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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2017
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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2017

Gotland, Nicolas Fructus et Thomas Day, Le Belial’ : beau livre illustré de grand format, Gotland inaugure une nouvelle collection aux éditions du Bélial : « Wotan ». Dans un esprit proche de ce que propose Mnémos avec ses « Ourobores », il s’agit d’accueillir des projets hors normes, mêlant au sein d’une même conception graphique (ici signée Franck Achard) des textes, narratifs et encyclopédiques, et des images, illustrations, photos, plusieurs plumes et plusieurs pinceaux au service d’un seul livre-univers… C’est un type de démarche, rappelant la création de jeu de rôles, qui me passionne, et que ce Gotland vient illustrer de façon plus qu’heureuse ! Trois textes et trois espaces-temps se succèdent, unifiés par leur hommage à l’un des « grands anciens » des littératures de l’imaginaire, l’un des plus illustres créateurs d’univers : H.P. Lovrecraft, dont les créatures tentaculaires et souterraines (le fameux « mythe de Cthulhu ») hantent chacune des trois nouvelles. Après « Gotland », écrit et illustré par Nicolas Fructus, qui propose une genèse du retour des monstres sur fond de légendes scandinaves, j’ai particulièrement apprécié les deux étapes suivantes : « Forbach », par Thomas Day,  formidablement construit en une série de flash-backs qui nous font reculer, depuis nos jours, toujours plus loin dans l’histoire maudite de la fortune des Wallenberg ; et « Mémoires des mondes troubles ou La faille Maréchal », de Nicolas Fructus, qui repose sur l’exploitation de photos anciennes, déjà suggestives en elles-me^mes, et retouchées de manière à y faire apparaitre les créatures – celles que l’ingénieur Maréchal, dont les archives sont ainsi présentées, avait seul reçu la capacité de voir, et qui sont parmi nous…
 
Merfer de China Miéville, trad. Nathalie Mège, Outrefleuve : coup de cœur pour ce roman de 2012 qui nous parvient enfin en traduction, chez Fleuve Edition (Outrefleuve/Pocket) qui a déjà publié l’an dernier Légationville, du même auteur. Miéville, apôtre d’une weird fiction subvertissant les codes de l’imaginaire, a ses fans ; je n’en fais habituellement pas partie, car une fois passé le choc de son Perdido Street Station (2000) et en dépit des qualités indéniables de son écriture, il m’avait trop souvent semblé se complaire dans des textes d’une complexité fumeuse, demandant trop, donnant trop peu. 
 
Rien de tel avec ce RailSea, limpide et passionnant d’un bout à l’autre, vrai roman d’aventures et d’initation en me^me temps que retour aux sources des littératures « non-mimétiques » - soit le développement complet et cohérent d’une métaphore, une image qui sitôt re^vée est prise au pied de la lettre, que la narration va concrétiser, lui donnant consistance, lui conférant l’existence. Soit ici : railsea, un monde réduit à une mer de chemins de fer -  une plaine de terre meuble sillonnée de toute part de rails et de traverses, d’où émergent les vestiges d’une ère ancienne (« l’exhume »). Il y a des trains de marchandises, de voyageurs, des trains militaires, des explorateurs et des pilleurs – c’est le côté « rail ». Mais c’est une mer aussi et qui dit mer dit pirates, voiliers, îles (les endroits où survivent les hommes), naufrages, rivages lointains, dangers légendaires. Notre héros, le jeune Sham ap Soorap, est apprenti médecin sur un baleinier… excusez-moi, sur un Taupier, car dans cet éco-système bouleversé, les animaux fouisseurs règnent dans un monde souterrain qui remplace les abysses sous-marines de notre réalité : les rats et furets, les vers de terre, les chouettes des terriers et d’abord les taupes, sont ici des prédateurs gigantesques et terribles… Le roman s’annonce comme un hommage à Moby Dick – la capitaine Picbaie au bras mécanique traque comme son obsession personnelle une taupe albinos de légende ! -, mais il dépasse le simple clin d’œil pour se réinventer en que^te des origines et réussit à ne pas décevoir. Il faut passer le cap de la désorientation des premières pages, le temps nécessaire pour prendre quelques marques dans un vocabulaire inédit, celui d’un monde nouveau : faites l’effort, puis laissez-vous embarquer !
 
Terry Pratchett, La Couronne du Berger, trad. Patrick Couton, L’Atalante : « Le dernier roman du Disque-Monde », nous dit le sous-titre en couverture. Terry Pratchett nous a quittés il y a presque deux ans déjà, et ce livre est donc bien « le dernier » qu’il signera jamais – le 41ème roman du Disque-Monde, auquel s’ajoutent bon nombre d’ouvrages compagnons, si j’en crois la liste qui figure au début du volume et vient rappeler que L’Atalante a constamment accompagné ces parutions. Ça n’a rien d’anodin, et c’est forcément une expérience particulière que d’entamer cet ouvrage, et plus encore de le terminer. Ne nous y trompons pas cependant : ce n’est en rien un livre-testament – même si un personnage important du Disque-Monde y meurt, d’une mort idéale, douce et attendue, à la fin d’une vie bien remplie, c’est plutôt l’histoire d’un renouveau. Ce n’est un livre voulu ou conçu comme « le dernier » ; il ne conclut rien, puisque l’ensemble de Pratchett se compose de romans autonomes, pièces d’un me^me grand jeu, formant des sous-ensembles mais pas d’intrigue suivie. On retrouve ici la série des sorcières, qui symbolise chez Pratchett l’engagement et le dévouement qu’il associe aux femmes : les pieds sur terre, les mains dans le cambouis, dans l’action et au service d’autrui, pas par bonté naïve mais parce qu’il faut bien que quelqu’un s’en occupe. La jeune Tiphaine Patraque (personnage récurrent déjà dans plusieurs romans antérieurs) va une nouvelle fois faire ses preuves en affrontant le petit peuple féérique (très négatif chez Pratchett, cruel et égoïste), aidée par ses alliés pixies, les réjouissants Nac mac Feegle dont la traduction rend bien le savoureux langage (glossaire final fourni !). Le monde a bien changé, doivent bien constater les elfes comme les gobelins en leçon finale ; le Disque-Monde aussi, après plus de quarante romans…
 
Anne Besson
 
 

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