-ce un roman steampunk ?
Etienne Barillier : Oui, puisque K. W. Jeter l’a dit ! Plus sérieusement, il s’agit de la première génération de steampunk. Ce livre, formidable au demeurant, ne doit pas être pris comme une matrice de ce qu’est devenu le steampunk. Il incarne la première vague, bien différente de ce qu’est devenu le steampunk aujourd’hui.

Actusf : Il y a un article dans votre livre sur le steampunk japonais. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Etienne Barillier : Le steampunk japonais est caractérisé par une esthétique particulièrement forte, que l’on retrouve dans les séries comme Fullmetal Alchemist ou encore Last Exile. Le XIXe siècle victorien se mêle très tôt au robot géant : Les Fabuleux Vapeurs Détectives est une série qui date de 1989 ! Le film de Katsuhiro Otomo, Steamboy est quant à lui explicitement steampunk. Du même, il faut quand même citer son moyen métrage « Cannon Fodder » plan-séquence saisissant d’une vingtaine de minutes, qui nous présente une ville entièrement dédiée à une guerre dont on ne connaît pas l’ennemi.

Actusf : On a l’impression qu’il y a un peu moins de romans steampunk aujourd’hui après l’envolée de la fin des années 90 ? Est-ce vrai ? Quelle est sa place aujourd’hui en littérature ?
Etienne Barillier : Tout dépend de quel côté de l’Atlantique on se place. La France a connu un double âge d’or du steampunk, d’abord avec les traductions de romans anglo-saxons puis avec l’apparition d’une génération de jeunes auteurs francophones, Calvo, Héliot, Colin et bien d’autres. Le steampunk n’a jamais connu une production régulière ni ne s’est jamais trouvé en situation de domination par rapport aux autres genres. Cela explique sûrement en partie sa longévité et sa propagation. Chaque auteur peut s’emparer du steampunk, y prendre ce qu’il souhaite, en faire ce qu’il souhaite.
 Pour prendre conscience de ce qu’est le steampunk, je vous conseille de faire un tour sur le site polonais http://www.steampunk.republika.pl/chrono02pl.html qui propose non moins que le référencement de ce qui est publié autour du steampunk. Tout y est, du jeu de rôles le plus obscur au livre d’art. C’est une mine éblouissante.

Actusf : Hormis Futurs Antérieurs en 1999, il n’y a eu que très peu d’anthologie sur le steampunk. Est-ce que le genre ne s’adapte pas trop aux nouvelles ?
Etienne Barillier : Preuve que le genre s’adapte bien à la nouvelle : plusieurs anthologies consacrées au steampunk viennent d’être publiées aux États-Unis. Celle de Ann et Jeff VanderMeer est une somme compilant des nouvelles inédites et des extraits de romans. Le livre est une sorte d’état des lieux qui examine le steampunk, dans son évolution et sa variété. Nick Gevers a dirigé une autre anthologie Extraordinary Engines qui est un recueil de textes inédits.
 
Actusf : Autre impression, le terme semble utilisé surtout en littérature et beaucoup moins dans le cinéma ou la BD (même si c’est sans doute un peu plus le cas aujourd’hui), cela veut-il dire que les auteurs de BD ou de film ont fait du steampunk sans le savoir ?
Etienne Barillier : Bien évidemment. Dans le cas du cinéma, je ne vois aucun film steampunk pleinement satisfaisant. Peut-être à cause des choix radicaux qu’une telle orientation demanderait. 

Les adaptations des Mystères de l’ouest et de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires sont visuellement intéressantes, mais demeurent des films assez décevants, pour dire le moins. Néanmoins, le steampunk continue son travail de contamination. Une série TV comme Warehouse 13 en est un bon exemple : tous les accessoires utilisés par les protagonistes sont exclusivement steampunks.
La bande dessinée steampunk est assez riche, avec de très nombreuses séries. Empire, Le Méridien des Brumes, Hauteville House, il y en a vraiment pour tous les goûts. À la fin des années 1990, Alan Moore a commencé La Ligue des Gentlemen Extraordinaires sans savoir ce qu’était le steampunk. Il s’agit certainement d’une originalité propre au steampunk : il incorpore et fusionne quantité de codes et d’esthétiques. Il est parfaitement possible de se retrouver en train de faire « son » steampunk.

La question serait peut-être d’examiner combien les auteurs de la fusion des genres doivent au steampunk. Et inversement.

Actusf : Il existe aujourd’hui des communautés de gens qui personnalisent les objets de la vie quotidienne façon steampunk : vélo, ordinateur, game-boys, clef usb… Certains revisitent même Star Wars à la sauce steampunk et des soirées et journées spéciales voient le jour ici et là (on pense à celle de Lille récemment). Est-ce un vrai phénomène de fond selon vous ? Et pourquoi ce succès ?
Etienne Barillier : Un phénomène de fond certainement. La popularité du steampunk reste tout de même à relativiser. Quand j’ai commencé à écrire ce livre, jamais je n’aurais imaginé que j’embarquerais dans un tel voyage. Les communautés steampunks se retrouvent aussi bien dans des forums que sur Second Life. Elles mêlent aussi bien des amateurs de cosplay que de musique gothique, des passionnés de délires graphiques que des lecteurs de science-fiction. Il est possible de trouver des bricoleurs talentueux qui travaillent artisanalement, mais aussi des productions plus luxueuses, comme celles de la société WETA : http://www.wetanz.com/rayguns/
L’ensemble est particulièrement composite, mobile. Bien dans son époque, mais regardant vers d’autres imaginaires.

Les raisons sont plus difficiles à analyser. Le fait que l’on puisse découvrir aussi bien le steampunk par le biais de jeux vidéos que par les romans est intéressant en soi. Le steampunk peut toucher des gens dans des domaines extrêmement différents, des domaines qui ne communiquent pas forcément, mais qui se retrouvent dans ce même plaisir des fictions victoriennes.

Actusf : Le Steampunk a-t-il pour vous un futur ?
Etienne Barillier : Il n’est pas facile de faire des prédictions. Ce qui est certain c’est qu’il a maintenant son histoire. Le dieselpunk, qui se concentre sur les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, prend son envol. Le steampunk quant à lui ne pourra pas disparaître totalement. Il va certainement continuer à évoluer, peut-être devenir plus confidentiel ou au contraire exploser et devenir réellement populaire. L’avenir nous dira ce que ces aventures du passé nous réservent !

Actusf : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Etienne Barillier : Je commence doucement à réfléchir à un autre projet personnel, probablement pour la Bibliothèque rouge. Je travaille toujours sur mon site consacré à Philip K. Dick http://www.dickien.fr. J’anime aussi avec mon ami Laurent Queyssi un podcast francophone, le Palais des déviants http://www.palaisdesdeviants.fr qui nous amuse beaucoup.

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