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Interview de Michel Jeury
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Interview de Michel Jeury

Laurent Jeanneau : Michel Jeury dans votre roman « May le Monde » la présence de la nature est très forte, presque inquiétante…
Michel Jeury : La nature est présente dans tous mes livres sauf lorsque je voulais décrire un univers absolument désespérant, en cours de destruction, comme dans soleil chaud Poisson des profondeurs. La nature est pour moi l’essentiel de l’univers, donc dans May le Monde comme dans les autres elle est là très présente. Je lui ai rajouté quelques petites fioritures comme les acidolos, les oiseaux-chemises, qui sont des êtres imaginaires, mais puis-je le dire ainsi ? Rien n’est imaginaire, ce sont des êtres merveilleux, je voudrai être un oiseau chemise si je n’étais pas un auteur de science fiction !

Laurent Jeanneau : De par cette présence de la nature, ce roman est il un passage entre vos deux univers d’écrivain, le roman traditionnel et la science fiction?
Michel Jeury : Tout à fait mais pas seulement à cause de la nature, par la présence de May, cette petite fille que j’ai déjà fait vivre dans un roman assez ancien qui s’appelle « Au cabaret des oiseaux », des oiseaux tout à fait ordinaires. Elle avait aussi une dizaine d’années, c’était une petite paysanne du Périgord, exactement comme May. Elle est aussi l’enfant, la jeune fille qui symbolise le monde. May le monde dit bien ce que ça veut dire, s’il n’y avait pas de « mais » s’il n’y avait pas la nature les oiseaux, les humains, il n’y aurait pas le monde…

Laurent Jeanneau : La douleur est l’un de vos thèmes de prédilection…
Michel Jeury : Oui effectivement, peut être parce que j’ai souffert plus qu’un autre mais sans connaître de grandes souffrances, je n’ai jamais été victime d’un bourreau SS, ça aurait pu m’arriver, ni d’un tueur en série. Les douleurs que je connais sont celles à peu près de tout le monde, en ajoutant peut être que les auteurs sont souvent des écorchés vifs. Tout gamin je ne croyais pas à la réalité et je n’y crois toujours pas. On fait un débat sur le réel et l’imaginaire*, je crois que ce dernier dévore pour une grande part la réalité. Je n’arrive pas à croire que tout cela est réel, sauf le mal. Je ne croyais pas à la réalité sauf chez le dentiste (Rires). Pendant la table ronde Igor Bogdanoff a dit que l’on sent tout se résumer et se résolver dans une formidable masse d’informations. Moi je trouve pour une raison inconnue que l’information dominante c’est la douleur, aussi bien morale que physique, l’angoisse en fait partie. Et la souffrance existe aussi chez les animaux et chez les animaux supérieurs, ou s’arrête t’elle ? Qui peut dire ce que ressent un escargot quand on l’écrase ? Certains sont allés jusqu’à prétendre que les plantes souffraient, ça ne m’étonnerait pas ! Est-ce qu’il faut s’arrêter aux plantes, est ce que la souffrance, d’une façon absolument inimaginable, n’existerait pas jusqu’au fond des minéraux, jusqu’au niveau des particules subatomiques ? C’est un peu ce que suggérait le physicien Jean Charon, je ne suis pas sûr qu’il ai été un physicien appréciable mais peu importe. J’ai tout de même l’impression que ce qui culmine en l’homme, ce n’est ni une qualité morale ni une qualité intellectuelle, ce serait plutôt la souffrance. Mais je n’en suis pas sûr car je ne peux pas savoir comment souffrent les animaux. Je les ai vu souffrir de façon atroce, on le voit dans ces images de maltraitance des espèces animales. Alors je ne suis pas comme les gens de la « deep ecology » qui font passer les animaux avant l’homme, pas du tout, mais je me pose simplement cette question : d’où vient la souffrance, où elle va, est ce qu’elle n’est pas fondamentale dans la structure de l’univers ? Dans l’information fondamentale qui est cet univers ? Les religions monothéistes qui ont inventées l’enfer n’auraient pas forcément totalement tort, même si l’enfer n’est pas la punition qui nous attend après la mort, l’enfer, au sens de la cruauté, de la douleur serait peut être une composante fondamentale de l’information qui crée l’univers. J’ai dans la vie ordinaire un très fort sentiment de déréalisation que seule la douleur, et à un degré moindre le plaisir, effacent. Je voudrais quand même ajouter que May le Monde n’est pas un livre de philosophie.

Laurent Jeanneau : Vos personnages sont sans cesse confrontés à l’inconnu et au changement, sont écartelés entre les mondes…
Michel Jeury : C’est à la fois un plaisir et une souffrance, bien sûr, c’est dur de changer, mais en même temps ils attendent ce changement, ils en ont besoin. Le professeur Golberg qui exprime la philosophie de ce monde, un médecin un peu fou qui ressemble à Philippe K.Dick, dit quelque fois que sans le changement, le glissement incessant de la réalité qui existe dans ce monde, la vie ne vaut pas d’être vécue. Et il imagine pour ses étudiants, ses auditeurs, des mondes où le changement tel qu’il se manifeste dans celui de May n’existerait pas, c'est-à-dire le nôtre, ce monde complètement figé dans lequel nous vivons et où nous avons l’illusion d’une stabilité très forte, d’une lourdeur. Ces mondes sont invivables selon Goldberg et quelques autres. Et nous le vivons ! Mais, (May ?) nous avons la science-fiction, et je ne suis pas sûr que le docteur Goldberg le sache, au fond il doit croire que nous sommes incapables d’écrire de la science-fiction et d’en lire.

Laurent Jeanneau : La solitude et l’éternité me paraissent deux thèmes récurrents dans le livre, qu’en est’il ?
Michel Jeury : C’est tout à fait vrai, mais l’on retrouve cela dans la plupart de mes livres. Il faudrait que je fasse des recherches dans mes romans sur l’école. L’un d’entre eux décrit une classe de quarante élèves ou la solitude est difficile à trouver, et pourtant mes personnages, des enfants, sont toujours parmi les plus seuls. Le petit garçon héros de « L’année du Certif » est très seul au milieu de sa famille, dans sa classe, et toute mon œuvre est pleine de gens seuls, même quand ils sont mariés, qu’ils ont une famille nombreuse. Mais la solitude rejoint la dialectique de la douleur et du plaisir. On souffre souvent d’être seul. Mais l’on a envie d’être seul quelquefois. Suis-je solitaire ? Sans doute et pourtant j’aime beaucoup la compagnie des femmes, des enfants et des animaux !

Laurent Jeanneau : May le Monde, un roman prophétique ?
Michel Jeury : Oh non, surtout pas ! Je ne me sens pas du tout la fibre du prophète, et j’espère avoir mis assez d’humour dans May pour qu’il n’y ai rien de prophétique dans cette histoire. Au diable les prophéties (rires).
 
Laurent Jeanneau : C’était un question un peu provocatrice, mais en même temps votre roman parle de choses, le temps simultané, les états de conscience modifiés, le passage dans d’autres dimensions, qui me semblent à la pointe de certains questionnements scientifiques, en physique, en psychanalyse…A la frange des domaines…
Michel Jeury : Je me promène, j’adore lire de la science-fiction comme tout le monde, les études récente sur la physique quantique me passionnent c’est vrai, mais je ne prétends pas apporter quoi que ce soit, je me sers de ces matériaux en jouant avec. Il faut s’amuser sinon la vie ne vaut pas la peine d’être vécue !

Laurent Jeanneau : Vos romans ne sont jamais manichéens, le bien et le mal semblent s’équilibrer chez les individus…
Michel Jeury : Oui effectivement, je ne sais pas pourquoi. On m’a souvent dit si tu veux faire un best seller, trouve un bon méchant. Alors j’ai essayé, j’ai réussi deux ou trois fois mais ça m’est vraiment difficile. S’il y en a un qui parait l’être, il meurt très vite ou encore on lui trouve de telles excuses qu’il n’est plus un vrai méchant. Il ne doit pas y en avoir plus de trois ou quatre dans les soixante-dix ou soixante quinze livres publiés. C’est comme ça, on ne m’a sans doute pas fait assez de mal, ça va peut être m’arriver (rires).

Laurent Jeanneau : Le Grand Lien, une métaphore d’un éventuel Grand Architecte ?
Michel Jeury : Non, je ne le vois pas comme ça, mais c’est une très bonne question, je me la pose aussi. Que pourrait être le Grand Lien ? L’envie de le créer vient du sentiment assez généralement partagé de la destruction des liens dans la société humaine actuelle, il y a de moins en moins de liens. Et les évènements sociaux - je ne voulais pas prononcer le mot « politiques », mais tant pis c’est fait- ont montré l’envie de liens des gens. On fait des manifestations pour réclamer ceci ou cela, mais c’est aussi une occasion de créer du lien. Il y a un déficit de cela affreux dans ce monde où on a inventé la machine à liens la plus inimaginable, le web. Et bien internet ne crée pas vraiment du lien, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas très bien dans cette mécanique, et j’ai eu envie d’un lien qui pourrait être l’intelligence de l’univers. Certainement pas un architecte ni quelque chose qui ait précédé l’univers, quelque chose qui est né, soit dans l’univers lui-même, soit dans ce que j’appelle l’infosphère humaine, je préfère qu’il reste mystérieux, c’est un rêve, une utopie, c’est un désir.

Laurent Jeanneau : Vous écrivez « nous contenons une infinité de mondes et une infinité de monde nous contiennent… »
Michel Jeury : Nous sommes tous les mondes et tous les mondes sont nous, oui, c’est la toile de fond de May. Je suis désolé mais je ne peux pas croire à un univers fini, pour moi il est infini…Je vais peut être en devenir fou comme George Kantor, le premier mathématicien qui a travaillé sur l’infini. Qu’il y ait un dieu ou qu’il n’y en ait pas c’est au fond la même chose, que l’on raisonne à partir d’un créateur où qu’on l’élimine. Dans le premier cas qu’on l’appelle Dieu, Allah ou autrement, comme vous voudrez, c’est le limiter arbitrairement de ne lui accorder qu’une mesquine création. Vous me direz quelques centaines de milliers de milliards d’années-lumière ce n’est pas si mesquin que ça ! Moi je trouve que tout ce qui n’est pas vraiment infini, et infiniment infini, est minuscule. Il me semble que si Dieu existe il n’a pu créer qu’un univers infini. S’il n’y a pas de dieu, comment peut on accepter que l’univers ne soit un petit bout de machin (rires). Je n’ai pas de preuves à apporter, d’ailleurs je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit, je ne fais qu’exprimer ce que je ressens. Il me semble que l’univers ne peut qu’être infini, le mot transfini est mieux compris quelquefois, la différence est purement mathématique. L’écrivain de science-fiction qui à le mieux parlé de l’infini c’est Borges, je l’ai cité en exergue de May. On imagine très bien que dans un univers infini, il y ai une infinité de nous qui sont en train de parler de science-fiction avec un enregistreur rouge dans votre main, une infinité d’infinité ou c’est la même chose mais l’appareil est vert. Une infinité d’infinités où tout est identique à cet instant mais c’est moi qui bois mon verre d’eau en premier, une infinité d’infinités où il n’y a dans cette pièce que des crapauds qui boivent dans une mare (rires). Une infinité d’infinités de n’importe quoi…On pourrait rentrer dans une discussion mathématique à partir des travaux de Kantor, mais je suis tout à fait incompétent ! Je trouve très jolie la formule des musulmans « seul Dieu est Dieu », certes, mais seul l’infini est infini et il ne peut pas être autre chose que cela. Mais ce sont des questions que j’ai abordées dans une nouvelle parue dans le recueil « Escales en Utopie » aux éditions Bragelonne, une nouvelle inédite qui s’appelle le cinquième rayon. Au fond on n’a pas tellement de peine à admettre (à imaginer certes) que tout ce qui est possible existe, mais qu’est ce qui est possible ? Ce que notre petit cerveau de rien du tout déclare l’être ? Et puis la science nous montre sans cesse que des choses que l’on croyait impossibles sont possibles. Je crois que tout, absolument tout est possible et que tout existe même les choses qu’avec notre petite tête nous pouvons considérer comme impossible, parce que, dans l’infini, il y a toute la place pour le possible, mais je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas la place pour l’impossible…

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