Actusf : Te souviens-tu comment est née l’idée de l’Impasse Temps ?
Dominique Douay : Oh, c’est un fantasme qui remonte à très loin – à mon adolescence, pour être plus précis. Je passais pour réservé, hautain, en fait j’étais d’une timidité maladive. Entrer dans un magasin était pour moi une épreuve, alors pour ce qui est des filles… Bref, un jour je me suis dit « Et si j’arrêtais le temps pour tout le monde sauf pour moi ? » Tout devenait bien sûr plus facile. En imagination du moins – et Dieu sait qu’elle a travaillé, mon imagination ! Et puis j’ai grandi, mais le fantasme est resté. Souvent, devant une difficulté, je me posais la question « Et si… » Je ne suis pas sûr que ça m’ait beaucoup aidé, mais lorsque j’ai commencé à m’intéresser au pouvoir (comment y accéder, comment s’y maintenir…), arrêter le temps m’est apparu comme l’arme ultime et imparable.
Actusf : Qu’avais-tu envie de faire à l’époque ?
Dominique Douay : Vaste question… Dans les années 70, un peu par le hasard des rencontres et des amitiés, je me suis trouvé mêlé à la vie politique, oh ! pas au premier plan, mais à un niveau qui me permettait quand même d’étudier les mécanismes du pouvoir et d’influer, même marginalement, sur l’opinion publique (j’étais responsable-éditorialiste d’un hebdomadaire départemental du PS). L’expérience a été relativement brève (moins de deux ans), mais elle m’a donné envie de continuer à écrire sur le phénomène du pouvoir tout en prenant de la distance, d’où le choix de la SF, tout à fait naturel puisque j’en lisais déjà depuis longtemps… Il faut dire que c’est aussi l’époque où Philip Dick commençait à influencer toute une génération de lecteurs et d’écrivains ! Paradoxalement, L’Impasse-Temps est celui de mes romans de l’époque que je considère comme le moins tributaire de la thématique dickienne, mais je suis sans doute le moins bien placé pour en juger…
Actusf : Manipulation du temps et de la réalité... quelle importance avait Philip K.Dick pour toi à l’époque ?
Dominique Douay : Une importance énorme, bien sûr. Qu’on le veuille ou non, le monde décrit par Dick est devenu le nôtre – je veux dire à la fois que ses descriptions paraissent aujourd’hui étrangement prémonitoires (omniprésence des images et des moyens de communication, plans de réalité, etc) mais surtout, paradoxalement, que ses livres (écrits il y a plus de trente ans) nous aident à décrypter le monde dans lequel nous vivons – à nous diriger dans ce labyrinthe conçu par un architecte fou et/ou pervers.
En 1980… l’époque était plus manichéenne. Au cinéma notamment (et surtout, dommage collatéral de mai 68, dans les films français), il y avait les bons d’un côté, de l’autre les méchants. C’était moins vrai en littérature… sauf en SF, anglo-saxonne ou française (et il faut bien avouer que l’activisme de la SFF dite « Nouvelle » n’a pas amélioré les choses !). Dans la mesure où, si le « méchant » est souvent radicalement mauvais, pervers, manipulateur, le « bon » d’un roman de Dick peut, consciemment ou non, être lui aussi être l’agent du Mal. Relativisation, donc ; brouillage des schémas classiques : c’est ce qui faisait pour moi l’extrême modernité de PKD. J’ai éprouvé la même émotion, le même enthousiasme en découvrant à la même époque Jim Ballard, qui m’a probablement plus inspiré que Dick pour La fin des temps et après, paru en 1990 et dont une nouvelle version devrait être publiée par les Moutons Electriques début 2015.
Actusf : Comment présenterais-tu ton héros ? Est-ce qu’on peut dire que son “pouvoir” le dépasse et le corrompt ?
Dominique Douay : Serge Grivat est avant tout un looser, ce qui explique peut-être la rapidité avec laquelle il se laisse prendre dans l’engrenage qui lui sera fatal. Pour le reste… Je ne me suis jamais caché sur le fait que ce roman ne prétend qu’illustrer cette phrase célèbre : « Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou », tirée du Journal de Claude Roy (mais je crois bien avoir lu quelque part qu’elle avait été prononcée bien avant lui).
Actusf : Quel est ton regard aujourd’hui sur ce livre sorti en 1980 et sur sa réédition 34 ans plus tard ?
Dominique Douay : Le lecteur est l’unique juge, bien sûr, et seul son regard compte. Pour ma part, après avoir assez longuement soupesé le pour et le contre, j’ai estimé avec l’accord d’André-François Ruaud que lui supprimer son fumet « fin des ‘70s » serait une erreur. Ont donc subsisté l’absence presque totale d’écrans, le téléphone filaire comme seul mode de communication instantanée, ou ces Gauloises que l’on fume à la chaine n’importe où…
Actusf : Parle nous de Car les temps changent. Comment est née l’idée de ce livre ?
Dominique Douay : Là, c’est l’inverse. Je me suis mis à écrire avec juste en tête l’idée de ce micro-univers où chaque année, toutes les règles seraient bouleversées. Ensuite, les éléments se sont mis en place au fur et à mesure, à commencer par ce Paris improbable, cette ville d’acier construite sur le modèle de la Tour Eiffel, cette année 1963 rythmée par les Beatles, les Four Seasons ou Bob Dylan mais aussi par ces grandioses cortèges officiels escortés par les gardes républicains caracolant avec superbe sur leurs draisiennes de bois…
Actusf : Qu’est-ce que tu appelles le “Changement” dans ton livre ?
Dominique Douay : Le vrai Changement, c’est lorsque rien ne change, dit Léo le Lion. Je lui laisse la responsabilité de ce jugement sans appel, mais même les personnages de roman peuvent se tromper…
Actusf : Le résumé évoque “trouble de la réalité et les fantasmes de l’histoire”. Qu’avais-tu envie de faire ?
Dominique Douay : Comme pour L'Impasse-Temps, je me suis souvent amusé en écrivant ce livre, et pour les mêmes raisons : dès que l’on imagine que le temps pourrait s’écouler différemment de celui que nous connaissons (qu’il s’arrête comme dans l’Impasse-Temps ou se répète indéfiniment comme ici), on se trouve submergé par les conséquences la plupart du temps cocasses ou surréalistes de cette hypothèse, et la véritable difficulté consiste à éviter que le roman ne devienne en fait un catalogue de situations plus ou moins étranges…
Mais les temps changent. Paris reste Paris, l’Arc de Triomphe continue de veiller sur la ville du sommet de l’immense Tour Eiffel. Chaque individu demeure inchangé – c’est le regard qui pèse sur chacun qui change. Le Jour du Changement, le traîne-savate peut devenir milliardaire, Labelle la Belle régresser en petit garçon pleurnichard et Léo se muer en Léa…
Actusf : Ce roman est le premier depuis de nombreuses années. Quand a-t-il été écrit ? Est-ce un moment spécial pour toi ?
Dominique Douay : Il a été écrit en deux fois. Une première fois pour un recueil intitulé Cinq solutions pour en finir, publié en 1978 par les Editions Denoël, dont ce récit constituait l’épine dorsale. A l’époque, j’écrivais trop vite, beaucoup trop vite. J’étais heureux de voir mes récits publiés, bien sûr, mais au plus profond de moi, je savais qu’à force de toujours vouloir passer à l’écriture du roman suivant ou de la prochaine nouvelle, je sacrifiais une partie de la chair des récits.
La deuxième fois, c’était en 2013. Quelque temps plus tôt, j’avais eu l’occasion de rencontrer Jeanne-A Debats lors d’une rencontre SF (à Sèvres, je crois bien), et elle m’avait dit que 5 solutions était l’un des livres qui l’avaient poussée à écrire. Damned ! Ainsi donc, après pas loin d’un quart de siècle de silence absolu on se souvenait de moi, mais en plus j’avais pu sans le savoir aider à l’éclosion d’un talent… Du coup, frustrations et remords sont remontés à la surface.
Pour le passage à l’acte, il m’a cependant fallu une deuxième rencontre, virtuelle cette fois : début 2013, Lucie Chenu a publié sur son blog Les humeurs de Svetambre un article où elle disait son bonheur d’avoir relu le recueil de 1978. Là, j’étais coincé. J’ai relu Car les Temps Changent (ce que je n’avais pas fait depuis sa parution) et ai remis cette longue nouvelle en chantier, un travail très différent du simple toilettage de l’Impasse-Temps, car l’écriture d’une nouvelle obéit à des règles très différentes de celles d’un roman.
J’espère que les lecteurs (notamment ceux qui n’avaient pas lu 5 solutions…) aimeront cette version « roman ». Une chose est sûre en tout cas : je n’éprouve plus aucun regret, aucune frustration envers Car les temps changent.
Actusf : Quels sont tes projets ? As-tu d’autres romans en vue ?
Dominique Douay : Un roman en cours d’écriture, oui. Deux ou trois nouvelles également, et la réécriture partielle de La fin des Temps et après, que j’évoquais tout à l’heure. Bref, de quoi meubler mes soirées et loisirs jusqu’à la fin de l’année.
Dominique Douay : Oh, c’est un fantasme qui remonte à très loin – à mon adolescence, pour être plus précis. Je passais pour réservé, hautain, en fait j’étais d’une timidité maladive. Entrer dans un magasin était pour moi une épreuve, alors pour ce qui est des filles… Bref, un jour je me suis dit « Et si j’arrêtais le temps pour tout le monde sauf pour moi ? » Tout devenait bien sûr plus facile. En imagination du moins – et Dieu sait qu’elle a travaillé, mon imagination ! Et puis j’ai grandi, mais le fantasme est resté. Souvent, devant une difficulté, je me posais la question « Et si… » Je ne suis pas sûr que ça m’ait beaucoup aidé, mais lorsque j’ai commencé à m’intéresser au pouvoir (comment y accéder, comment s’y maintenir…), arrêter le temps m’est apparu comme l’arme ultime et imparable.
Actusf : Qu’avais-tu envie de faire à l’époque ?
Dominique Douay : Vaste question… Dans les années 70, un peu par le hasard des rencontres et des amitiés, je me suis trouvé mêlé à la vie politique, oh ! pas au premier plan, mais à un niveau qui me permettait quand même d’étudier les mécanismes du pouvoir et d’influer, même marginalement, sur l’opinion publique (j’étais responsable-éditorialiste d’un hebdomadaire départemental du PS). L’expérience a été relativement brève (moins de deux ans), mais elle m’a donné envie de continuer à écrire sur le phénomène du pouvoir tout en prenant de la distance, d’où le choix de la SF, tout à fait naturel puisque j’en lisais déjà depuis longtemps… Il faut dire que c’est aussi l’époque où Philip Dick commençait à influencer toute une génération de lecteurs et d’écrivains ! Paradoxalement, L’Impasse-Temps est celui de mes romans de l’époque que je considère comme le moins tributaire de la thématique dickienne, mais je suis sans doute le moins bien placé pour en juger…
Actusf : Manipulation du temps et de la réalité... quelle importance avait Philip K.Dick pour toi à l’époque ?
Dominique Douay : Une importance énorme, bien sûr. Qu’on le veuille ou non, le monde décrit par Dick est devenu le nôtre – je veux dire à la fois que ses descriptions paraissent aujourd’hui étrangement prémonitoires (omniprésence des images et des moyens de communication, plans de réalité, etc) mais surtout, paradoxalement, que ses livres (écrits il y a plus de trente ans) nous aident à décrypter le monde dans lequel nous vivons – à nous diriger dans ce labyrinthe conçu par un architecte fou et/ou pervers.
En 1980… l’époque était plus manichéenne. Au cinéma notamment (et surtout, dommage collatéral de mai 68, dans les films français), il y avait les bons d’un côté, de l’autre les méchants. C’était moins vrai en littérature… sauf en SF, anglo-saxonne ou française (et il faut bien avouer que l’activisme de la SFF dite « Nouvelle » n’a pas amélioré les choses !). Dans la mesure où, si le « méchant » est souvent radicalement mauvais, pervers, manipulateur, le « bon » d’un roman de Dick peut, consciemment ou non, être lui aussi être l’agent du Mal. Relativisation, donc ; brouillage des schémas classiques : c’est ce qui faisait pour moi l’extrême modernité de PKD. J’ai éprouvé la même émotion, le même enthousiasme en découvrant à la même époque Jim Ballard, qui m’a probablement plus inspiré que Dick pour La fin des temps et après, paru en 1990 et dont une nouvelle version devrait être publiée par les Moutons Electriques début 2015.
Actusf : Comment présenterais-tu ton héros ? Est-ce qu’on peut dire que son “pouvoir” le dépasse et le corrompt ?
Dominique Douay : Serge Grivat est avant tout un looser, ce qui explique peut-être la rapidité avec laquelle il se laisse prendre dans l’engrenage qui lui sera fatal. Pour le reste… Je ne me suis jamais caché sur le fait que ce roman ne prétend qu’illustrer cette phrase célèbre : « Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou », tirée du Journal de Claude Roy (mais je crois bien avoir lu quelque part qu’elle avait été prononcée bien avant lui).
Actusf : Quel est ton regard aujourd’hui sur ce livre sorti en 1980 et sur sa réédition 34 ans plus tard ?
Dominique Douay : Le lecteur est l’unique juge, bien sûr, et seul son regard compte. Pour ma part, après avoir assez longuement soupesé le pour et le contre, j’ai estimé avec l’accord d’André-François Ruaud que lui supprimer son fumet « fin des ‘70s » serait une erreur. Ont donc subsisté l’absence presque totale d’écrans, le téléphone filaire comme seul mode de communication instantanée, ou ces Gauloises que l’on fume à la chaine n’importe où…
Actusf : Parle nous de Car les temps changent. Comment est née l’idée de ce livre ?
Dominique Douay : Là, c’est l’inverse. Je me suis mis à écrire avec juste en tête l’idée de ce micro-univers où chaque année, toutes les règles seraient bouleversées. Ensuite, les éléments se sont mis en place au fur et à mesure, à commencer par ce Paris improbable, cette ville d’acier construite sur le modèle de la Tour Eiffel, cette année 1963 rythmée par les Beatles, les Four Seasons ou Bob Dylan mais aussi par ces grandioses cortèges officiels escortés par les gardes républicains caracolant avec superbe sur leurs draisiennes de bois…
Actusf : Qu’est-ce que tu appelles le “Changement” dans ton livre ?
Dominique Douay : Le vrai Changement, c’est lorsque rien ne change, dit Léo le Lion. Je lui laisse la responsabilité de ce jugement sans appel, mais même les personnages de roman peuvent se tromper…
Actusf : Le résumé évoque “trouble de la réalité et les fantasmes de l’histoire”. Qu’avais-tu envie de faire ?
Dominique Douay : Comme pour L'Impasse-Temps, je me suis souvent amusé en écrivant ce livre, et pour les mêmes raisons : dès que l’on imagine que le temps pourrait s’écouler différemment de celui que nous connaissons (qu’il s’arrête comme dans l’Impasse-Temps ou se répète indéfiniment comme ici), on se trouve submergé par les conséquences la plupart du temps cocasses ou surréalistes de cette hypothèse, et la véritable difficulté consiste à éviter que le roman ne devienne en fait un catalogue de situations plus ou moins étranges…
Mais les temps changent. Paris reste Paris, l’Arc de Triomphe continue de veiller sur la ville du sommet de l’immense Tour Eiffel. Chaque individu demeure inchangé – c’est le regard qui pèse sur chacun qui change. Le Jour du Changement, le traîne-savate peut devenir milliardaire, Labelle la Belle régresser en petit garçon pleurnichard et Léo se muer en Léa…
Actusf : Ce roman est le premier depuis de nombreuses années. Quand a-t-il été écrit ? Est-ce un moment spécial pour toi ?
Dominique Douay : Il a été écrit en deux fois. Une première fois pour un recueil intitulé Cinq solutions pour en finir, publié en 1978 par les Editions Denoël, dont ce récit constituait l’épine dorsale. A l’époque, j’écrivais trop vite, beaucoup trop vite. J’étais heureux de voir mes récits publiés, bien sûr, mais au plus profond de moi, je savais qu’à force de toujours vouloir passer à l’écriture du roman suivant ou de la prochaine nouvelle, je sacrifiais une partie de la chair des récits.
La deuxième fois, c’était en 2013. Quelque temps plus tôt, j’avais eu l’occasion de rencontrer Jeanne-A Debats lors d’une rencontre SF (à Sèvres, je crois bien), et elle m’avait dit que 5 solutions était l’un des livres qui l’avaient poussée à écrire. Damned ! Ainsi donc, après pas loin d’un quart de siècle de silence absolu on se souvenait de moi, mais en plus j’avais pu sans le savoir aider à l’éclosion d’un talent… Du coup, frustrations et remords sont remontés à la surface.
Pour le passage à l’acte, il m’a cependant fallu une deuxième rencontre, virtuelle cette fois : début 2013, Lucie Chenu a publié sur son blog Les humeurs de Svetambre un article où elle disait son bonheur d’avoir relu le recueil de 1978. Là, j’étais coincé. J’ai relu Car les Temps Changent (ce que je n’avais pas fait depuis sa parution) et ai remis cette longue nouvelle en chantier, un travail très différent du simple toilettage de l’Impasse-Temps, car l’écriture d’une nouvelle obéit à des règles très différentes de celles d’un roman.
J’espère que les lecteurs (notamment ceux qui n’avaient pas lu 5 solutions…) aimeront cette version « roman ». Une chose est sûre en tout cas : je n’éprouve plus aucun regret, aucune frustration envers Car les temps changent.
Actusf : Quels sont tes projets ? As-tu d’autres romans en vue ?
Dominique Douay : Un roman en cours d’écriture, oui. Deux ou trois nouvelles également, et la réécriture partielle de La fin des Temps et après, que j’évoquais tout à l’heure. Bref, de quoi meubler mes soirées et loisirs jusqu’à la fin de l’année.
Qu'en pensez-vous ?