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Interview Jean-Luc Rivera pour les Rencontres de l'Imaginaire de Sèvres 2017
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Interview Jean-Luc Rivera pour les Rencontres de l'Imaginaire de Sèvres 2017

ActuSF  :   le 25 novembre prochain se tiendront les Rencontres de l’imaginaire de Sèvres. La 14è édition déjà ! Comment tout cela a commencé ? La 1ere édition ressemblait-elle déjà aux Rencontres de l’imaginaire telles que nous les connaissons aujourd’hui ?


Jean-Luc Rivera
: J’étais un lecteur d’Anticipation, au Fleuve Noir, depuis toujours, et j’avais connu Maurice Limat, pilier de la collection et grand auteur de littérature populaire, à la fin des années 60. Il était Sévrien ; lorsqu’il est mort, je suis allé à a Médiathèque leur demander s’ils comptaient faire quelque chose. Ils ne connaissaient pas et, de fil en aiguille, avec le soutien de la directrice de l’époque, Joëlle Brunemer, et du maire, François Kosciusko-Morizet, comme il n’y avait aucune manifestation sur la région parisienne, ils m’ont demandé d’organiser quelque chose. Tout est parti de là, je voulais rendre hommage à tous ces « vieux » auteurs qui nous avaient tant fait rêver et montrer que les nouvelles générations d’auteurs français n’avaient pas à rougir et pouvaient se comparer avec non seulement leurs prédécesseurs mais aussi avec les auteurs anglo-saxons, que ce soit au niveau écriture ou à celui des idées. D’où, dès cette première édition, un mélange d’auteurs anciens et parfois un peu oubliés, d’auteurs contemporains confirmés et de nouveaux auteurs présentant leur premier roman, mélange que j’ai continué les années suivantes.



Cette année vous mettez en avant Jean-Michel Nicollet, un artiste illustrateur qui a plus d’une corde à son arc puisque je crois qu’il est aussi anthologiste. Pouvez-vous nous présenter cet invité d’honneur ?


Je suis très fier que Jean-Michel Nicollet ait accepté d’être notre invité d’honneur cette année. En effet, c’est un très grand artiste, l’un de ceux que l’on reconnaît instantanément : non seulement il a façonné l’identité de la collection Néo – au point que certains ne la collectionnent que pour ses couvertures – en ayant illustré l’intégralité de celle-ci, mais il a aussi illustré beaucoup d’autres ouvrages et fait des albums de BD. De plus, il est l’incarnation du grand détective américain Harry Dickson, rendu célèbre par Jean Ray, au point que personne ne peut imaginer celui-ci avec d’autres traits. Enfin, outre son immense culture en matière d’ésotérisme et de phénomènes paranormaux, il a d’ailleurs écrit sur le Diable par exemple, JM Nicollet est un très grand amateur et connaisseur de littératures de l’imaginaire, il suffit de regarder ce qu’il choisissait pour les Editions Sombre Crapule. En bref, un grand monsieur de nos genres !

En parlant d’illustrations, il y aura 4 expositions  : deux d’entre elles sur des dessins autour de deux grand noms de l’imaginaire, Jean Ray et Jules Verne, une autre sur l’univers Tschaï de Jack Vance et la dernière sur celui de Benjamin Carré, qui a réalisé l’affiche de cette édition.


L’illustration a une belle place dans le festival.  Parce que l’image, à travers ses couvertures des livres notamment, est particulièrement importante dans les littératures de l’imaginaire ?


Oui, l’illustration a toujours été mise à l’honneur à Sèvres car c’est elle qui, en premier, en accrochant l’œil, donne envie de découvrir un livre : une couverture laide dessert un roman, une couverture accrocheuse peut faire la différence – on se souvient de Brantonne, ses couvertures sont indissociables de la collection Anticipation, c’est d’abord à elles que l’on pense lorsqu’on évoque celle-ci. Et nous avons l’immense chance, en France, d’avoir un grand nombre d’illustrateurs très talentueux, aux styles très variés, dont beaucoup de jeunes. Je suis très heureux de souvent présenter, aux côtés d’artistes bien connus comme Siudmak, Manchu ou Graffet, de jeunes illustrateurs dont c’est la première exposition et de leur donner une visibilité. Je considère que c’est aussi l’un des rôles essentiels d’un festival tel que le nôtre, ce côté découvreur de talents, que ce soit au niveau des illustrateurs ou des auteurs. Il se reflète aussi dans mon choix des affichistes : certains illustrateurs quasi inconnus – en tout cas du public -  ont réalisé des affiches aux côtés des plus grands noms.

 


Presque 100 invités, des auteurs confirmés comme des jeunes plumes. Est-ce pour montrer la diversité du genre ? Son dynamisme ?  

Absolument ! Nous avons beaucoup d’auteurs talentueux, d’excellents directeurs de collection chez les grandes maisons d’éditions et beaucoup de « petits » éditeurs passionnés par leur métier et découvreurs de nouveaux auteurs, et ce dans tous les genres de l’imaginaire. Certes, Sèvres est plutôt orienté vers la SF, malgré mes efforts pour faire découvrir la fantasy, l’urban fantasy et le fantastique aux lecteurs qui sont souvent assez spécialisés ou « conservateurs » dans leurs goûts, mais la vitalité de la SF et sa variété fournissent déjà de quoi bien remplir le festival : auteurs jeunesse, auteurs de hard science, auteurs de SF populaire, auteurs d’uchronies, de space opera ou de steampunk, il y a de quoi satisfaire tous les visiteurs.

Une rencontre avec Jean-Michel Nicollet est prévue, mais aussi trois tables rondes  une sur H. P. Lovecraft, une sur les origines de la science-fiction et une sur les explorations des planètes géantes. Pouvez-vous nous les présenter en quelques mots s’il vous plait ? Comment avez-vous élaboré cette programmation ?


Chaque année j’établis la programmation des tables rondes en fonction de l’actualité, des thèmes qui n’ont pas encore été abordés les années précédentes, des auteurs que j’ai invité et de mes goûts personnels : je souhaite apporter au public de ces TR des informations pointues sur des sujets qui peuvent l’être tout autant et partager avec lui le plaisir et/ou l’émerveillement ressenti lors de mes lectures sur le sujet abordé. Je suis un amateur de Lovecraft, découvert grâce à Jacques Bergier et à Planète lorsque j’étais tout jeune, or HPL est réédité, fait l’objet de nouvelles traductions et inspire beaucoup d’auteurs : il me paraissait évident et passionnant, recevant plusieurs spécialistes de cet auteur au festival, de leur demander pourquoi HPL et son univers suscitent un tel engouement quatre-vingts ans après sa mort. En ce qui concerne la SF ancienne, je suis un amateur des ouvrages des débuts du genre, merveilleux scientifique français ou pulps américains (d’où la belle expo sur les pulps l’année dernière grâce à Jean-Yves Freyburger) et membre du Club des savanturiers : vu l’ouvrage de référence monumental qui sera publié l’année prochaine, il me paraissait essentiel de comprendre comment le corpus s’est constitué avec Joseph Altairac et Guy Costes, les deux auteurs, d’autant plus que Natacha Vas-Deyres, universitaire spécialiste de cette période, acceptait de les passer à la question. Quant aux planètes géantes, je suis un fan de Jack Vance, de Sprague de Camp et de Laurent Genefort, alors, avec deux ouvrages magnifiques qui sortent, dont un réalisé sous la direction experte de Frédéric Weil et Adrien Thomas, comment résister à une TR animée par Jeanne-A Debats, co-auteur très impliquée dans le projet, sur le sujet, avec les auteurs et les illustrateurs de ces livres, pour essayer de comprendre pourquoi les explorations de ce type de mondes nous fascinent.


Le festival accueille depuis plusieurs années le prix Actusf de l’uchronie. Pouvez-vous nous parler de ce partenariat et de ce prix ?


Parmi mes nombreux mauvais goûts littéraires, il se trouve que j’adore l’uchronie : lorsque, sous l’impulsion de Bertrand Campéis et Eric Henriet, s’est créé ce Prix de l’uchronie, avec le soutien enthousiaste de Jérôme Vincent, Actusf étant un partenaire de la première heure des Rencontres, il a semblé naturel que le prix soit remis à Sèvres où je ne voulais pas d’un énième prix « généraliste ». En revanche, un prix spécialisé, remis par un jury de spécialistes du genre, me plaisait bien, ainsi qu’à la médiathèque ; nous en avons parlé à la mairie qui nous a accordé son soutien, une fois de plus, et accepté de prendre en charge les trophées, la statuette conçue et réalisée par Bernard Queruel rendant bien et de manière originale le concept d’uchronie. Le prix est ainsi devenu partie prenante du festival, avec le maire pour le remettre, ce qui montre l’importance qui lui est accordé.


Les lauréats de cette année


Les auteurs semblent avoir un attachement, une tendresse, tout particulier pour ce festival. Pourquoi selon vous ? Pour sa dimension « familiale » ? Pour la facilité qu’il propose aux publics pour rencontrer les auteurs ?


Merci ! Je crois qu’effectivement les auteurs et les illustrateurs aiment bien venir à Sèvres où l’atmosphère est conviviale, ce que je voulais dès la première année : une manière de remercier ceux-ci pour le plaisir qu’ils nous donnent avec leurs œuvres et où visiteurs et auteurs peuvent discuter et échanger en toute amitié et liberté. Vous parlez de dimension « familiale » et vous avez tout à fait raison : je voulais, et là c’est le lecteur fan qui parle, un festival à taille humaine, une sorte de « super-convention » ouverte au public, où le fandom élargi se retrouve pour faire la fête et célébrer nos littératures favorites. Et je pense que le grand dîner du samedi soir où se mêlent auteurs et visiteurs contribue aussi fortement à cette bonne ambiance.



Le mois d’octobre dernier, une mise en avant de la sf et de la fantasy a été réalisée par les éditeurs à travers le Mois de l’imaginaire. Le genre a-t-il besoin aujourd’hui de se faire identifier / voir du grand public ? L’imaginaire est-il selon vous bien mis en avant en France ?


Le Mois de l’Imaginaire est une excellente initiative, de plus réussir à fédérer autour d’un même programme autant d’éditeurs si différents est un bel exploit. Mettre en avant l’imaginaire est formidable mais en même temps un peu ambigu : en effet, dans le domaine du cinéma, « nous » avons gagné depuis des années, tous les grands blockbusters relèvent de nos genres, « nous » avons envahi une partie des séries télévisées (dans ces deux domaines, je parle évidemment des USA, la France étant en-dessous de tout…) et une grande partie de la production de BD. Dans le domaine littéraire, nombre de romans publiés en littérature générale sont de fait de la SF ou du fantastique (il n’y a qu’à voir les sujets des thrillers par exemple ou de certains polars) mais les éditeurs soit n’éprouvent plus le besoin de les identifier en tant que genre soit estiment que l’étiquette sera moins « vendeuse » d’où ce sentiment de n’être pas mis en avant. Je suis content, et j’estime nécessaire, de voir des rayons ou des tables consacrés à nos genres mais il faut faire attention à ne pas tomber dans l’excès inverse, à vouloir tellement défendre la spécificité de ceux-ci que l’on en arrive au syndrome de la « citadelle assiégée », autrement dit « protégeons à toute force notre identité »… Il faut, au contraire, se montrer et s’ouvrir, présenter ce qui est écrit et en démontrer tout l’intérêt : dans la période actuelle, il faut lire de la SF afin de réfléchir mais aussi de rêver et de retrouver un certain optimisme quant au futur. C’est ce que nous essayons de faire aux Rencontres de l’Imaginaire.

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